Bordeaux-Paris : ce que la LGV va changer

Par Mikaël Lozano  |   |  1450  mots
Les Parisiens arriveront à Bordeaux avant 9 h en prenant le premier train, les Bordelais à 8 h à Paris.
Attendue depuis des années par le monde économique régional, la ligne à grande vitesse va mettre Bordeaux à 2h04 de Paris au lieu de 3h14 à partir du 2 juillet 2017. Louée pour son attractivité et sa qualité de vie, la métropole bordelaise espère franchir un nouveau cap et s'appuyer sur cette nouvelle infrastructure ferroviaire pour décrocher d'importantes retombées. Si les voyants sont au vert, les défis ne manquent pourtant pas. Notre enquête.

Le temps de la séduction est révolu, maintenant il faut conclure. De manière un peu abrupte, voilà comment on pourrait résumer le challenge de la métropole bordelaise dans les années qui viennent. A longueur de classements, Bordeaux prouve depuis des mois que son attractivité est au firmament. Les cadres parisiens rêvent de s'y installer et la placent au sommet de leurs points de chute désirés. En octobre, le fameux guide Lonely Planet l'a carrément élu "destination la plus tendance au monde". Devant Los Angeles ou Le Cap, excusez du peu. Les investisseurs dans l'immobilier se bousculent. Désormais, rares sont ceux, à l'exception de quelques journalistes parisiens engoncés dans leurs certitudes, qui parlent encore de Bordeaux comme d'une "belle endormie". Bien réveillée, la cité girondine veut maintenant transformer l'essai sur le plan économique.

Jusqu'à présent, la métropole bordelaise pouvait s'appuyer sur un aéroport en plein boom. Mois après mois, l'infrastructure aéroportuaire, portée par le low cost, bat des records de fréquentation, la plaçant parmi les plus dynamiques de France. Sa navette opérée par Hop ! Air France reste très prisée des chefs d'entreprise se rendant à Paris. En revanche, dès que l'on s'intéressait au rail, la donne était moins simple. Inutile donc de rappeler qu'un TGV entre Bordeaux et l'Ile-de-France était attendu avec impatience. Ce sera chose faite dans six mois, à partir du 2 juillet 2017 précisément, grâce à la ligne Sud Europe Atlantique, moyennant un investissement de 7,8 Md€ dont 3 Md€ apportés par les collectivités locales, 1 milliard par SNCF Réseau et le solde par Lisea, société concessionnaire pour 50 ans.

18,5 allers-retours "efficaces"

C'est peu dire que le dossier ne fut pas simple, au-delà du montage du partenariat public-privé lui-même, le plus important d'Europe. Jusqu'en avril dernier, les collectivités et Lisea, l'exploitant du tronçon Bordeaux-Tours, d'un côté, et la SNCF de l'autre, se sont écharpés sur le nombre de trains à mettre en circulation. Le dialogue était forcément difficile entre le concessionnaire Lisea, dont le modèle économique repose sur les péages liés au passage des trains, et la SNCF soucieuse de ne pas multiplier les rames vides... Le ministère des Transports a fini par imposer.

Finalement, toutes les parties ont trouvé un "accord" avec 18,5 allers-retours dits efficaces entre Bordeaux et Paris, dont 17,5 directs en 2 h 05 de temps de trajet et une liaison rapide Bordeaux-Angoulême-Massy. La desserte est organisée autour d'une navette horaire TGV entre 6 h et 21 h avec un renfort à la demi-heure en heure de pointe. Les tests des voies, qui ont cours actuellement, se sont jusqu'à présent déroulés sans souci.

Eviter la flambée des prix de l'immobilier

La question qui se pose désormais est celle des impacts économiques. Les défis ne manquent pas. Les Bordelais ont déjà pu constater qu'un premier "effet LGV" avait fait grimper les prix de l'immobilier ces deux dernières années. Mais après ?

"Bordeaux bénéficie depuis une grosse année d'un important effet loupe. C'est une destination très mise en avant", analyse Philippe Moulia, directeur d'Eiffage Construction Nord Aquitaine. "L'embellissement de la ville-centre est achevé et, peut-être pour la première fois, ses infrastructures lui donnent une dimension métropolitaine. Aujourd'hui, a-t-elle franchi un cap avec la LGV ? Je dirais non, pas encore. L'économie de l'agglomération bordelaise est une économie de services, résidentielle. Il est trop tôt pour constater les premiers effets tangibles."

Pour le patron régional d'Eiffage Construction,

"l'attractivité résidentielle est nette, pas encore l'attractivité économique. Mais la métropole a des cartes à jouer, notamment auprès de PME et ETI franciliennes qui ne peuvent pas s'aligner sur les rémunérations proposées par les grands groupes mais qui pourraient rejoindre Bordeaux pour apporter une autre réponse à leurs salariés, par la qualité de vie offerte. C'est Bordeaux à 2 h de Paris, et pas l'inverse."

Selon le patron bordelais, bon connaisseur du dossier,

"On ne peut pas survendre une destination. Quand on aura les 18,5 TGV entre Bordeaux et Paris, on pourra aller plus loin et commencer à concrétiser. Mais déjà, les signaux sont très positifs. Le Bassin d'Arcachon, le Sud-Gironde et Saint-Emilion sont au centre des discussions, contrairement au Médoc qui ne bénéficie pas de demande. Dans le tourisme, il faut s'attendre à l'arrivée d'enseignes que l'on n'imaginait même pas il y a trois ou quatre ans. Depuis Paris, il sera facile de rejoindre en moins de trois heures ces territoires. Les retombées pour l'hôtellerie, l'œnotourisme, seront importantes. Ces acteurs n'en sont plus au stade de la prise d'informations : ils portent des projets et recherchent des opportunités."

De gros dossiers à l'étude

Directeur général de Bordeaux Gironde Investissement, l'agence de développement économique chargée d'attirer de nouvelles sociétés et de les orienter, Robert Ghilardi de Benedetti confirme ce sentiment :

"L'effet LGV, on le sent depuis plus d'un an. Nous traitions auparavant environ 35 dossiers d'implantations d'entreprises par an, générant 900 emplois. En 2015 comme en 2016, nous avons doublé : nous en sommes à près de 70 dossiers pour 1.400 emplois. Ixxi, filiale de la SNCF, s'est installée dans la métropole, Axa Wealth Services également et d'autres projets avec Axa sont en cours. Beaucoup de dossiers concernent le secteur du numérique mais pas tous. Tous les 15 jours tombe sur notre bureau un dossier d'un hôtelier qui cherche 500 m2 dans le Triangle d'or bordelais. Autant dire que c'est compliqué... Nous avons aussi plusieurs projets dans le Sud Gironde, avec des transformations de châteaux viticoles prestigieux qui s'orienteraient vers de l'hébergement, du loisir..."

Plusieurs sources évoquent ainsi un énorme projet de rachat de vignes par des investisseurs russes dans les environs de Latresne, au Sud-Est de Bordeaux, avec à la clé un hôtel 5 étoiles, des spas, et une centaine d'emplois créés.

Connecter les autres territoires à la grande vitesse

Un point important sera à suivre avec attention : celui des retombées en dehors de la métropole bordelaise. Outre le Bassin d'Arcachon et le Saint-Emilionnais, dont les réputations touristiques ne sont plus à faire, d'autres zones se mobilisent. Angoulême et Poitiers, qui seront directement desservies, veulent tirer leur épingle du jeu. D'autres villes ne veulent pas être oubliées et voir le phénomène de métropolisation s'accentuer.

Le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, qui regroupe désormais les ex Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes, s'est emparé du sujet et compte veiller aux connections avec le réseau TER, notamment. Son président Alain Rousset parle volontiers de la LGV comme d'un "accélérateur de croissance" au profit de territoires bénéficiant déjà d'une bonne dynamique tant démographique qu'économique. La collectivité régionale est celle qui a, de loin, le plus contribué. L'ex-Région Aquitaine a ainsi mis sur la table 306 millions d'euros en valeur juillet 2009 à elle seule (sans compter sa participation à la suppression du bouchon ferroviaire, 50 M€) loin devant le Conseil général de la Gironde (142 M€), la Communauté urbaine de Bordeaux (127 M€), le Conseil régional de Poitou-Charentes (103 M€), celui de Midi-Pyrénées (102 M€) ou celui du Limousin (26 M€). Selon Alain Rousset, la LGV doit devenir "un fort levier en matière d'attractivité" et doper les échanges, non seulement avec l'Ile-de-France mais aussi entre les territoires néo-aquitains eux-mêmes. C'est tout ce qu'espère le monde économique régional.

A Paris à 8 h, à Bordeaux à 9 h

Un premier train le matin permettra aux Bordelais d'arriver à Paris peu après 8 h et aux Parisiens d'arriver à Bordeaux avant 9 h. Un dernier train le soir permettra de partir vers 21 h pour rentrer sur Bordeaux ou sur Paris. Il est prévu une desserte sans arrêt entre Bordeaux et Paris, cadencée à l'heure et à la demi-heure en pointe vers Paris le matin et vers Bordeaux le soir avec 18,5 allers-retours sans arrêt par jour en semaine hors été. Cette desserte est complétée par des dessertes rapides à 1 ou 2 arrêts et des arrêts  assurant aussi la desserte des villes intermédiaires, telles que Saint-Pierre-des-Corps, Poitiers, Angoulême ou Libourne. Bordeaux bénéficiera donc de 33,5 allers-retours par jour (dont 18,5 sans arrêt) avec Paris.

>> Lire aussi : A quoi ressemblera le TGV Bordeaux - Paris ?

La LGV Sud Europe Atlantique en chiffres

  • 302 km de ligne nouvelle
  • 1.360 km de rails
  • 320 km/h en vitesse commerciale
  • 18 millions de voyageurs attendus sur l'axe Paris-Bordeaux
  • 113 communes traversées dans 6 départements
  • 500 ouvrages d'arts importants construits le long du tracé