Faut-il créer un « Parlement de l'eau » pour allouer la ressource en Gironde ?

Malgré le bon fonctionnement du Smegreg, le syndicat mixte dédié à la gestion de l'eau, le partage de cette ressource reste très délicat en Gironde, notamment à cause d'une trop forte demande sur la nappe de l'éocène. Et le forage de puits dans des communes forestières pour alimenter Bordeaux Métropole et le Libournais fait aussi grincer des dents dans les campagnes. D'où l'idée lancée par la vice-présidente du Smegreg, Sylvie Cassou-Schotte, de créer un « Parlement de l'eau » dans ce département qui attire 20.000 nouveaux habitants chaque année.
C'est dans le massif des Landes de Gascogne, en Médoc, que Bordeaux Métropole va aller chercher l'eau potable qui lui manque, à 200 mètres de fond.
C'est dans le massif des Landes de Gascogne, en Médoc, que Bordeaux Métropole va aller chercher l'eau potable qui lui manque, à 200 mètres de fond. (Crédits : Agence APPA)

Le rapport que lui a consacré la Chambre régionale des comptes (CRC) de Nouvelle-Aquitaine, présidée par Paul Serre, est largement favorable au Syndicat mixte d'étude et de gestion de la ressource en eau du département de la Gironde (Smegreg). Chargée de veiller au bon usage des deniers publics, la CRC observe que cette structure créée dès 1998 par le Département est « un outil stratégique complet, cohérent et doté d'organes de pilotage actifs ».

Après la super-sécheresse de 2022, qui a tari des centaines de cours d'eau et de sources, et la canicule historique qui l'accompagnait, qui a brûlé des milliers d'hectares de forêt, l'arrêt des pluies pendant trente-deux jours consécutifs entre janvier et février 2023 a sonné comme un coup de tocsin médiéval. Il n'a échappé à personne que cette sécheresse hivernale annonçait un été 2023 « horribilis ». À cette perspective aux tonalités apocalyptiques les financiers répondront que « le pire n'est jamais sûr ». Il n'en reste pas moins que les augures ne sont pas réjouissants puisque les spécialistes de la météo ne s'attendent pas à des pluies très significatives d'ici fin avril.

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55 % de la ressource vient des nappes profondes

D'où l'importance de l'intervention du président de la République, ce jeudi 30 mars, la mobilisation massive des collectivités, l'implication de plus en plus visible des agences qui gèrent le fonctionnement des bassins hydrologiques, comme celui d'Adour Garonne, et le développement de nouvelles ressources que sont « les eaux non conventionnelles », qui vont de l'eau de pluie à la réutilisation des eaux usées traitées (Reut). Touché lui aussi en 2022 par la sécheresse, la canicule et de gigantesques incendies, le département de la Gironde a globalement moins manqué d'eau que d'autres.

Parce qu'il peut s'appuyer sur un ensemble assez dense de nappes phréatiques aussi bien superficielles que profondes. Département maritime, avec 126 kilomètres de cote océanique, et donc en général bien arrosé,  Le rapport de la CRC de Nouvelle-Aquitaine observe que, de 2011 à 2019, les Girondins ont puisé 36 % de leurs volumes d'eau dans des nappes superficielles. Contre 55 % dans les nappes profondes, qui sont aussi les plus anciennes :  28,5 % dans les nappes de l'éocène, une époque géologique comprise entre -56 et -33,9 millions d'années, et 26,5 % dans l'oligocène (entre -33,9 et -23,03 millions d'années).

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Objectif du Smegreg : trouver de nouveaux gisements

Il n'en reste pas moins que la nappe la plus connue, parce que la plus en danger pour avoir été surexploitée, est celle de l'éocène. Cette eau tombée sur terre il y a des millions d'années alimente une partie très significative des collectivités de Gironde, en particulier Bordeaux Métropole et la région de Libourne. Une nappe sur laquelle le Smegreg focalise en grande partie son attention depuis vingt-cinq ans.

« Le Smegreg a été créé avec un objectif qui est toujours d'actualité : lancer des recherches dans le département pour trouver de nouvelles nappes d'eau souterraines exploitables. Ces nappes profondes sont un bel atout pour la Gironde puisqu'elles permettent de prélever une eau très pure qui n'a pas besoin d'être beaucoup traitée et qui, de ce fait, ne coûte pas cher. Contrairement à l'eau qui est pompée dans les rivières », cadre pour La Tribune Celia Monseigne, présidente du Smegreg, conseillère départementale (PS) du Nord Gironde et maire de Saint-André-de-Cubzac.

La consommation est remontée

L'élue exprime une préoccupation qui se trouve au centre de la stratégie métropolitaine :

« Bordeaux Métropole et la communauté d'agglomération de Libourne prélèvent leurs ressources en eau dans les nappes les plus anciennes. Tandis que les autres territoires girondins les prélèvent dans des nappes superficielles, qui protègent les nappes profondes. Si Bordeaux Métropole pompe dans les nappes profondes c'est parce que, dans la Métropole, il n'est pas possible d'avoir accès aux nappes superficielles. Pourtant il faut bien veiller à ce que cette eau en nappe profonde soit économisée », souligne l'élue, qui ne peut s'empêcher de s'inquiéter de la croissance continue de la population à Bordeaux Métropole.

La Chambre régionale des comptes note aussi une remontée significative des prélèvements en 2020.

« Les prélèvements d'eau potable ont connu de 2011 à 2019 une croissance un peu moins rapide que celle de la population girondine. Il en résulte un prélèvement par habitant en diminution (81,5 m3 en 2011, 79,9 m3 en 2018 et 76,5 m3 en 2019). Cependant, les prélèvements ont nettement augmenté en 2020 (77,5 m3), peut-être en lien avec des règles d'hygiène plus exigeantes dans le contexte de la crise sanitaire », expose l'enquête.

Eocène : le préfet va réduire les autorisations

Désormais menacée dans la partie centre du département de la Gironde, qui englobe Bordeaux Métropole et le Pays libournais, la nappe de l'éocène ne peut plus être exploitée comme par le passé et le préfet de Gironde et de Nouvelle-Aquitaine, Etienne Guyot doit, dans les prochains jours, annoncer une baisse drastique des autorisations de prélèvements dans cette ressource. Car pour être honnête, et malgré une baisse de la consommation moyenne par habitant, il a été impossible aux élus de contrôler la consommation d'eau de l'éocène, qui a complètement dérapé.

« L'économie des usages et le rendement des réseaux doivent aussi progresser, or en moyenne 2015-2019, Bordeaux-Métropole a prélevé 13 millions de m3 d'eau dans la nappe de l'Éocène, soit près du double de l'objectif annoncé », pointe ainsi l'enquête de la CRC.

Pas de conflit de l'eau en Gironde

La Gironde prélève principalement 120 millions de mètres cubes (Mm3) d'eau potable par an en moyenne pour l'alimentation de ses habitants et 100 Mm3 pour l'agriculture. Sur un total annuel prélevé de l'ordre de 222,63 Mm3, l'industrie représente 2,1 %, le chauffage 0,8 %, la pisciculture et les autres usages 1,7 %. Comme le souligne la CRC, si des tensions peuvent exister en fonction des circonstances, il n'y a pas de conflit d'usage de l'eau en Gironde. Parce que l'eau potable utilisée pour la consommation humaine provient essentiellement des nappes de l'éocène et de l'oligocène, tandis que celles qui servent à l'agriculture viennent du miocène (-23 à -5,3 millions d'années) et surtout de la nappe phréatique plio-quaternaire (recoupe le triangle forestier landais -2,5 millions d'années).

Champs captant du Médoc : le nouvel horizon...

En attendant, et conformément à sa vocation première, le Smegreg a depuis plusieurs années identifié de nouvelles nappes souterraines en Gironde : dans le sud du département et surtout près de la commune forestière du Temple, au sud du Médoc et à l'ouest de la Métropole. Ceci grâce à l'exploitation des campagnes de prospection menées par les compagnies pétrolières dans ces territoires. Le gisement du Temple se présente comme une très importante nappe constituée de roches poreuses contenant une eau de grande qualité qui pourra sans problème fournir à Bordeaux Métropole et au Libournais les 10 millions de mètres cubes d'eau annuels nécessaires pour alléger la pression sur la nappe de l'éocène. C'est le projet des champs captant des Landes du Médoc.

Mais ce projet a d'entrée provoqué une réaction hostile des sylviculteurs, regroupés dans le très puissant Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest (SSSO), présidé par Bernard Lafon, qui craignaient au début, avant que des études ne balaient ces craintes, que les forages ne provoquent un affaissement des sols et une chute des arbres. Malgré nos sollicitations à ce sujet, le SSSO n'a pas répondu. Officiellement les tensions entre les propriétaires forestiers et Bordeaux Métropole, qui porte ce projet de champs captant pour le compte du Département, se sont apaisées.

...Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres

Porteuse du projet, la Métropole va devoir investir pour creuser les 14 puits à 200 mètres de fond prévus entre les communes du Temple et Saumos, avant de tirer 35 kilomètres de canalisations pour raccorder ces forages à la Métropole, puis au Libournais. Une opération chiffrée à 60 millions d'euros en 2019.

« Les champs captant il faut les mettre en œuvre. Ensuite il y a la partie juridique avec le foncier et l'acquisition des parcelles, qui va prendre du temps. Toute cette partie est vitale car il y a les forages mais aussi les canalisations à tirer jusqu'à la métropole pour acheminer l'eau. Autrement dit il y a encore du travail juridique pour régler le problème des servitudes etc. », confirme Celia Monseigne.

Un dossier complexe qui devrait néanmoins jouer le premier rôle dans cette nouvelle et plus juste allocation de la ressource en eau entre les territoires girondins prônée par la Métropole.

Sylvie Cassou-Schotte

Sylvie Cassou-Schotte (Agence Appa).

Sylvie Cassou-Schotte veut un « Parlement de l'eau »

« Bordeaux Métropole consomme 56 millions de mètres cubes d'eau potable par an. Les champs captant vont permettre de soulager sa consommation d'eau, sachant que 60 % de ce nouvel apport sera consommé dans la Métropole, et 40 % dans le Libournais et les territoires girondins sous tension. Le Smegreg est le véritable observatoire de la situation. Nous devons trouver des prélèvements plus pertinents », analyse pour La Tribune Sylvie Cassou-Schotte, présidente (EELV) de la toute nouvelle Régie de l'eau de Bordeaux Métropole, également vice-présidente de la Métropole en charge de l'eau.

Pour sécuriser l'approvisionnement, la patronne de la Régie de l'eau rêve de pouvoir connecter entre eux les puits, parce que plus il y a de forages et plus l'approvisionnement est sûr. L'interconnexion permettant de limiter l'impact des forages sur l'environnement. D'autre part, Sylvie Cassou-Schotte en est convaincue : il faut changer de dimension pour passer à l'échelle départementale avec un seul syndicat couvrant la totalité des communes. Elle veut même aller plus loin en mettant en place un « Parlement de l'eau » en Gironde. Parce que l'eau est désormais devenu un enjeu politique de première importance.

Son idée serait de faire de la gestion de l'eau un objet politique à part entière, au-delà des considérations purement technique. Car si l'eau a bien déjà une dimension politique, cette dernière est généralement très fragmentée à cause de la multiplicité de syndicats mixtes qui s'en occupent. Parce que la gestion de l'eau, comme de l'assainissement, est encore une affaire de souveraineté communale et d'enjeux financiers. D'où l'importance du dénivelé à franchir pour en faire un sujet pleinement départemental.

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