Bordeaux inaugure sa Maison des livreurs sur fond de hausse de leur précarité

Ouverte début janvier, la nouvelle Maison des livreurs à vélo de Bordeaux a été inaugurée ce mercredi 22 février. Alors que la précarisation de ces travailleurs est criante selon une étude, l'ouverture du lieu dédié au soin et au soutien administratif est accueillie avec soulagement.
Maxime Giraudeau
(De gauche à droite) Harmonie Lecerf Meunier, adjointe au maire de Bordeaux, et Morgan Garcia pour Médecins du monde étaient notamment présents.
(De gauche à droite) Harmonie Lecerf Meunier, adjointe au maire de Bordeaux, et Morgan Garcia pour Médecins du monde étaient notamment présents. (Crédits : MG)

« Un lieu où on pourra enfin être visibles. » Voilà le poids symbolique conféré à la toute nouvelle Maison des livreurs à Bordeaux, dédiée aux travailleurs des plateformes de livraison de repas. Situé en centre-ville, à quelques centaines de mètres de la gare Saint-Jean, le local a été officiellement inauguré ce mercredi 22 février, après une ouverture début janvier. Il s'agit du deuxième lieu du genre en France, avec Paris, pour accueillir les auto-entrepreneurs œuvrant pour Uber, Deliveroo et autres plateformes de livraison.

« C'était un besoin très important pour les livreurs bordelais, pour la ville aussi, même si ça dénote une précarité sociale avec l'ubérisation des travailleurs », avertit Harmonie Lecerf Meunier, adjointe au maire de Bordeaux chargée de l'accès aux droits, des solidarités et des seniors. « Ce nouveau lieu légitime leur existence et leur travail, car jusqu'ici on ne leur permettait pas d'accéder à l'ensemble de leurs droits. »

Après la création du syndicat des coursiers de Gironde en 2017, le premier du genre en France, Bordeaux se dote une nouvelle fois d'un support novateur pour accompagner les travailleurs précarisés. La Maison des livreurs sera ouverte du mardi au vendredi de 14 à 18 heures et proposera des permanences médicales assurées par Médecins du monde, du soutien administratif pour les travailleurs sans-papiers ou encore un dispositif de renseignement sur les droits du travail. À l'intérieur, une salle de repos, un coin cuisine, une salle de consultation mais aussi un futur atelier d'entretien des vélos répartis sur environ 75 m2.

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Seuls 15 % gagnent un Smic brut

L'ouverture du local, propriété de la mairie et gracieusement mis à disposition, est assurée par les associations Médecins du monde, Amal et, à terme, par la fédération nationale de livreurs CoopCycle. Il y avait urgence à intervenir sur Bordeaux pour ces structures, où 6.000 livreurs officient et sont confrontés à des conditions de travail difficiles. Un chiffre mis en avant par l'étude de Médecins du monde, conduite depuis septembre 2022, sur la situation des livreurs de l'agglomération.

« La majorité des personnes interrogées nous ont dit qu'elles étaient en situation de précarité au niveau du logement, indique Morgan Garcia, coordinateur du programme travailleurs précaires de Médecins du monde. On s'aperçoit aussi qu'un tiers des auto-entreprises sont hébergées dans des CCAS ou des CADA [Centre communaux d'action sociale et Centres d'accueil des demandeurs d'asile, ndlr]. »

Ces comptes d'auto-entreprises sont régulièrement sous-loués à des travailleurs sans-papiers. L'association révèle également que 40 % des livreurs interrogés travaillent plus de dix heures par jour et 75 % au moins six jours par semaine. Les deux tiers se plaignent de douleurs récurrentes quand un sur trois ne dispose pas de couverture maladie. Une précarisation accrue qui bride les perspectives de cette profession silencieuse où moins de 15 % des auto-entrepreneurs gagnent l'équivalent d'un Smic brut à Bordeaux.

Vers une présomption de salariat en Europe ?

Avec l'inauguration du lieu, les représentants syndicaux ont salué un « accomplissement ». « C'est un très bon endroit, il y a une bonne ambiance. Nous pourrons mieux alerter sur la situation des sans-papiers, qui sont nombreux à s'y rendre », témoigne Ludovic Boison, secrétaire général du syndicat des coursiers de Gironde. Son prédécesseur Arthur Hay était de passage pour l'occasion. Ce livreur repenti était à la manœuvre durant la campagne des municipales de 2020 pour alerter les candidats écologistes sur la nécessité d'avoir un lieu comme celui-ci à Bordeaux. Il se satisfait de cette ouverture tout en jugeant qu'il y a « encore énormément de travail avant que nos livreurs aient des conditions de travail dignes. »

À Bordeaux, la plateforme Deliveroo a ouvert en juin dernier sa première dark kitchen en région, ces grands entrepôts uniquement dédiés à la préparation et livraison de repas expédiés ensuite à vélo. Le livreur de courses à domicile Gorillas s'était également implanté quelques mois auparavant, avec un dark store, lieu de stockage de denrées situé en centre-ville devant assurer la logistique du dernier kilomètre. Depuis, son concurrent Flink a également investi le marché bordelais, en ayant particulièrement recours au travail en intérim.

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L'ouverture de la Maison des livreurs irait-t-elle jusqu'à inquiéter les plateformes ? Elle permet en tout cas de donner un écho aux luttes. « Si nous obtenons des victoires à Bruxelles contre l'ubérisation, c'est grâce à ce genre d'initiatives, c'est grâce aux livreurs qui s'organisent », mobilise Leïla Chaibi, député européenne (LFI) présente à l'inauguration. Le 2 février, les députés européens ont voté en faveur d'une présomption de salariat entre livreurs et plateformes. Les États doivent maintenant parvenir à un compromis autour du texte avant qu'il ne puisse être débattu entre le Conseil de l'Union Européenne et le Parlement.

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Maxime Giraudeau

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