Le Pays basque durcit le ton pour protéger ses terres agricoles

DÉCRYPTAGE. La communauté d'agglomération du Pays basque préemptera systématiquement les ventes de fermes à des prix jugés excessifs grâce notamment à la sensibilisation de l'association Lurzaindia. Une lutte aussi politique que juridique alors que le foncier se fait de plus en plus rare.
À Arbonne, cette maison avec ses 15 hectares devait être vendue pour 3,2 millions d'euros à un particulier. La Communauté d'agglomération et l'association Lurzaindia ont préempté la vente l'an dernier.
À Arbonne, cette maison avec ses 15 hectares devait être vendue pour 3,2 millions d'euros à un particulier. La Communauté d'agglomération et l'association Lurzaindia ont préempté la vente l'an dernier. (Crédits : AH / La Tribune)

« Cette belle maison avec ses 15 hectares devait être vendue pour 3,2 millions d'euros à un particulier. Nous préférons que ces terres de bonne qualité restent agricoles pour nourrir la population locale et préserver ce paysage », argumente Dominique Amestoy. Cet éleveur de brebis et de vaches à la retraite a occupé les lieux, à Arbonne proche de Bayonne, pendant quatre mois durant l'été 2021 au nom du syndicat agricole ELB (Euskal Laborarien Batasuna, confédération paysanne du Pays basque) et surtout de Lurzaindia. L'association, dont le nom signifie « préservation de la terre » en basque, est financée par 3.674 citoyens et a été fondée en 2013 pour alerter sur la disparition des fermes au Pays basque.

Entre 2011 et 2021, la surface agricole a diminué de 1.827 hectares dans cette région attractive, où la population a augmenté de plus de 5 % entre 2014 et 2020 selon l'Insee. Le Covid a accentué l'envie d'y acquérir une maison et l'activité économique prospère, nécessitant l'extension des zones artisanales, contribue également à grignoter ces terres vallonnées et fertiles alors que la loi Climat ambitionne zéro artificialisation nette en 2050.

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Mesure inédite

La maison d'Arbonne est toujours inhabitée : « les volets arrachés et les tags "EH es da salgai" (le pays basque n'est pas à vendre), ce n'est pas nous. Ce sont des signes de la complicité silencieuse », souligne le militant, racontant que le voisin, Didier Borotra, ancien maire de Biarritz, cousin du propriétaire et ex-sénateur des Pyrénées-Atlantiques venait leur apporter le café. Après un défilé de plus de 300 tracteurs, des députés s'étaient aussi rendus sur place, tout comme des représentants de la communauté d'agglomération Pays basque (CAPB). Isabelle Pargalde, vice-présidente de la CAPB en charge de l'agriculture, reconnait que c'est cette action, imitée depuis par des collectifs locaux, a libéré la parole. Des paroles qui se traduisent désormais en actes.

La CAPB vient de décider une mesure inédite pour « moraliser les prix de vente des terres agricoles » en chargeant la Safer (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural) de préempter en son nom systématiquement, qu'il s'agisse d'une vente entre particuliers ou à une commune, les ventes à des prix excessifs.

« Nous pensions le foncier agricole protégé notamment par les plans locaux d'urbanisme. C'est le contraire, car les acheteurs fortunés choisissent des biens entourés de champs, non-constructibles », explique-t-elle.

Outil public de stockage de foncier

En plus de cette mesure phare, la CAPB a édité un livret récapitulant les moyens existants de favoriser l'agriculture, tels que les baux ruraux. « Nous avons aussi créé une commission, présidée par Claude Olive (maire d'Anglet), qui favorisera la création de zones d'aménagement différé [ZAD, partageant l'acronyme avec les "zones à défendre", NDLR] afin de constituer des réserves foncières et de mieux compenser des constructions par de la renaturation. Nous allons, enfin, lancer une étude sur la création d'un outil public de stockage de foncier agricole, tel qu'il existe en Occitanie », détaille la maire de Hasparren.

Au Pays basque, la hausse des prix ne s'explique pas par la création de méga-exploitations comme en région parisienne, encadrées par la loi depuis un an, mais par la pression foncière. « Des ventes à prix élevé perturbent la valeur de référence, variant entre 4.000 et 10.000 euros l'hectare, que nous définissons par les dernières transactions. Ces ventes compliquent ainsi indirectement les transmissions », explique Jean-Claude Saint-Jean, président du comité technique de la Safer Pays basque.

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Comme ailleurs, les agriculteurs basques vieillissent et la Safer mène actuellement une étude pour connaitre l'état de santé des quelque 6.000 exploitations sur environ 11.000 dans le département des Pyrénées-Atlantiques. « La situation est particulière ici, uniquement comparable à l'ile de Ré à ma connaissance. Mais dans le Béarn, la pression risque d'augmenter rapidement lorsque les acheteurs ne trouveront plus rien sur la côte », prédit cet agriculteur, qui a transmis son exploitation maraichère à Ustaritz, cultivant notamment du piment d'Espelette, à son fils.

La préemption, qui sera désormais automatique, pouvait déjà être demandée. Mais il s'agit d'une procédure longue dans laquelle Larzaindia s'est spécialisée. Depuis 2013, l'association a étudié 139 ventes, dont plus de la moitié ont été conclues à des prix révisés. Possédant 480 hectares, Lurzaindia acquiert elle-même des parcelles pour les louer à de jeunes agriculteurs, douze à date. Pour cela, l'association, labellisée Finansol, dispose d'une foncière sous forme de société en commandite par actions, dans laquelle Sokoa (fabricant de sièges de bureau à Hendaye) est actionnaire, et présidée auparavant par Dominique Amestoy et actuellement par l'éleveuse de brebis à Itxassou Maryse Cachenaut. Pour pouvoir accueillir d'autres entreprises, pour du mécénat cette fois, Lurzaindia vient, avec l'aide de la fondation Terre de Liens, de créer sa propre fondation qui lui permet de recevoir également des subventions publiques, des legs et des donations de particuliers, des sommes ou bien des fermes.

Projet de loi

La nouvelle mesure de préemption risque pourtant de ne pas suffire. De plus en plus de transactions se font déjà en nue-propriété, consistant à séparer la terre de l'usage, puisque la Safer ne peut acquérir que des propriétés entières. « C'est le cas à Arbonne et aussi à Bidarray où 16 hectares sont en danger. Dans ce dossier, pour la première fois, un maire s'est récemment rangé de notre côté », souligne Dominique Amestoy, alors qu'à Cambo l'association milite contre la mairie qui a accordé un permis à Bouygues pour une centaine de logements.

Cette faille, le député local Vincent Bru souhaite la combler en proposant de renforcer, encore, les pouvoirs de la Safer. Car plutôt que de construire sur des terrains agricoles, mieux vaut densifier les zones urbanisées. Ou encore favoriser la vente de logements vacants et réduire le nombre de résidences secondaires plaide Lurzaindia, qui n'est pas le seul de cet avis.

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Commentaires 9
à écrit le 27/01/2023 à 16:46
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En même temps, la population est poussée vers les campagnes. Dans le coeur des villes, la situation sécuritaire s'empire, et les gens doivent cohabiter avec des bandes de rues, des salles de shoot, des incivilités, des dégradations, des rodéos urbain...

à écrit le 27/01/2023 à 13:01
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Je crois qu'il faut passer à zero artificialisation nette bcp plus rapidement que prévu. Pour ça il faut une forte intervention publique sur les friches industrielles pour les depolluer et changer les plans d'urbanisme pour densifier et élever de que...

le 27/01/2023 à 16:30
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"élever de quelques étages" ? Combien d'écroulements à prévoir, les structures n'étant pas assez résistantes. Quant à densifier des clapiers, bonjour le supplément d'âme...

le 27/01/2023 à 17:03
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Ce n'est pas quelques étages qu'il vous faut. Ni de lois d'interdiction. Vous avez besoin de densité et d'attractivité. Allez juste voir ce qui se construit à Montréal ; les tours de logements de 40 étages poussent comme des champignons un lendemain ...

à écrit le 27/01/2023 à 12:07
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Bonjour, La défense des terre agricole me semble légitime, tous tous cela a un retours de nationaliste et de replis sur soit..deux questions à cette article. Le problème ne vient ils pas de prix excessif ... ( Les vendeurs ne sont ils pas basque) ,...

le 27/01/2023 à 17:21
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Il semble que vous ne compreniez pas le pb: on ne parle pas de la côte basque où les autochtones sont peu nombreux excepté Bayonne. Dans cette partie, seuls des personnes touchants des salaires inaccessibles pour une personne élevée au pays peut prét...

à écrit le 27/01/2023 à 10:45
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Au Pays Basque, la situation immobilière est devenue complètement dingue. Les prix n’ont plus aucune rationalité. Les locaux ne peuvent plus acheter. Les nouveaux arrivants débarquent avec des budgets en millions. L’identité du pays est en danger. C’...

le 27/01/2023 à 15:00
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Tans que les gens seront obsédés par l'argent et qu'il en coule à flot pour certains, on aura le même soucis, d'acheter de l'immobilier pour spéculer et non pour vivre, je crois que l'immobilier du pays basque est devenu très spéculatifs, il y a des ...

le 29/01/2023 à 0:36
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L identité ? Basque ? Lol faite un test génétique et vous serez surpris … faut pas confondre un éventuel espace culturel et une «  nation ou peuple basque » moi soi disant basque avec un nom bien basque et des familles pater /maternelle genealogique...

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