LA TRIBUNE - Selon les observations de l'Observatoire pyrénéen du changement climatique, l'impact du dérèglement climatique est-il davantage marqué dans les Pyrénées qu'en plaine ?
Eva GARCIA BALAGUER - Oui, c'est une constatation importante. En 2018, notre rapport disait que le réchauffement climatique dans les Pyrénées était 30 % plus accru que la moyenne. Le problème maintenant c'est que l'on a dépassé le 1,5 degré d'augmentation indiqué par l'accord de Paris [+1,6 degré en moyenne dans les Pyrénées par rapport à 1959, selon l'OPCC, ndlr].
Y a-t-il une perte de biodiversité dans les montagnes pyrénéennes ?
Il y a un changement global très accéléré : des espèces disparaissent et d'autres se développent ou arrivent. Ce sont des nouvelles niches d'écosystèmes que l'on ne connaît pas très bien. Avec la température qui augmente en altitude, on sait que certains pâturages vont être plus facilement arborisés qu'avant. C'est aussi parce qu'il y a moins d'élevage : la pression des activités pastorales faisait qu'avant cet équilibre entre forêts et pâturages était mieux géré.
Cliquez sur l'image pour l'agrandir. Selon les relevés effectués au sommet du Pic du Midi, la tendance est à une augmentation de 1,3 degrés entre 1882 et aujourd'hui : "Les températures exceptionnelles de 1899 sont devenues la norme au 21e siècle".
La stratégie pyrénéenne du changement climatique (voir encadré) fait valoir que "la forêt participe activement à l'atténuation du changement climatique en termes de réservoir et puits de carbone". Est-ce à dire que la montagne deviendra un milieu forestier et n'aura plus vocation à accueillir d'autres activités ?
Nous voulons que les arbres remplissent encore mieux cette fonction de stockage du carbone avec une nouvelle façon d'aménager la forêt. Mais nous voulons aussi promouvoir l'élevage dans les estives, pour à la fois garantir la biodiversité des espaces avec un paysage en mosaïque, et à la fois prévenir les risques d'incendie. S'il n'y a pas de coupure dans le paysage forestier, les incendies pourraient être terribles.
Quelles conséquences sont à prévoir pour l'économie, notamment pour le tourisme et les sports de montagne ? L'OPCC préconise une "désaisonnalisation" des activités.
Jusqu'à maintenant, on parle de stations de ski, de stations des neiges. L'idée c'est d'effectuer une transition vers des stations attractives toute l'année, car on sait qu'il y aura moins d'enneigement. Même si ce n'est pas égal partout, certaines stations, à une altitude basse, n'ont pas de garanties de pouvoir continuer leur activité hivernale. C'est important de maintenir une économie sur ces espaces. Il faut adapter les activités à une gestion qui vise la réduction des émissions et la fortification de l'écosystème économique.
Eva Garcia Balaguer est coordinatrice de l'OPCC depuis novembre 2019. (Crédits : DR)
Comment abordez-vous le sujet de la production et transition énergétique ? Les Pyrénées peuvent-ils devenir un acteur fort grâce notamment à l'hydraulique ?
Notre stratégie vise davantage l'adaptation aux effets que l'atténuation des effets du dérèglement climatique. Mais c'est clair que ce sont des actions qui vont ensemble. Une partie du secteur de l'énergie doit donc opérer un changement de modèle. Avec le changement climatique, le cycle hydrologique change : au printemps, la distribution des quantités d'eau issues du déneigement est moindre. En même temps, pour limiter le réchauffement climatique, nous devons produire l'énergie au plus proche du lieu de consommation.
Un colloque de travail a eu lieu à Bilbao les 19 et 20 mai dernier pour réunir les partenaires français et espagnols. Pouvez-vous parvenir à contraindre les collectivités à intégrer vos préconisations ?
Nous essayons de faire collaborer les niveaux administratifs et scientifiques de nos deux communautés, pour agir de façon conjointe sur les transformations. Les colloques nous permettent de matérialiser cette relation et de travailler en s'appuyant sur des données scientifiques solides. Notre réseau génère d'abord des données homogènes et utilisables. Cette information est ensuite transformée en recommandations pour les gestionnaires. Les régions sont directement impliqués dans l'Observatoire car elles sont aux commandes de la CTP [Communauté de travail des Pyrénées, ndlr], mais les communes en sont plus éloignées. Le projet Adapyr est là pour formuler directement des recommandations aux réseaux de communes des territoires, notamment avec un répertoire de bonnes pratiques.
Paradoxalement, si les Pyrénées sont davantage touchées par le changement climatique, leur attractivité pourrait augmenter à l'avenir. Comment les communes pourront-elles répondre au défi de l'accroissement démographique ?
Cette tendance n'est pas encore consolidée. Nous l'avons observée avec la Covid, où les gens ont cherché des espaces plus vivables. Par rapport à la plaine ou des zones qui vont avoir un réchauffement très marqué, notre situation est différente. 1,6 degré d'augmentation dans une ville, c'est insupportable. A la montagne, c'est encore vivable. Et même, certains espaces d'altitude qui avant étaient trop froids, deviennent attractifs dans un cadre qui reste naturel. C'est une tendance qu'il faut avoir en tête et analyser. Nous aurons besoin de population pour gérer tout cet espace nouveau.
Nos données montrent qu'il faut s'intéresser à ce qu'il se passe en montagne, aux problèmes que nous pointons. Une partie de ces problèmes pourra être résolue avec des nouveaux arrivants qui développeront des activités traditionnelles et de gestion du territoire qui soient soutenables. Là-dedans, il y aussi le danger de la réurbanisation sur la montagne qu'il faut éviter. Il faut que ça devienne une opportunité et non une nouvelle problématique.
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