« Le vote Le Pen est assez identifié à la crise des Gilets jaunes en Gironde et en Lot-et-Garonne »

INTERVIEW. Quels enseignements peut-on tirer des résultats du second tour de l'élection présidentielle en Nouvelle-Aquitaine ? Ludovic Renard, politologue à Sciences Po Bordeaux, analyse les ressorts des scores d'Emmanuel Macron, la progression de Marine Le Pen dans les territoires actifs pendant le mouvement des Gilets jaunes et les perspectives pour les élections législatives des 12 et 19 juin.
Au second tour de l'élection présidentielle, Emmanuel Macron l'emporte avec 58,3 % des suffrages exprimés mais Marine Le Pen progresse partout et est en tête en Lot-et-Garonne.
Au second tour de l'élection présidentielle, Emmanuel Macron l'emporte avec 58,3 % des suffrages exprimés mais Marine Le Pen progresse partout et est en tête en Lot-et-Garonne. (Crédits : BENOIT TESSIER)

LA TRIBUNE - Quels enseignements retenir des résultats du second tour en Nouvelle-Aquitaine où Emmanuel Macron l'emporte avec 58,3 % des suffrages contre 58,5 % au niveau national ?

Ludovic RENARD - D'abord que les résultats régionaux sont à l'image de la tendance constatée au niveau national. C'est aussi vrai en Gironde où Emmanuel Macron remporte 61,4 % des votes. On peut également retenir le très bon score des macronistes à Bordeaux, avec 80,1 %, qui pourrait leur donner des idées pour la suite et, parallèlement, la progression du vote RN dans les territoires ruraux.

Plus largement, à toutes les échelles - nationale, régionale, départementale et locale - le nombre de voix d'Emmanuel Macron diminue au second tour de 2022 par rapport à 2017. On peut lire ce mouvement comme un signe de défiance des électeurs ou comme une tendance logique dans un contexte de réélection avec un bilan à juger. Mais compte-tenu de la crise sociale très forte des Gilets jaunes, de la crise sanitaire inédite du Covid-19 et, aujourd'hui, de la crise du pouvoir d'achat lié à la guerre en Ukraine, on aurait pu s'attendre à un vote protestataire encore plus important !

On constate néanmoins dans la région une percée de plus en plus forte de l'extrême-droite qui arrive même en tête en Lot-et-Garonne avec 50,5 % des suffrages...

Oui, c'est vrai mais ce n'est pas un phénomène complètement nouveau ! On oublie souvent qu'aux élections européennes de 2019, le Rassemblement national était déjà très nettement en tête en Lot-et-Garonne [avec 29,5 % des suffrages, dix points devant les 19,2 de la liste d'Emmanuel Macron, NDLR]. C'était donc déjà une très forte poussée pour le RN qui ne s'est ensuite pas concrétisée aux élections municipales de 2020 ni aux régionales de 2021 !

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La Nouvelle-Aquitaine était jusque-là plutôt hermétique au vote FN/RN contrairement au sud-est ou au nord-est de la France. Quels sont, selon-vous, les ressorts de cette progression ces dernières années ?

Localement, que ce soit en Lot-et-Garonne ou en Gironde, le vote Marine Le Pen est assez identifié aux réminiscences de la crise des Gilets jaunes qui a été forte dans la région. Les deux cartes correspondent. Du Médoc au Lot-et-Garonne en passant par la Haute-Gironde, le Libournais, l'Entre-deux-Mers et le Marmandais, on retombe sur ce qu'on appelle le couloir de la pauvreté avec des territoires très fragilisés économiquement, des pouvoirs publics qui se retirent et des perspectives d'emplois qui se rétrécissent d'autant plus avec la flambée des prix des carburants qui entrave la mobilité. Ce sont des territoires qui sont ou qui se vivent comme étant à côté de la métropolisation.

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Mais il est aussi intéressant de noter que cette tendance ne se traduit pas nécessairement dans les responsabilités locales puisque le Parti socialiste y est encore bien en place et qu'il y a aussi l'expression forte d'un besoin de politiques sociales face à un risque perçu ou réel de marginalisation. On constate également que le bouclier tarifaire et les dispositifs mis en place par le gouvernement en France permettent de mieux protéger le pouvoir d'achat que les politiques menées par les gouvernements de droite nationale d'Europe centrale et orientale.

Dans quelle mesure ce vote d'extrême-droite dans le Sud-Ouest est-il lié à une expression xénophobe ou hostile à l'immigration ?

Il y a des problématiques politiques différentes du pourtour méditerranéen ou de l'est de la France mais il y a aussi en Lot-et-Garonne et dans les campagnes du Sud-Ouest des problématiques d'insécurité qui sont souvent reliées, dans les discours que l'on entend sur place, à des populations d'origine étrangère. Cela étant dit, je reste convaincu qu'il s'agit d'abord d'un vote protestataire face à un sentiment d'abandon et de paupérisation des populations. Il y a une forme de classe sociale qui se retrouve sans parti politique traditionnel... si ce n'est les extrêmes.

Toute une partie des employés et ouvriers est percutée par les mutations du marché du travail avec des emplois plus précaires ou de moins bonne qualité. Cela envoie des bataillons entiers de l'électorat traditionnel du Parti socialiste vers l'extrême-droite pour exprimer une forme de dégagisme. Vu les enjeux de cette élection, je m'attendais à ce qu'une partie des électeurs soutienne la stratégie du RN de referendum anti-Macron mais, au total, force est de constater que cela n'a pas fonctionné. Et, encore une fois, cette expression favorable au Rassemblement national est forte aux élections nationales mais a bien du mal à être incarnée et portée sur le terrain aux différents échelons locaux.

Au lendemain de ce second tour, comment analysez-vous les nouveaux rapports de force en vue des élections législatives qui se tiendront les 12 et 19 juin ?

Dans le paysage politique actuel, le résultat des législatives sera très lié aux stratégies politiques des uns et des autres même si je reste convaincu que les macronistes conservent la main. Emmanuel Macron enverra un premier signal fort de sa stratégie avec la composition et la coloration politique de son nouveau gouvernement. Est-ce qu'il y aura un coup de barre à gauche ou la confirmation de ses ministres clef venus de la droite ? Est-ce qu'il y aura une sortie des profils technocratiques au profit de personnalités politiques ou, au contraire, encore plus de techno ?

De ce point de vue, c'est lui qui reste clairement au centre du jeu politique... tout en faisant face aux mêmes écueils. C'est tout le problème du centrisme et du macronisme depuis son élection en 2017 : il cherche à réduire les questions et débats politiques à des choix purement techniques qui n'auraient qu'une seule solution de bonne gestion. Cela tend à réduire d'autant plus la dimension politique et le champ démocratique et à nourrir les extrêmes.

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Justement, face au camp d'Emmanuel Macron, deux forces semblent se dessiner avec un bloc d'extrême droite autour de Marine Le Pen et un bloc de gauche mené par Jean-Luc Mélenchon. Cela vous paraît-il crédible ?

Non parce qu'à mon sens cette recomposition politique n'est pas du tout faite ! Ni à l'extrême-droite où une alliance entre Marine Le Pen et Eric Zemmour n'a rien d'évident ; ni à gauche où, malgré le vote utile, de grosses divergences programmatiques demeurent entre la France insoumise et les socialistes et écologistes. L'accord politique entre les différentes forces à gauche est donc très loin d'être acquis et risque notamment de se heurter aux strates locales quand il faudra désigner des candidats. Par exemple, en l'état, ni les écologistes de Pierre Hurmic, à Bordeaux, ni les socialistes d'Alain Anziani, à Bordeaux Métropole, ne souhaitent travailler avec la France insoumise ! Le volet social et écologiste pourrait bien les rapprocher mais Emmanuel Macron devrait précisément appuyer là-dessus dans les prochaines semaines.

Enfin, il y a les Républicains qui ont une carte à jouer parce que bien implantés localement. Mais est-ce qu'ils partiront seuls ou est-ce qu'ils adopteront  la stratégie Macron-compatible prônée par Nicolas Sarkozy ? A Bordeaux, le combat ne devrait pas être très fort entre ces deux camps. Donc, au total, ce sont bien les macronistes qui gardent la main avec, d'une part, l'effet d'entraînement de l'élection présidentielle qui a tendance à confirmer le vainqueur, et, d'autre part, le choix de la composition du futur gouvernement même si, bien sûr, les lignes peuvent bouger en sept semaines !

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