Incendies de forêt : « Dans plus de 90 % des cas le feu est d'origine humaine » (Christian Pinaudeau)

INTERVIEW. Christian Pinaudeau, qui a dirigé pendant 40 ans le Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest (SSSO), a publié l’an dernier "Echec aux feux de forêts" (Etude sur la défense des forêts contre l’incendie -DFCI) aux Editions L’Harmatan (*). Pour ce spécialiste des risques incendies, ces derniers relèvent essentiellement de la responsabilité humaine et de l’absence de volonté des Etats à organiser la prévention au quotidien contre ce fléau. Seul contre-exemple à ces dérives : la forêt des Landes de Gascogne (en Aquitaine), qui, selon lui, contrairement aux massifs forestiers du Midi méditerranéen ou d’ailleurs en France, est parfaitement organisée contre les risques de feu.
Pour Christian Pinaudeau, qui vient de soutenir une thèse sur le sujet, canicule, vent et sécheresse ne sont que des phénomènes aggravants des incendies de forêt. L'Homme étant la cause de l'écrasante majorité de ces sinistres.
Pour Christian Pinaudeau, qui vient de soutenir une thèse sur le sujet, canicule, vent et sécheresse ne sont que des phénomènes aggravants des incendies de forêt. L'Homme étant la cause de l'écrasante majorité de ces sinistres. (Crédits : Costas Baltas)

LA TRIBUNE - La gestion du massif des Landes de Gascogne semble être votre boussole pour décrypter le monde des incendies de forêt, pour quelles raisons ?

CHRISTIAN PINAUDEAU, ancien patron des sylviculteurs du Sud-Ouest - Les incendies, même les plus gros, sont des sujets archi-connus que l'on fait mine de redécouvrir à chaque nouvelle catastrophe. A l'exception de la forêt des Landes de Gascogne, qui s'étend sur les départements de la Gironde, des Landes et l'ouest du Lot-et-Garonne, en ex-Aquitaine, il n'y a aucune politique de prévention systématique des feux dans les massifs forestiers en France. La forêt des Landes de Gascogne c'est une forêt cultivée d'un million d'hectares : il n'existe rien de semblable ailleurs. Et la totalité de cet énorme massif est entièrement quadrillée, comme une grande ville, avec un point d'eau pour chaque quartier, 42.000 kilomètres de pistes pour atteindre très vite n'importe quel point de la forêt, qui est cartographiée, débroussaillée, surveillée en continu par tout un réseau de tours de guet. C'est unique au monde et c'est très efficace. Les incendies de 1949, qui ont brûlé 60.000 hectares de forêt et tué 82 personnes, ont provoqué un électrochoc dans la population et chez les élus politiques. Jamais aucun incendie de forêt n'avait tué autant de monde. Et ça, personne ne l'a oublié.

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La forêt des Landes de Gascogne est un cas particulier qu'il semble difficile de comparer avec les massifs du Languedoc ou de Provence, souvent montagneux et très exposés aux vents. N'est-ce pas la limite de votre démonstration ?

Ecoutez, je connais cet argument par cœur. Sachez qu'il y a chaque année deux fois plus de départs de feu dans le seul département de la Gironde que dans toute la région Provence Alpes Côte d'Azur (Paca). Soit 1.500 départs de feu en Gironde contre environ 700 en Provence et bien moins de surface brûlée. Je souligne la comparaison sachant que la forêt des Landes de Gascogne est très inflammable. Les pompiers girondins ne sont pas les plus forts du monde. Et nous avons la réponse à ce qui fait la différence entre ces deux situations : c'est la prévention. La forêt des Landes de Gascogne est essentiellement aux mains de propriétaires privés regroupés et organisés dans chaque commune en association de DFCI obligatoires. Dans ce cadre, ce sont donc les propriétaires (privés et publics) qui, chaque année, programment, gèrent et financent les travaux de prévention contre l'incendie, qu'il s'agisse de la création de points d'eau, de pistes forestières ou encore de leur entretien. La Région, l'Union européenne, l'État peuvent cofinancer ces investissements

Vous parlez de débroussaillage, une question qui revient assez souvent en filigrane quand on parle des récents incendies qui ont frappé le Sud-Est de la France. Cette question est-elle secondaire ou au contraire centrale ?

Le débroussaillage est un sujet très important. Comme vous le savez, j'ai longtemps dirigé le Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest (SSSO). En forêt le débroussaillage s'impose à toutes les collectivités et prestataires. Et à la tête du syndicat nous nous sommes vite aperçus que les sociétés d'autoroute, la SNCF ou encore EDF avaient beaucoup de mal à respecter l'obligation de débroussaillage alors qu'ils comptent le plus grand nombre de départs de feu avec les lotissements. C'est pourquoi, avec les propriétaires victimes de feu nous avons soutenu des poursuites en justice à leur encontre, et nous les avons fait payer afin qu'ils comprennent bien le message. (Exemple l'aire de service du Muret dans les années 1990 ou la SNCF sur commune de Ychoux) Dans l'Aude et le Var les derniers grands incendies sont partis à proximité d'autoroutes, ce qui semble bien pointer la responsabilité vers ces sociétés. Qui a porté plainte ? J'espère bien que les maires des communes concernées vont le faire. Parce que ces sociétés, qu'il s'agisse d'autoroutes, de voies ferrées ou de lignes électriques ont une responsabilité incompressible en matière de départs de feu. Elles doivent impérativement débroussailler des deux côtés des voies de circulation dont elles ont la charge. Sur ce type de sujet, l'arsenal juridique français est complet mais il n'est pas appliqué !

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Vous parlez d'arsenal juridique, mais comment s'organise dans ce domaine la lutte contre les incendies ?

Toute la stratégie de maîtrise des risques repose pour la sécurité civile sur trois piliers, qui sont valables pour tous les types de risques. Il s'agit de la prévention, de la prévision et de la lutte : ce triptyque s'applique à toutes les forêts, y compris celles de l'Etat et des communes, sur lesquelles il y aurait beaucoup à dire tant elles sont, je dirais, "insuffisamment" entretenue ! Le problème que l'on peut constater, c'est que dans le Sud-Est le volet prévention des incendies est beaucoup trop faible. D'où l'engagement systématique de très gros moyens de lutte.

Oui mais nous en revenons à la morphologie du terrain, aux montagnes, aux collines et à des systèmes venteux complexes à gérer, avec le Mistral, la Tramontane, sans parler de la sécheresse...

Cette géographie a toujours existé et ces difficultés sont connues depuis près de 150 ans. Le premier rapport rédigé au sujet des incendies en Provence date de 1868 ! Et c'est un rapport complet, qui dit tout sur les causes des incendies, les mesures à prendre. Malheureusement en 2021 on pourrait avoir l'impression que rien ou presque n'a été fait dans cette région. Les points d'eau ne sont pas suffisamment nombreux, quand ils ne disparaissent pas, tout comme les pistes forestières, qui ne survivent pas à l'arrêt de leur entretien. Au début des années 2000 un rapport de la Cour des comptes en a dressé le constat, soulignant que 60 % des infrastructures de prévention des risques incendie subventionnées par l'Etat avaient disparu, faute d'entretien. On voit par-là que les élus ont une énorme responsabilité, de même que les pouvoirs publics sur ce qui finit par arriver, en l'absence de volonté de traiter comme il le faudrait ce type de risque.

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A quoi attribuez-vous ce que vous présentez comme une démission générale des autorités vis-à-vis de la prévention ?

Parce que le feu est fascinant, ce qui le rend télégénique, et qu'il permet aux politiques et à l'Etat en particulier de se mettre en scène, de se monter en action, à bord d'un Canadair (un président de la République), d'un hélicoptère (un Premier ministre) ou sur place (des ministres) à quelques centaines de mètres de l'incendie. Alors que techniquement les solutions sont connues, que techniquement les créations de points d'eau ne posent aucun problème en Paca ou ailleurs, et que désormais même les entreprises sont obligées de constituer leurs propres réserves d'eau !

A vous entendre, il semble que la nature n'ait pas grand-chose à voir avec les incendies, c'est ce que vous pensez ?

Il n'y a que deux causes aux incendies : la foudre et l'Homme. La présence humaine est à l'origine de plus de 90 % des départs de feu par conséquent quand personne ne met le feu, il n'y a pas d'incendie. Le feu suit l'Homme. La canicule, la sécheresse, le vent sont des facteurs aggravants, mais en aucun cas ils ne sont à l'origine des incendies de forêt. Prétendre que le réchauffement climatique est à l'origine des feux, comme on a pu l'entendre récemment, cela n'a pas de sens ! La seule cause naturelle des feux, c'est la foudre. Et quand elle frappe, on l'identifie très vite.

Donc pour vous les grands incendies qui ont frappé à l'étranger, en Algérie, Australie, Californie, Espagne, Grèce, Portugal, Russie... sont d'origine humaine...

Tous les pays que vous avez cité font la Une des incendies et pour certains depuis longtemps. Ces derniers mois on a beaucoup parlé de l'Ouest du Canada, encore de la Californie, etc. Mais vous n'entendez jamais parler du Québec. C'est un pays avec qui j'ai travaillé plusieurs années. Un pays gigantesque où la forêt recouvre 50 millions d'hectares, soit la superficie de la France ! Si ce pays forestier ne fait pas parler de lui, c'est que les autorités locales ont pris les bonnes décisions et développé un outil de prévision et de prédiction de la foudre d'une précision extrême. Ils ont mis au point plusieurs logiciels capables de suivre en temps réel tous les impacts de foudre qui frappent la forêt québécoise ! Une technologie dont nous nous sommes inspirés dés 1992 en Aquitaine avec la mise en œuvre de Météorage Autrement-dit, les Québécois maîtrisent bien les risques incendie. Il y a des zones désertes et reculées où ils vont laisser brûler et d'autres peuplées sur lesquelles ils vont très rapidement intervenir. Tout leur territoire est quadrillé, avec des zones de sécurité incendie à priorité décroissante. Ce que nous devrions faire sur tout les massifs forestiers en France.

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Si je vous comprends bien, vous voulez souligner que c'est bien la responsabilité des Etats qui est en jeu et pas la nature ou le réchauffement climatique ?

Ecoutez, en Californie, l'Etat a laissé les gens construire des maisons n'importe où, n'importe comment, en plein cœur des massifs forestiers, et là-bas aucun service d'Etat ni aucun forestier ne s'intéresse à cette démultiplication du risque incendie provoquée par ces constructions anarchiques, sans aucun contrôle. Et pour arranger le tout il y a aussi en Californie des écologistes qui pensent qu'il faut laisser faire la nature, parce que le feu "c'est naturel". Quand il n'y a personne, pas d'habitants d'accord, ça peut se comprendre. Mais quand il y a des millions d'habitants ça n'est plus pareil. Et ça peut même donner de mauvaises idées aux pyromanes, qui vont mettre le feu tout en se prenant pour des protecteurs de la nature... C'est fou !

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En ce qui concerne les autres pays oui, je suis convaincu qu'à chaque fois la responsabilité des Etats est engagée. C'est d'ailleurs les États qui sont propriétaires de forêts. Qui sait comment ont commencé les fameux incendies en Australie ? Personne. La foudre a été évoquée comme la cause d'un foyer, mais au même moment il y a eu d'autres départs de feu à deux cents voire trois cents kilomètres de là. Les brasiers y ont été gigantesques, les dégâts sur la faune monstrueux mais l'Etat ne s'en inquiète pas plus que ça. Au Brésil, en Turquie ce sont des forêts d'Etat qui brûlent car elles ne sont pas entretenues. Au Portugal et en Espagne la politique contre les incendies est difficile à comprendre, parfois même totalement incompréhensible.

Tout cela n'est pas très réjouissant, au point d'en être franchement inquiétant...

Vous voulez que je vous dise ? Même si cela ne se voit pas aussi nettement qu'ailleurs, la France est dans le même bateau que ces pays. Hormis dans la forêt des Landes de Gascogne, aucune doctrine de prévention et de prévision des incendies n'est mise en application au jour le jour dans nos massifs forestiers. L'Aquitaine a payé le prix fort en termes de morts par le feu mais cette horrible catastrophe a obligé les politiques à réagir et dés 1949 il a été décidé un Plan d'aménagement en restructurant la forêt des Landes de Gascogne et en faisant un centre de production forestier. Au contraire dans les années 1960 dans le sud-est l'État a choisi de développer l'économie touristique et l'immobilier mais sans intégrer la gestion des risques. L'addition finit toujours par tomber !

(*) "Echec aux feux de forêts" (Etude sur la défense des forêts contre l'incendie - DFCI) aux Editions L'Harmatan, 2020. Cet ouvrage est tiré de la thèse sur la gestion du risque incendie soutenue par Christian Pinaudeau la même année à la Faculté de droit et de science politique de l'Université de Bordeaux.

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