Bordeaux Métropole passe la gestion de l'eau en régie publique mais ne casse pas avec Suez

Bordeaux Métropole a refusé, comme l'exigeait l'association Trans'Cub, de casser son contrat de gestion de l'eau signé avec Suez en 1991. Trans'Cub a porté l'affaire devant le Conseil d'Etat, mais la nouvelle majorité de Bordeaux Métropole estime qu'il est trop tard. Son président socialiste, Alain Anziani, se félicite même de sa bonne collaboration avec Suez pour préparer le passage de la gestion de l'eau en régie publique, à partir du 1er janvier 2023. Plusieurs élus clés de la Métropole abordent le sujet avec La Tribune.
Bordeaux, le fleuron des contrats de Suez en France.
Bordeaux, le fleuron des contrats de Suez en France. (Crédits : iStock)

C'est le 18 décembre 2020, il y a presque un mois jour pour jour, que le conseil de Bordeaux Métropole a voté la suppression de la délégation de service public (DSP) pour la gestion de l'adduction d'eau. Un moment historique pour la Métropole qui survient alors que l'association citoyenne Trans'Cub, qui ferraille depuis 1991 contre cette DSP conclue par l'ancienne CUB (communauté urbaine) avec la Lyonnaise des eaux (groupe Suez), va jusqu'à évoquer -sans dire le mot- une suspicion de mise des élus sous influence.

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Avec d'autant plus de sûreté que la position des élus métropolitains est devenue incompréhensible aux militants de cette association, présidée par Jacques Dubos et dont Denis Teisseire est la figure emblématique. Trans'Cub a commencé à se faire connaître en brisant le projet de Jacques Chaban Delmas de créer un métro à Bordeaux. Sur ce dossier de l'eau, le Conseil d'Etat a légitimé la justesse du combat de l'association, en invalidant la décision prise en 2018 par la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Pourquoi Trans'Cub pense avoir raison

La cour d'appel administrative de Bordeaux a été sanctionnée pour avoir refusé de reconnaître que le contrat de gestion de l'eau, qui lie Bordeaux Métropole à Suez Eau France depuis 1991, a été prolongé au-delà de sa durée réglementaire, à compter du 2 février 2015. Le Conseil d'Etat a également condamné Bordeaux Métropole à verser 3.000 euros à Trans'Cub. L'association estime qu'avec cette DSP à rallonge Suez va percevoir 100 millions d'euros de trop et ne comprend pas que les élus de Bordeaux Métropole ne fasse pas l'effort nécessaire pour mieux protéger leurs administrés.

"Le passage en régie c'est très bien. Mais nous demandons d'abord qu'ils règlent le passif avec Suez. La décision du Conseil d'Etat rebat les cartes et nous comptons bien aller jusqu'au bout. Depuis le début, les élus métropolitains ont peur, à tort, que Suez Eau France se lance dans un contentieux juridique. Mais la loi Barnier, avec la caducité, rend cela impossible, parce qu'elle empêche tout recours. C'est la loi qui le dit ! Dès lors que l'équilibre financier a été atteint par le délégataire, ce qui est le cas pour Suez (depuis 1998 a déjà compté Trans'Cub -Ndlr)", argumente Jacques Dubos.

La cogestion a empêché de rompre la DSP

Les élus d'extrême gauche du collectif Bordeaux en luttes, mené par Philippe Poutou, qui siègent à la mairie de Bordeaux et à la Métropole, soutiennent le passage de la gestion de l'eau en régie publique métropolitaine, tout en regrettant que la DSP avec Suez n'ait pas été rompue.

Avec Ramses, Suez eau a développé à Bordeaux Métropole, à la demande des élus, un énorme centre de gestion des eaux pour contrer les inondations.

Pour Pierre Hurmic, le nouveau maire écologiste (EELV) de Bordeaux, Trans'Cub, qu'il connait très bien pour avoir soutenu plusieurs des actions de l'association quand il était dans l'opposition, est en décalage avec l'évolution politique de la Métropole, qui vient de voter la fin de la DSP.

"Dommage que Trans'Cub n'aille pas plus loin sur ce dossier. Ce qui est important c'est que nous ayons obtenu, pour la première fois dans l'histoire de Bordeaux et de la Métropole, le passage de la gestion de l'eau en régie publique. Alain Rousset et Vincent Feltesse (ex-présidents PS de la Communauté urbaine -Ndlr) avaient essayé de le faire à leur époque. Mais ils n'avaient pas pu y arriver à cause de la cogestion. Ce passage à une régie publique de la gestion de l'eau répond à ce que Trans'Cub défend depuis des années : nous allons en finir avec les errements de la DSP !", martèle Pierre Hurmic, éternel opposant à la cogestion, dont il a obtenu la fin historique grâce à son alliance avec le PS.

Patrick Bobet préfère une bonne délégation

Bien sûr ce renversement de perspective ne fait pas le bonheur de Patrick Bobet, l'ex-président de Bordeaux Métropole et de Communauté d'avenir, devenu Métropole commune, la coalition de droite et du centre partie avec succès à l'assaut de cette collectivité en 2014, avant de perdre ses positions en 2020 au profit de la gauche.

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"La Métropole a réagi comme il le fallait en négociant en 2006 une clause de revoyure en 2012 avec le délégataire de l'époque, la Lyonnaise des eaux, pour obtenir une baisse du prix de l'eau. Je ne pense pas que la Lyonnaise, et aujourd'hui Suez, ait fait des surprofits sur son contrat bordelais. Ce passage en régie publique est une décision dogmatique. Je trouve que c'est la plus mauvaise des solutions", attaque d'entrée l'opposant.

Patrick Bobet dit ensuite pourquoi il défend la DSP.

"Quand on fait des comparaisons il y a un argument qui l'emporte sur l'autre : une bonne DSP bien encadrée et revue régulièrement reste la meilleure option. Dans ce dossier notre point de vue c'est que ça ne vaut pas le coup de gagner 100 millions d'euros d'un côté et d'en perdre autant en dédit. Tous nos juristes à la Métropole sont unanimes : prétendre comme le fait Trans'Cub qu'il ne pouvait plus y avoir de dédit, c'est faux !", tonne Patrick Bobet, d'autant plus qu'il estime que Suez "a fait ses preuves : j'aurais plus confiance en eux que dans une régie", martèle-t-il ainsi.

Réussir le passage de la DSP à la régie publique

Comme l'a souligné Pierre Hurmic, les écologistes ont accepté d'assumer à la Métropole la vice-présidence en charge de la gestion de l'eau, "une très lourde responsabilité" relève le maire, portée par Sylvie Cassou-Schotte. Faute d'être cassée, la DSP avec Suez a été enrichie d'un avenant qui prolonge notamment la durée du contrat, afin de pouvoir préparer le passage en régie publique en bénéficiant de l'appui technique de ce groupe.

"J'ai soutenu depuis des années les actions de Trans'Cub, qui ne laisse jamais tomber ses dossiers. Aujourd'hui, avec la DSP sur la gestion de l'eau, ils nous reprochent d'avoir signé un avenant à un contrat qu'ils considèrent comme caduc. Mais le dernier attendu du Conseil d'Etat ne démontre pas la caducité du contrat. Le passage en régie publique est une opération très lourde qui va nous prendre 18 mois. Le contrat avec Suez s'achèvera le 31 décembre 2021, d'où notre engagement sur un avenant d'un an. Cette régie de l'eau deviendra régie de l'eau et de l'assainissement en 2025. Nous avions besoin de ce temps, c'était nécessaire", étaye également Sylvie Cassou-Schotte.

Une épée de Damoclès au-dessus de la régie publique

Quant à l'avenir juridique de ce dossier fortement politique, elle estime qu'il est encore loin d'être tranché.

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"Après la décision du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel va statuer sur le fonds. Rien ne dit qu'elle va abonder dans le sens de Trans'Cub. Si la cour administrative d'appel décide de la caducité du contrat de DSP de Bordeaux Métropole avec Suez, nous ferons appel à la préfecture pour qu'il y ait une réquisition (permettant à la préfecture d'imposer de façon unilatérale la poursuite de la DSP -Ndlr)", analyse Sylvie Cassou-Schotte.

L'assainissement passera sous contrôle public métropolitain d'ici 2025.

La crainte de la patronne de l'eau métropolitaine serait que la cour administrative d'appel reconnaisse finalement la caducité du contrat de DSP et que la Métropole se retrouve seule. "Personne n'est en capacité à Bordeaux de remplacer l'actuel délégataire", souligne-t-elle. La pugnacité de Trans'Cub étant en passe de devenir légendaire à Bordeaux, Sylvie Cassou-Schotte ne se berce pas d'illusions.

"C'est une affaire qui a été très longue mais nous avons toujours une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Parce que les militants de Trans'Cub n'en démordront pas. Je doute que la cour administrative d'appel de Bordeaux déclare la caducité du contrat mais ce n'est pas impossible. La réquisition d'office sera alors obligatoire. Pour la gestion de l'eau, le contrat de Bordeaux était le fleuron du groupe Suez. Traiter avec une multinationale n'est pas évident pour un pouvoir local et nous n'avons toujours pas accès au fichier de Suez concernant Bordeaux", recadre l'élue verte.

Trop tard pour casser avec Suez

Pour elle ce long et polémique sujet sur la gestion de l'eau arrive aujourd'hui à son terme, et les jeux sont faits.

"Rompre le contrat de DSP n'est pas une mauvaise idée en soi mais il fallait le faire tant qu'il était encore temps, en 2012. Sur ce terrain Toulouse a réussi ce que nous n'avons pas su faire, aujourd'hui c'est trop tard. C'est ce que Trans'Cub, qui a été un précieux aiguillon historique dans ce dossier, ne veut pas admettre", déplore avec résignation Sylvie Cassou-Schotte.

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De son côté le président de Bordeaux Métropole, Alain Anziani (PS), défend bien entendu la stratégie du bond en avant pour le passage en régie publique de la gestion de l'eau. Il estime lui aussi qu'il est trop tard pour essayer de casser cette DSP qui fêtera ses 30 ans à la fin de l'année.

La Métropole va devoir récupérer 300.000 abonnés Suez

La question de l'avenant, le patron de la Métropole la voit dans toute son étendue.

"Si nous n'avions pas signé d'avenant avec Suez nous aurions dû commencer à négocier sur pas moins de 150 contrats liés à cette DSP, qui intègre par exemple les centres informatiques, etc. Et puis nous allons récupérer au moins 350 salariés travaillant pour Suez dans la Métropole. D'autre part, Suez à Bordeaux c'est 300.000 abonnés.

Nous avons bien négocié et notre collaboration avec Suez a été très bonne, on peut s'en féliciter. L'avenant prévoit ainsi que le prix de l'eau va rester stable et que Suez s'engage à faire 30 millions d'euros de travaux sur le réseau. Si cet investissement n'est pas réalisé, le groupe s'engage à nous rétrocéder l'argent", déroule le patron de la Métropole.

Qui estime que Suez fait preuve de bonne volonté pour mener à terme le processus de bascule sur la régie publique.

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