
L'arrivée ce lundi 18 mai en fin de journée du paquebot Yersin au cœur historique du port de Bordeaux est un symbole. Alors que les dirigeants du Grand port maritime de Bordeaux commencent tout juste à distinguer le bout du long tunnel du confinement provoqué par le coronavirus, le Yersin, qui arrive des Antilles, semble taillé pour ce nouveau « monde d'après » dans lequel nous ne finissons plus d'entrer.
"C'est un yacht affrété pour les missions d'explorations scientifiques et les croisières dans l'Antarctique. Il va escaler une dizaine de jours dans le centre de Bordeaux, ponton Ariane, rive gauche, dans l'axe du cours de la Martinique, avant de rejoindre les Bassins à flot", se réjouit Philippe Dorthe, président du conseil de surveillance du GPMB.
L'arrivée du Yersin est d'autant plus importante qu'elle incarne la nouvelle politique portuaire développée dans le quartier de Bacalan. Une stratégie défendue bec et ongles depuis des années par Philippe Dorthe, alors élu cantonal et régional, qui est resté le farouche partisan du maintien d'une activité économique aux Bassins à flot. Aujourd'hui ce pôle maritime industriel du XIXe siècle, composé de deux bassins et deux formes de radoub, relié à la Garonne par une écluse commandée par un pont tournant, s'est transformé en un nouveau quartier d'habitation de Bordeaux, tout en maintenant une activité navale de restauration et réparation (refit).
Des pilotes masqués pour rejoindre les bateaux
Une politique qui a pu commencer à se déployer grâce à la stratégie globale de croissance de la place portuaire mise en mouvement avec l'arrivée, en avril 2019, du nouveau président du directoire du GPMB, Jean-Frédéric Laurent.
"C'est notre premier yacht, c'est une vraie première. Nous sommes vraiment très contents ! Il n'y aura rien de visible à l'extérieur. Le Yersin ne va pas aller dans la forme de radoub, il ne sera pas en cale sèche. Il va rester raccordé au quai. Les travaux se dérouleront pendant trois mois à l'intérieur", décrypte pour La Tribune Jean-Frédéric Laurent.
Jean-Frédéric Laurent et Philippe Dorthe (photo J-Philippe Déjean)
Pendant les deux mois du confinement, le port de Bordeaux ne s'est pas arrêté de fonctionner. Ce port en grande difficulté depuis plus de deux ans, et qui s'était mis en branle pour sortir d'une crise gravissime, vient d'être rattrapé par un virus à la force de frappe dévastatrice, qui ne l'a pas encore terrassé.
"Tous les bateaux qui sont entrés dans le port ont été traités. Il n'y a eu aucun arrêt ni dans le remorquage, le lamanage ou encore la manutention. Nous avons pu démontrer qu'en plus de nos opérations commerciales nous remplissions des missions de service public. Toutes les mesures de protection ont été appliquées. Les équipages sont restés consignés à bord, les pilotes étaient masqués pour rejoindre les bateaux, les circuits de circulation ont été revus, les vestiaires nettoyés, comme les machines", évoque Jean-Frédéric Laurent.
Les ventes de céréales à l'export ont explosé de +34 %
Des mesures de sécurité appliquées depuis le début du mois de mars, auxquelles ont adhéré des syndicalistes réputés pour leur forte combativité.
"En mars et sur un an l'activité n'a reculé que de 7 %, et de 14 % en comptant l'impact des grèves pour les retraites. Beaucoup de grands ports ont plongé, avec des chutes de trafic de 40 à 50 %. Il s'agit de ports exposés à des secteurs d'activité très sensibles à la crise, comme le raffinage ou la sidérurgie. A Bordeaux, les hydrocarbures représentent 50 % du trafic mais jusqu'en mars ils n'ont pas été touchés. Quant aux céréales, qui jaugent 25 % de notre trafic, avec le blé et le maïs, leurs ventes à l'export ont explosé de +34 %", rembobine Philippe Dorthe, qui précise que de janvier à mars l'activité du GPMB a reculé de 9,5 %.
Terminal portuaire de Bassens, à Bordeaux Métropole (photo GPMB)
Le trafic de conteneurs a également été assuré ce qui, selon Philippe Dorthe, a rassuré les représentants de la compagnie maritime CMA-CGM, qui continue d'escaler à Bordeaux. Contrairement au leader mondial du conteneur, le groupe MSC, dont l'arrêt de l'activité maritime en 2018 au port de Bordeaux a traumatisé la place portuaire.
Il ne sera pas facile de relancer à plus de 70 %
Sur les 340 salariés du port, une centaine a continué à travailler en télétravail, tandis qu'une partie est passée en chômage partiel et qu'une autre travaillait sur site. Parmi les rares bonnes nouvelles à repêcher, Philippe Dorthe souligne la reprise, depuis la semaine dernière, du dragage 24 heures sur 24 de l'estuaire, pour maintenir ouverts les chenaux de navigation.
"Nous avons réussi à maintenir l'essentiel des missions du port. Jusqu'à aujourd'hui, et je dis bien aujourd'hui, nous avons réussi à éviter l'effondrement de l'activité. Disons que pour le moment nous ne nous en sortons pas trop mal. Les travaux ont repris, avec la relance du chantier de Bassens (à Bordeaux Métropole, qui est le plus important des terminaux portuaires bordelais -NDLR). Les mesures d'urgences prises par le gouvernement, comme le chômage partiel, nous ont sauvé la mise. Nos équipes reviennent sur le site. Le taux de chômage partiel va baisser, et notre taux d'activité va passer de 50 à 70 %. Mais avec les nouvelles mesures sanitaires il ne va pas être évident de faire grimper ce taux d'activité au-delà de 70 % de l'effectif, on ne peut pas encore dire", décortique pour La Tribune Philippe Dorthe.
Transition énergétique et écologique : deux enjeux
La chute des ventes d'hydrocarbures a frappé de plein fouet cette activité portuaire en avril. Les dirigeants du port s'inquiètent surtout des conséquences de la crise à moyen et long terme, en particulier avec un risque de faillites en série dans le secteur du tourisme, ce qui affecterait les fournisseurs de la filière et donc l'activité portuaire. Ils espèrent que l'Etat va répondre aux attentes des ports avec un plan de relance adapté, ne serait-ce que pour passer avec succès le cap de la transition énergétique, étant donné que les hydrocarbures -énergie fossile par excellence-, représentent la moitié de l'activité, et qu'il faut viser le transport zéro carbone.
Forme de radoub du Bassin à flot numéro un, avec l'un des ferry du Département de la Gironde (Agence Appa)
"Nous sommes à fond dans ce virage", souligne Philippe Dorthe, qui évoque également la transition écologique, en particulier avec le développement d'une activité fluvio-maritime, bien plus respectueuse de l'environnement que le transport de marchandises par camions. Un engagement dont le président du conseil de surveillance attend qu'il soit confirmé à nouveau par le gouvernement.
"Nous avons besoin d'être aidés, oxygénés pour pouvoir développer le logiciel économique de demain. Il faut amorcer la pompe ! Depuis deux mois nous sommes en cellule de crise quasi-permanente pour assurer la continuité de service du port. Nous commençons tout juste à distinguer une lueur au bout du tunnel, mais nous sommes toujours dans cette période d'alerte rouge sanitaire", recadre Philippe Dorthe.
Pour lui aucun doute : le gouvernement doit clairement confirmer la voie à suivre.
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