Evaluation des politiques publiques : les Gilets jaunes montrent qu’il y a encore du travail

Préparer les lois en réalisant des études d’impact associant les citoyens, puis vérifier que les objectifs fixés ont été atteints : ces préoccupations sont au cœur de l’évaluation des politiques publiques. Une méthode de gestion de la vie démocratique trop peu prise en compte en France par les gouvernants. C’est en substance le diagnostic posé par Danièle Lamarque, vice-présidente de la Société Française de l’Evaluation.
Sous le prisme de l'évaluation les Gilets jaunes (ici place de la Bourse à Bordeaux) apparaissent comme un authentique mouvement citoyen.
Sous le prisme de l'évaluation les Gilets jaunes (ici place de la Bourse à Bordeaux) apparaissent comme un authentique mouvement citoyen. (Crédits : Agence APPA)

C'est à Bordeaux que se sont déroulées les 14e Journées Françaises de l'Evaluation, les jeudi 13 et vendredi 14 juin, organisées par la Société Française de l'Evaluation (SFE) à Sciences Po Bordeaux, en partenariat avec la Région Nouvelle-Aquitaine. Thème retenu pour ces journées de Bordeaux : "Evaluation et démocratie : les nouveaux territoires de l'action publique". Le moins que l'on puisse dire c'est que l'évaluation des politiques publiques est bien moins connue que les procédures d'audit auxquelles sont soumises les entreprises cotées ou non cotées en bourse. L'évaluation des politiques publiques s'intéresse pourtant au bon fonctionnement de mécanismes qui restent vitaux pour la vie démocratique.

"L'évaluation doit permettre d'améliorer la connaissance de l'action publique. Elle sert aussi à rendre cette action publique plus efficace. Nous avons choisi cette année le thème « territoires et démocratie » car la crise récente des Gilets jaunes a rappelé que les gens se déplacent pour aller travailler, avec notamment des enjeux de transport, de fiscalité, de logement... Autrement-dit l'action publique va être différente en fonction des territoires", éclaire pour La Tribune Danièle Lamarque, par ailleurs membre de la Cour des comptes européenne.

Gilets jaunes, les révélateurs d'un déficit démocratique

Pour autant, les nouveaux enjeux auxquels doit faire face le pays ne relèvent pas d'un contrôle technique du bon fonctionnement des métropoles, départements ou régions.

"Les problèmes quotidiens ne suivent pas des logiques institutionnelles parce que les espaces de vie ne sont ni des institutions ni des collectivités. Les logiques institutionnelles sont différentes. Là il s'agit de savoir comment répondre à des problèmes quotidiens, comment agir ?", recadre Danièle Lamarque.

Si les réponses attendues ne sont pas d'ordre strictement institutionnel, elles engagent la puissance publique et la mobilisation des moyens d'expertise dont elle dispose déjà pour répondre avec pertinence aux attentes de la population. Concernant par exemple la question des déplacements domicile-travail en Nouvelle-Aquitaine, l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) dispose d'études fouillées sur le sujet.

"Encore faut-il savoir comment utiliser au mieux ces données dans l'espace démocratique. La crise des Gilets jaunes a agi comme un révélateur, en posant la question de l'évaluation des politiques publiques, de leur efficacité. L'évaluation doit permettre de dire de quelle façon les politiques menées par le gouvernement servent aux citoyens, qu'ils sachent à quoi sert leur argent, et à quoi conduisent ces politiques" résume la magistrate financière.

Equilibrer démocraties représentative et directe

Si cette approche strictement rationnelle permet de rapprocher l'action publique de l'ensemble des citoyens, elle semble aussi mettre au second plan la nature intrinsèquement idéologique de l'action politique. A moins que, comme le décrit ensuite la vice-présidente de la SFE, la pleine intégration de cette évaluation des politiques publiques ne marque une avancée démocratique décisive.

"Pour savoir à quoi conduisent les politiques menées, il est obligatoire de faire des comptes-rendus et c'est typiquement ce à quoi sert l'évaluation. Et c'est bien ce que devraient faire les élus politiques. Une bonne évaluation des politiques publiques implique que les citoyens soient associés aux prises de décision. Et cette problématique est au cœur de l'évaluation", déroule Danièle Lamarque.

Désignant ainsi la ligne de crête sans doute centrale où se joue le bras de fer entre Gilets jaunes et majorité présidentielle : celui de l'équilibre entre démocratie représentative et démocratie directe. Un sujet aussi vieux que la Révolution française, marquée par une longue série d'affrontements, d'alliances et de coups de force sanglants entre députés de l'Assemblée législative puis de la Convention et sans-culottes des sections parisiennes, adversaires résolus de la députation.

Une culture anémique de l'évaluation en France

Danièle Lamarque n'aborde pas le sujet mais laisse à penser que la crise des Gilets jaunes n'est pas passée inaperçue chez les spécialistes de l'évaluation des politiques publiques à l'étranger. Avec un effet qui n'a pu être que négatif pour l'image de marque de la démocratie française sous la Ve République.

"Le travail d'évaluation doit irriguer le travail parlementaire, ce qui est encore peu développé en France. Il est nécessaire d'évaluer aussi précisément que possible une loi, avant qu'elle soit votée et une fois qu'elle l'a été. Cela ne se pratique pas beaucoup dans notre pays. C'est aux Etats-Unis d'Amérique que l'évaluation des politiques publiques est sans doute la plus développée au monde", expose Danièle Lamarque.

Cette dernière juge que le gouvernement a plutôt bien réagi en organisant le Grand débat, qui a mis à jour des contradictions, par exemple entre fiscalité et environnement. Ces contradictions, qui touchent aussi l'agriculture ou d'autres secteurs, sont le lot commun d'une vie démocratique. "Répondre à ces conflits d'objectifs permet de mettre en lumière des questions très simples qui appellent des réponses très compliquées exigeant une expertise, dans l'éducation comme dans l'agriculture", résume Danièle Lamarque.

La Région Nouvelle-Aquitaine sur les rails

Si la Ve République a des problèmes avec l'évaluation des politiques publiques c'est aussi parce que sa vie parlementaire (en contradiction avec la séparation des pouvoirs énoncée par Montaigne) est soumise à l'exécutif. Ainsi, alors que l'élaboration des lois fait l'objet d'études et de discussions approfondies, d'une navette entre le Parlement et le Sénat, leur application n'est pas suivie de près. Parce que les parlementaires, dominés par la majorité du président, estiment qu'ils n'ont plus rien à faire.

"Traditionnellement l'évaluation de l'application des lois durait une demi-journée car nous ne sommes pas dans un pays parlementaire, comme le Royaume-Uni ou d'autres. Et comme nous sommes aussi très faibles dans l'étude d'impact de la loi, on a souvent beaucoup de mal à dire à quoi va exactement servir une loi. Le gouvernement semble réaliser l'ampleur de la situation et a lancé un Printemps de l'évaluation qui va conduire les parlementaires a consacrer quinze jours à cet exercice...", annonce Danièle Lamarque.

Et cette idée d'une évaluation neutre des politiques publiques progresse, non seulement à Paris mais aussi dans les régions et en particulier en Nouvelle-Aquitaine où, comme le confirme la vice-présidente de la SFE, le président (PS) Alain Rousset "veut vraiment lancer une évaluation des politiques publiques". La SFE, qui réunit aussi bien des fonctionnaires que des représentants du privé (avocats, magistrats, fiscalistes, universitaires, consultants...), compte 250 membres et entend bien poursuivre son développement.

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