A Bordeaux l’élu Michel Duchène analyse la réécriture urbaine du port de la Lune

L’image d’Epinal écolo voudrait que pour sortir de l’état comateux où l’avaient plongée les gaz d’échappement des voitures, Bordeaux, "la Belle endormie", ait eu besoin d’un prince charmant expert en dépollution. Alain Juppé n’est pas prince. Il a pourtant joué - avec les élus, les urbanistes et les habitants - un rôle clé dans la transformation de Bordeaux, passée en quelques années du statut de cité hostile à celui de ville aimable à tendance écologique. Expérience décryptée par un des acteurs du dossier : le conseiller métropolitain Michel Duchène, dans son essai "La grande métamorphose de Bordeaux". (réactualisé 07/12/2018)
Michel Duchène pose devant des clichés représentant des paysages de Bordeaux Métropole.
Michel Duchène pose devant des clichés représentant des paysages de Bordeaux Métropole. (Crédits : J. Philippe Déjean)

Dans "La grande métamorphose de Bordeaux" (Editions de l'Aube - 232 pages - 22 €), écrit en collaboration avec Maryvonne Ssossé, Michel Duchène, vice-président de Bordeaux Métropole en charge des grands projets d'aménagement urbain, retrace le virage historique qui a propulsé Bordeaux dans sa dimension urbaine actuelle.

"J'ai écrit ce livre pour faire œuvre pédagogique auprès de la nouvelle génération d'élus et de fonctionnaires de la ville. Pour leur rappeler d'où l'on venait, ce qui est toujours bon pour savoir où l'on va. Depuis 1995 Bordeaux a connu une révolution urbaine et surtout culturelle" prévient Michel Duchène.

Après avoir été un des leaders du MAN (Mouvement Anti-Nucléaire) pendant sa première vie politique, Michel Duchène a ensuite tiré un trait sur ce combat. Sans doute parce qu'à part celui de Plogoff (Finistère), rien n'a arrêté les chantiers de construction des centrales nucléaires de l'ère Giscard. Même s'il reste écologiste Michel Duchène rallie l'équipe RPR de Jacques Chaban-Delmas à la mairie de Bordeaux, avant de poursuivre avec Alain Juppé. Deux hommes politiques dans lesquels il reconnait d'authentiques Gaullistes avec lesquels il s'est entendu.

L'émergence d'une concertation urbaine

Alors qu'en 1995 Alain Juppé ne peut échapper à l'image d'un inflexible Premier ministre mis à terre par un puissant mouvement social, son élection à la tête de la mairie de Bordeaux marque le début d'un changement de style.

"Pour changer la ville nous avons organisé 2.000 réunions de concertation avec les Bordelais. Il fallait faire évoluer les comportements, sortir de la domination de la voiture, donner envie d'une nouvelle ville. Ce qui n'est pas allé sans difficultés. Il y a eu des moments violents. Mais une nouvelle conception de la ville transcendant les clivages politiques commençait à naître. Au milieu des années 1990 nous étions en train de passer de la planification de l'époque des Trente Glorieuses à un nouveau type de développement urbain, qui intégrait les habitants, avec une grande place faite à la concertation" rembobine Michel Duchène.

Alors que l'ère Chaban-Delmas s'est achevée en 1994 avec un dossier municipal aussi sulfureux qu'explosif, celui de la construction d'un métro, combattu avec opiniâtreté par de nombreux élus de tous bords et deux associations très actives, Aquitaine Alternative et Trans'Cub, avec sa figure de proue Denis Teisseire, Michel Duchène n'y voit qu'une péripétie dont il juge qu'elle était sans avenir.

A Toulouse le métro plombe les installations de surface

Il est vrai que c'est Alain Juppé qui a mis fin à ce projet finalement jugé dispendieux pour les finances publiques et inefficace comparativement à l'option du tramway, qui à prix égal permet de couvrir deux fois plus de distance.

"Alain Juppé était favorable à la solution du tramway. Ce n'est pas pour rien qu'il est allé en Alsace chercher Francis Cuillier, l'homme du tramway à Strasbourg, pour venir diriger l'Agence d'urbanisme de Bordeaux Aquitaine (A'urba). C'est avec lui que les projets de développement de la ville à moyen et long terme ont été conçus. Mais Alain Juppé n'a pas hésité à lancer des actions fortes à court terme, comme l'appropriation par la ville de Bordeaux des quais, qui appartenaient au port. Là aussi ça a été violent" recadre l'élu métropolitain.

Michel Duchène est d'autant plus convaincu du côté pro-tramway d'Alain Juppé que ce mode de transport est un choix de ville de surface : un outil qui a très fortement contribué à restructurer la ville de Bordeaux. "Il n'y qu'à voir ce qui se passe à Toulouse pour comprendre. En choisissant le métro, la municipalité toulousaine a un peu perdu en perspective. Les installations urbaines de surface ont pris un coup de vieux à Toulouse et on y trouve beaucoup plus de voitures en centre-ville qu'à Bordeaux" juge l'élu.

Un modèle bordelais situé à l'autre bout de l'Amérique

Malgré l'expertise d'un Francis Cuillier et la volonté des élus d'en finir avec cette ville aux murs noirs, dévorée par la circulation automobile depuis 1958 et l'abandon du tramway par Jacques Chaban Delmas, il fallait un modèle de référence pour avancer vers la nouveauté. Et visiblement sur ce terrain aussi, rien n'allait de soi.

"Peu de villes se sont transformées de façon aussi globale, cohérente et rapide que Bordeaux. Ce modèle nous ne l'avons pas trouvé en France. Il a fallu que nous allions à Portland, aux Etats-Unis. Cette ville de l'Oregon a réhabilité ses quais (Portland est traversée par le fleuve Columbia et se trouve à une centaine de kilomètres de l'océan Pacifique - NDLR), instauré un tramway gratuit en centre-ville, etc. Portland est une ville d'Amérique du Nord qui a évolué comme une ville nord-européenne. Nous sommes allés aussi à Barcelone, Amsterdam ou Rotterdam" égrène Michel Duchène.

Une ville, même portuaire, n'est pas une sorte d'être vivant qui évolue de lui-même mais une structure modelée par la volonté et la main de l'Homme : c'est la conviction profonde des artisans de la transformation bordelaise. Car aux Etats-Unis Portland est un peu considéré comme l'antithèse de Houston, une ville que les autorités laissent quasiment pousser d'elle-même.

"Darwin doit apporter un supplément d'âme"

Impulsée par le maire de Bordeaux avec la planification de la création de toute une série d'écoquartiers, l'intégration de l'écologie dans l'urbanisme de la métropole bordelaise provoque parfois l'apparition de contradictions plutôt explosives. En particulier à Bordeaux Bastide, sur la rive droite, avec l'Ecosystème Darwin. Cette zone d'activité écologique et collaborative unique en France s'affronte avec les promoteurs du gigantesque écoquartier Bastide Niel, où 3.400 logements sont en train de sortir de terre, et dans lequel Darwin se retrouve enclavé. Sujet brûlant que Michèle Duchène balaie presque d'un revers de la main.

"Darwin doit apporter un supplément d'âme, du lien social au futur quartier Bastide Niel. Créer du lien social rapidement dans un nouveau quartier pour avoir un sentiment d'appartenance, c'est très difficile. Donc Darwin va aider à la création de ce lien à Bastide Niel. Les problèmes actuels entre Darwin et les promoteurs de Bastide Niel sont le produit du frottement entre des caractères bien trempés, ceux de Philippe Barre (Darwin) et Pascal Gerasimo (Bastide Niel)" estime l'élu bordelais.

Notons que Michel Duchène, par ailleurs adjoint au maire de Bordeaux, est désormais l'un des rares élus à défendre le principe d'une densification de l'habitat pour éviter l'étalement urbain.

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