Comment la CRC de Nouvelle-Aquitaine a obtenu la dissolution de "Confucius et Hippocrate"

La Chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine a obtenu la dissolution de l’association picto-charentaise "Confucius et Hippocrate", centrée sur la formation à la française de praticiens chinois, dont les techniques comptables étaient plus qu'approximatives.
L'Institut Confucius de l'Université de Poitiers
L'Institut Confucius de l'Université de Poitiers (Crédits : Institut Cofucius université de Poitiers -DR)

La Chambre régionale des comptes (CRC) de Nouvelle-Aquitaine s'est penché sur la déroutante activité de l'association "Confucius et Hippocrate" de 2012 à 2015. Le siège de cette association créée en 2012 a été logé à l'Institut Confucius de l'Université de Poitiers. C'est que la capitale poitevine a accueilli le premier de ces centres culturels chinois en France et le second en Europe. Des centres voués à l'apprentissage de la langue et de la culture chinoises et qui sont des relais d'influence bien connus de la Chine populaire dans le monde.

"...Elle (l'association) organise des formations à l'attention des fonctionnaires responsables de la santé, des directeurs d'hôpitaux, et des médecins ou personnels soignants chinois, notamment en lien avec l'Université de Poitiers et la Conférence nationale des directeurs d'Instituts de préparation à l'administration générale (IPAG) et des directeurs des Centres de préparation à l'administration générale (CPAG), dans le cadre des accords signés avec la ville de Nanchang" précise le rapport de la CRC qui s'étonne, face à de si ambitieux engagements, que l'association "Confucius et Hippocrate" n'ait jamais eu de salariés.

Inconnue de l'ARS, logée à l'Institut Confucius

Ceci avant de pointer une autre irrégularité dans la conception de l'association.

"En raison de son champ d'intervention et de la présence prépondérante de centres hospitaliers dans les instances dirigeantes de l'association, l'Agence régionale de santé - ARS - (alors à Poitiers) aurait dû être informée de la création de celle-ci. Tel n'a pas été le cas", relève la CRC.

Le rapport de la Chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine rajoute ensuite un élément de contexte qui semble apporter un éclairage supplémentaire à cette situation.

"Les statuts disposent que le siège social (de l'association) est fixé à l'Institut Confucius de Poitiers, et qu'il peut être transféré, sur décision du conseil d'administration, sous réserve de ratification par l'assemblée générale. Cet institut universitaire fait partie d'un ensemble de même nature réparti en France. Il est logé à l'université de Poitiers. Son personnel est en grande partie mis à disposition par l'Etat chinois" déroule le rapport de la CRC.

Et pour simplifier les choses la CRC relève ensuite que, depuis qu'elle a été fondée, l'association n'a jamais siégé à l'Institut Confucius mais bien au CHU de Poitiers, sans que la localisation du siège social n'ait été modifiée...

Un trésorier aux abonnés absents

Toujours est-il que c'est bien son mode de fonctionnement qui a valu à l'association "Confucius et Hippocrate" les foudres de la CRC, qui voit dans cette structure une coquille vide.

"Si l'objet de l'association est ambitieux, son organisation institutionnelle reste imprécise, et traduit un manque d'existence réelle. Il en est ainsi de l'absence de salariés ; d'un secrétariat assuré dans des conditions irrégulières ; de l'absence d'exercice des compétences du trésorier ; d'une organisation déficiente des missions et déplacements, principalement en Chine" tranche le rapport des magistrats financiers au chapitre "Objet, organisation et fonctionnement".

Concrètement l'association "Confucius et Hippocrate" va organiser des stages de formation à la médecine française destinés à des praticiens chinois, et inviter ces derniers en France. Alors que le protocole d'accord signé dans ce cadre entre l'université de Poitiers (Ipag) et l'association, en date du 5 mai 2012, stipule que "la totalité de la logistique (repas et hébergement compris" est à la charge de la partie chinoise, c'est le contraire qui va se passer.

30.000 € de recettes très fondantes

Le stage de mai 2012 va rapporter à l'association une recette de 30.000 € payée par le représentant chinois de la délégation de fonctionnaires de la province de Jiangxi pour une formation à Poitiers. Mais les modalités de paiement laissent pantois. Le représentant chinois va ainsi payer les 30.000 € en liquide au président de l'association qui va les déposer dans un coffre loué. Outre que rien ne prévoit un paiement en liquide ni ne justifie le montant, la CRC critique la note signée par le président de l'association qui indique sobrement, "paiement cash dû aux restrictions de sortie de devises imposées aux Chinois, qui tous font aussi de nombreux achats en France. Reçu la somme de 1.500 € x 12 stagiaires, 30.000 €".

La CRC s'insurge contre cette forfaitisation injustifiable de la formation et se demande ce que vient faire l'évocation d'achats, puisqu'aucune pièce comptable ne permet de les connaître. Et puis, concernant les coûts logistiques déjà cités, la CRC tombe des nues. L'association a ainsi payé, avant le début de la formation, pour 1.178,30 € "de différents frais de la délégation chinoise de Paris à Poitiers", plus 236 € de visite du château de Chambord, somme versée "à un stagiaire de l'Institut Confucius" qui avait avancé l'argent.

200 € de cadeaux en duty free

Ce même stagiaire, sans qu'aucune convention ou document n'autorise un système d'avance et remboursement pareil, a également reçu de la part de l'association deux autres sommes, pour un total d'un peu plus de 1.600 €, en remboursement de frais de visites de châteaux de la Loire, d'un déjeuner au Futuroscope et d'un repas de fin de stage. "S'agissant du Futuroscope, les billets d'entrée et la nuit d'hôtel ont été payés directement aux bénéficiaires (les stagiaires - NDLR). Le coût de cette visite (billetterie, déjeuner et hôtel) est de 9 340 €" précise le rapport. La CRC estime qu'au final l'addition réglée par l'association, à 22.710 €, est trop salée étant donné le protocole signé avec l'université de Poitiers.

Le rapport dénonce ensuite l'absence de contrôle des dépenses du président lors de ses voyages en Chine, puisqu'il n'a pas besoin de pièces justificatives à fournir. Ainsi en 2013 le président de "Confucius et Hippocrate", qui a perçu une indemnité journalière de 210 € pour son voyage en Chine, pendant six jours, a effectué pour 429,95 € de retraits injustifiés avec la carte bancaire de l'association, auxquels s'ajoutent "pour environ 200 € de cadeaux achetés aux boutiques "Duty free" de l'aéroport Charles-de-Gaulle. Certes, "offrir des cadeaux est d'usage en matière de coopération internationale et les montants ne sont pas élevés", accepte de façon étonnante la CRC, mais l'association, poursuit toutefois le rapport, "gère une activité d'intérêt général en partie alimentée par des fonds publics".

Développer l'influence française en Chine

Parmi d'autres incongruités, le paiement par chèque de 1.283,50 € en 2015 sans que le nom du bénéficiaire ne soit connu. Sans parler de l'absence de tenue d'une vraie comptabilité. Plusieurs centres hospitaliers de Poitou-Charentes étaient liés à l'activité de l'association, dont le Groupement hospitalier de Territoire Atlantique 17, Groupe hospitalier de la Rochelle-Ré-Aunis, dont le directeur a répondu à la CRC. Dans cette réponse le directeur observe notamment que "le travail qui a été effectué pendant plus de dix ans au niveau de l'ex-région Poitou-Charentes par la création d'un master de gestion des hôpitaux lié au diplôme de l'Institut d'administration des entreprises de Poitiers et l'Institut franco-chinois de Nanchang a permis de former de nombreuses promotions de cadres hospitaliers chinois (...) ceci permettant de développer l'influence française au niveau hospitalier".

Concernant "Confucius et Hippocrate", le directeur de ce centre hospitalier souligne en particulier que les "différents intervenants de l'association étaient tous bénévoles assurant d'autres fonctions professionnelles très prenantes et ne pouvant disposer que de peu de temps". Le rapport de la CRC de Nouvelle-Aquitaine a conduit, comme elle l'avait demandé, à la dissolution de l'association dont le directeur est entre-temps décédé dans un tragique accident.

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