A l’heure des réseaux sociaux, à quoi peuvent bien encore servir les débats politiques télévisés ?

Frédéric Dosquet est professeur à l’ESC Pau. Il est docteur en sciences de gestion, auteur d'une thèse en marketing politique, il a publié une quinzaine d'ouvrages, dont "Marketing et communication politique" et livre à La Tribune son regard sur l'utilité des débats politiques télévisés, à l'heure des réseaux sociaux.
Frédéric Dosquet

Cette question à l'ère du digital et du numérique envahissants peut être posée. Ces débats ne seraient-ils pas le reflet d'une Ve République en perte de vitesse ? Bien loin d'être désuets, les débats télévisés occupent encore toute leur place dans la formation des opinions des électeurs et peuvent même être décisifs, et ce, pour plusieurs raisons.

Des audiences record

Quelques éléments de réponse peuvent être apportés. Le premier débat a été suivi par beaucoup de Français, près de 10 millions de personnes, soit plus de 20 % du corps électoral (47 millions de votants). Ce chiffre considérable est une preuve manifeste que l'exercice du débat télévisé n'est pas désuet. Ces débats sont ces quelques moments vivants et vifs des combats, qui, n'en déplaise à notre esprit cartésien, constituent des instants forts des campagnes. Car le choix électoral n'est pas fait que de réflexions sur les propositions des uns et des autres des candidats. La part d'émotions que peuvent laisser transparaître les échanges télévisés compte aussi dans la formation attitudinale des électeurs.

Il est tout autant intéressant d'apprécier la gestion émotionnelle des postulants que leurs programmes afin de se faire une idée de leur personnalité. Savoir maîtriser ses émotions, résister à la contre-argumentation de ses adversaires, esquiver les attaques et finir par modifier, créer des doutes dans des opinions qui étaient négatives, ce sont là toutes les possibilités qu'offre l'exercice des débats télévisés, alors que les média sociaux ne le permettent pas.

Une confrontation directe

En dépit des critiques justes sur le fait de ne pas pouvoir y développer une argumentation solide par manque de temps, ils permettent néanmoins d'éclairer le choix des électeurs. Les travaux en marketing politique montrent que sauf accident, ces débats télévisés ne changent pas radicalement la donne. Les attitudes des électeurs ne varient pas du tout au tout à la suite de ces joutes télévisées. Rappelons que leur fonction n'est pas non plus celle-ci. L'objectif n'est pas tant de faire varier les opinions que de les éclairer. Car, mis à part ces débats publics, nul autre endroit n'est prévu à la confrontation des idées entre candidats. Ce n'est ni dans les documents de campagne, ni dans les meetings, que les postulants ne peuvent directement s'opposer. Or, il est primordial pour le citoyen de pouvoir apprécier les arguments des uns et des autres sur des sujets fondamentaux de société. Bien sûr, le temps du débat peut sembler court, amenant les candidats à survoler les problèmes et les solutions préconisées ; mais l'essentiel est là, la confrontation est directe et les approximations, quand elles existent, sont mises à nu. A cette critique de superficialité du média télé, c'est pire avec les média sociaux, qui ne sont que dans l'immédiateté : 140 caractères, c'est un peu court.

La télévision, un média collectif

Les débats télévisés sont à l'image des temps forts des démocraties, comme ce que représentent les élections. Le sentiment d'appartenance à une nation, le jour des scrutins, est exacerbé. Les dimanches d'élection constituent ces grands moments faits de tensions et de suspense, propres aux démocraties. La télévision en ces journées dominicales redevient le point de ramification. L'image qui reste de ce jour-là est l'apparition sur le petit écran du visage du vainqueur, qui, petit à petit, se dessine.

Mais, en amont, ce qui reste aussi dans les mémoires collectives, ce sont les images issues des débats télévisés. A chaque élection présidentielle, en mémoire, restent les célèbres joutes entre les candidats. Ces batailles de mots sont gravées dans la mémoire collective. De "Vous n'avez pas le monopole du cœur, Monsieur Mitterrand", lancé par Valéry Giscard d'Estaing en 1974 à l'utilisation de l'anaphore "Moi, Président" par François Hollande face à Nicolas Sarkozy, ces quelques mots ont fait mouche et ont définitivement dynamisé ou au contraire freiné les derniers espoirs de certains d'entre eux.

Alors oui, les média sociaux sont devenus incontournables, notamment en communication politique. Par leur efficacité de diffusion de nouvelles, ils sont des outils très prisés des spin doctors (conseils en communication politique) et de leurs clients. Mais ils ne sauraient remplacer les média traditionnels, au premier rang desquels la télévision, dans la fabrication des opinions politiques. Ils restent, ces débats télévisés, un grand moment d'unification du corps électoral et servent quelque part la démocratie dans l'éclairage des programmes et des personnalités des candidats. Arrêtons donc de les envoyer au pilori et vivement les prochains pour parfaire nos opinions sur les offres électorales pour cette élection 2017.

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