Finances : le Lot-et-Garonne en situation critique

Au terme de la longue réponse qu’il a adressée aux magistrats financiers de la Chambre régionale des comptes, à la suite du rapport consacré par cette dernière au Conseil départemental de Lot-et-Garonne, Pierre Camani, sénateur (PS) et président du Département, alerte sur une situation financière plus que critique.
Pierre Camani, sénateur et président (PS) du Conseil départemental de Lot-et-Garonne

Le dernier rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) de Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes), présidée par Jean-François Monteils, est consacré au Conseil départemental de Lot-et-Garonne. Comme le rappelle la CRC, le Lot-et-Garonne, qui est traversé en son centre par la vallée de la Garonne, entre Bordeaux et Toulouse, et qui rayonne du Quercy, à l'est, jusqu'à la forêt des Landes, à l'ouest, est le plus petit des cinq départements de l'ex-Aquitaine, avec 5.361 km2, mais aussi le moins peuplé (333.182 habitants) et le plus pauvre.

La CRC souligne "la très forte implication du département de Lot-et-Garonne dans le secteur du développement économique au sens large". C'est ainsi que la chambre régionale des comptes s'est intéressée, dans ce rapport, qui court de 2010 à 2015, en particulier aux interventions économiques du Conseil départemental et à la gestion du personnel de cette collectivité.

400 cottages pour près de 2.000 lits

"L'examen du contenu des comptes ne conduit pas à émettre de doute sérieux sur leur fiabilité globale", observe tout d'abord le rapport de la CRC, ce qui ne l'empêche pas, au-delà d'une appréciation globalement positive, de se montrer critique dans les détails. Concernant l'engagement du Conseil départemental dans l'animation du tissu économique, la CRC observe ainsi que l'institution "ne s'entoure pas toujours des assurances et garanties nécessaires, conduisant à faire peser sur ses finances des risques externes dont il n'est pas certain qu'ils soient tous parfaitement connus et anticipés".

Parmi les exemples décortiqués par la CRC figure le projet de construction par le groupe Pierre et Vacances d'un Center Parcs à Pindères, dans la forêt des Landes de Gascogne, à une dizaine de kilomètres de Casteljaloux. Projet qui avait été sévèrement critiqué en son temps par le Ceser (Conseil économique, social et environnemental régional) d'Aquitaine, alors présidé par Luc Paboeuf. Ce parc lot-et-garonnais, qui doit ouvrir en juin 2019, prévoit en particulier la construction de 400 cottages représentant près de 2.000 lits, le tout pour une emprise foncière de 130 hectares. Sur les 170 M€ d'investissement hors taxes prévus, les collectivités, c'est-à-dire le Conseil départemental, la Région et l'Etat doivent intervenir à hauteur de 25 à 30 M€.

Le power point de Pierre et Vacances

La CRC se montre sévère dans son analyse du projet. La chambre regrette tout d'abord que le Département n'ait réalisé aucune étude de chalandise pour estimer les besoins en nuitées du territoire et son potentiel de fréquentation touristique. Elle déplore que la collectivité se soit appuyée "uniquement sur le power point présenté par le groupe PVPC (Pierre et Vacances, NDLR) ainsi que sur une note très succincte, décrivant les recettes attendues, la nature du partenariat et une décomposition financière du bail des équipements de loisirs".

La Chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine semble même se montrer sarcastique quand, citant une étude en cours lancée sur ce projet par le Département, elle s'inquiète ouvertement de la démarche.

"Le département semble se reposer sur l'analyse de PCVP pour évaluer la viabilité et les risques du projet, puisque cette note souligne que "Pierre et Vacances est avant tout une entreprise qui cherche par essence la rentabilité. Sa vocation n'est donc pas de lancer de nouveaux projets d'implantation à la légère. Le postulat de départ est donc que l'opération est fiable. Mais effectivement le risque zéro n'existe pas"."

Un exemple de cottage Center Parcs (DR)

La bataille de la SEM

Le Département a décidé de créer une société d'économie mixte (SEM) pour assurer le portage financier d'équipements qui seront ensuite exploités par une société privée ce qui, selon les magistrats financiers, est contraire à l'objet de ce type de société prévue notamment "pour réaliser des opérations d'aménagement, de construction, pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial, ou pour toute autre activité d'intérêt général".

Le Département renvoie la CRC à l'arrêt d'un juge administratif de l'Isère qui, dans un dossier similaire, a justifié de l'intérêt général. Argument que cite le rapport sans pour autant le trouver pertinent. Le Conseil départemental devrait investir 27,9 M€ dans cette opération (pour un financement public de 35 M€), sous forme de subventions et de fonds propres, et la CRC constate que "Le Département n'a fourni aucune analyse propre des retombées potentielles".

Chiffrer l'impact réel

La Chambre régionale des comptes recommande au Conseil départemental de Lot-et-Garonne "d'une part de chiffrer l'impact réel du projet sur l'emploi local et par contrecoup sur ses dépenses d'aide sociale, les emplois créés s'adressant généralement au public éligible à ces aides, et d'autre part, de calculer le retour sur investissement du projet pour le département lui-même". Le président Pierre Camani a répondu en plusieurs pages au rapport de la CRC de Nouvelle-Aquitaine.

Concernant son implication dans l'économie locale et sa politique d'avances remboursables, le président du Département cite "des aides au démarrage ou au développement d'entreprises, sur lesquelles nous avons peu de difficultés de recouvrement" mais aussi "des aides de restructurations financières des entreprises en co-instruction et cofinancement avec la région et les collectivités concernées...". Pierre Camani reconnait que ces opérations de la dernière chance "sont à l'origine des difficultés de remboursement que vous mentionnez dans votre rapport (Xylofrance, parquets Marty...)".

Center Parcs à Pindères : un site de 130 hectares à créer en forêt (DR)

Retour sur investissement bien calé

Pour autant le président du Département défend le bilan.

"Compte tenu de nos modalités d'intervention, le taux de recouvrement des sommes avancées par nos soins (85 %) est dans le contexte de crise économique que nous connaissons, tout à fait conforme à celui constaté sur le territoire national, voire supérieur."

A noter que depuis 2015, avec la loi Notre (Nouvelle organisation territoriale de la République), les conseils départementaux n'ont plus de compétence en économie. Dans sa réponse sur le dossier Center Parcs, Pierre Camani explique que l'option du portage financier du projet par une SEM découle d'une étude juridique qui l'a jugée pertinente. Et puis la préparation n'en est pas restée là.

"Une projection du plan d'affaires de la SEM a été transmise aux banquiers rencontrés le même jour, et une réunion technique a été programmée avec eux. L'étude a calculé très précisément le retour sur investissement et conclut qu'avec un apport en capitaux propres publics de 27,9 M€ (toutes collectivités confondues) l'actionnaire récupère au terme de 20 ans l'intégralité de son apport. De plus, à l'issue de cette période, les collectivités restent propriétaire d'un bien à valeur résiduelle", argumente le président.

Situation plus que critique

Le Conseil départemental évalue à la création d'emplois par Center Parcs à 250 à 300 ETP (équivalent temps plein) pendant les travaux et à 300 pour assurer le fonctionnement de l'infrastructure. Pierre Camani conclut sa réponse en insistant sur les économies faites et la politique de contrôle renforcé de l'affectation des allocations individuelles de solidarité, tout en prévenant que "l'évolution du reste à charge des prestations sociales dans les départements pauvres et à faible base fiscale, tels le Lot-et-Garonne (...), font craindre l'apparition rapide d'une impossibilité de réaliser l'équilibre budgétaire sans appui spécifique de l'Etat". La dernière phrase du président de l'assemblée départementale sonne comme un ultime coup de tocsin. "Dès 2016, année que votre rapport ne prend pas en compte, les difficultés financières ont atteint un seuil critique qui ne peut que s'accentuer en 2017", lance le président.

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Commentaires 2
à écrit le 21/02/2017 à 16:41
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Encore un exemple de gabegie de projets mal ficelés. Le département -surtout celui-là- est trop petit pour réaliser des études approfondies de faisabilité et, surtout, de rentabilité. Ce ne devrait pas du tout être dans ses compétences. Je croyais d...

le 23/02/2017 à 10:11
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"pousse a la roue" Que voulez-vous dire ? Une petite enveloppe peut-etre ? Situation de la France sur le tableau mondial de la corruption: 23 eme place. Pas mal non ?

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