Grâce à Reachy, son avatar primé, Pollen Robotics teste un monde avec moins d'avions

La startup bordelaise Pollen Robotics a fait un carton lors du concours ANA Avatar XPrize où elle décroche la deuxième place mondiale et un prix de deux millions de dollars pour l'adaptation télé-opérable de son robot Reachy à des manipulations industrielles fines. Un concours organisé par ANA, compagnie aérienne japonaise parmi les plus puissantes au monde, qui envisage parmi ses réflexions des alternatives aux déplacements en avion.
C'est Reachy 2, la nouvelle version de Reachy (notre photo), le joli robot de Pollen Robotics qui a fait des étincelles aux Etats-Unis.
C'est Reachy 2, la nouvelle version de Reachy (notre photo), le joli robot de Pollen Robotics qui a fait des étincelles aux Etats-Unis. (Crédits : Pollen Robotics)

Dirigeant de la startup bordelaise Pollen Robotics, qu'il a cofondé avec Pierre Rouanet, Matthieu Lapeyre, spécialiste (comme son associé) en robotique et intelligence artificielle formé à l'Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique), à Bordeaux, est heureux. Parce que Pollen Robotics a frappé un grand coup dans le cadre du concours international ANA Avatar XPrize, doté de dix millions de dollars. Lancée depuis 2021 dans cette compétition qui a démarrée en 2018, la startup avait du retard à rattraper.

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 Mais Pollen Robotics est aussi une petite entreprise avec une activité commerciale à développer : les ventes de son robot Reachy, qui s'est retrouvé face à plusieurs bureaux d'études dotés d'importants moyens financiers et de beaucoup de temps. D'où l'importance de la performance des Bordelais, qui s'arrogent une brillante seconde place face à des équipes du monde entier, et qui décrochent une gratification de deux millions de dollars qui va leur changer la vie... L'ANA Avatar XPrize est en effet un concours international de très haut niveau lancé avec 99 équipes, qui s'est achevé début novembre au Long Beach Convention & Entertainement center  (Californie), où les prix ont été remis.

"Avec la pénurie de composants c'était pas mal l'enfer. Au bout de trois mois d'attente nous avons réussi à en trouver pour les quatre moteurs dont notre robot Reachy avait besoin. Mais au moindre pépin c'était fini, impossible de remplacer quoi que ce soit, nous n'aurions pas eu droit à une deuxième chance. Nous avons développé le robot du concours XPrize à partir de Reachy. Et c'est Reachy 2 qui a gagné cette deuxième place au concours. Les deux millions de dollars vont sécuriser notre activité pendant deux ans et ça tombe bien parce qu'avec la pénurie de composants nous ne pouvions plus livrer de robots, et donc l'argent ne rentrait plus", rembobine Matthieu Lapeyre pour La Tribune.

Reachy : le talent et la sobriété financière

Les sportifs ont l'habitude de dire que la deuxième place est la pire du classement. S'il n'a pas de rancœur vis-à-vis du vainqueur allemand NimBro, à Bonn, qui a empoché cinq millions de dollars, Matthieu Lapeyre est convaincu que son entreprise, qui a terminé devant Team Northeastern, de Boston (Massachussetts), doté d'un million de dollars,  est passée au ras de l'exploit sans s'en plaindre vraiment. Ne serait-ce que parce que NimBro et Team Northeastern sont deux laboratoires de recherche disposant de moyens importants, souligne la direction de Pollen Robotics. Et que la startup bordelaise a obtenu la même note maximale de 15/15 que le vainqueur allemand.

"Nous, nous avons présenté un robot qui existe déjà, qui est à nous et que nous avons modifié. Des changements qui ont porté sur le bras et la main droite, afin de les rendre aussi agiles que possible. Ainsi nous n'avons pas dépensé plus de 20.000 à 30.000  euros pour transformer Reachy 1 en Reachy 2. Alors que l'équipe allemande, qui a gagné, a investi 500.000 euros dans son robot qui n'aura servi qu'une fois : pour le concours. S'il y avait eu une clause portant sur les conditions économiques de l'innovation nous aurions gagnés ! Car l'équipe allemande et la nôtre ont surclassé toutes les autres", pilonne Matthieu Lapeyre.

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Les ingénieurs japonais d'ANA au cœur du futur

Car il ne faut pas s'y tromper : sous une apparence faussement décontractée, qui se manifeste dans sa marinière à la Jean-Paul Gautier, Reachy est déjà un robot télé-opérable tout à fait opérationnel qu'achètent de grandes entreprises pour prouver l'intérêt qu'il pourrait y avoir à s'équiper de machines semblables, quand ce ne sont pas des laboratoires impliqués dans des travaux de recherche. Et contrairement aux apparences encore, malgré sa maigreur apparente, Reachy 1 a une véritable épaisseur, une vie intérieure riche des émotions et des calculs faits en temps réel par les opérateurs qui décident de se glisser en lui pour le manipuler à distance.

Pollen Robotics Reachy primé

La version Reachy 2 mobilisée pour le concours d'ANA (crédits : Pollen Robotics).

Pollen Robotics n'a pas encore inventé le robot du génial film sud-africain « Chappie » (2015), où peut se télécharger l'esprit humain, ni même les versions homéostatiques des modèles inventés par Philip K. Dick dans les années 1960, des machines télé-opérables mais également autonomes, que la CIA envoie répandre la propagande américaine en zone soviétique dans le roman « Les Clans de la lune alphane » (1964).

Pourtant, et malgré la distance qui reste à parcourir pour y arriver, Reachy 2 s'en rapproche et l'organisateur du concours, la firme ANA (All Nippon Airways), basée à l'aéroport de Tokyo-Narita, n'a pas le moindre doute à ce sujet puisque le concours "vise à créer un système d'avatar capable de transporter la présence humaine vers un lieu éloigné en temps réel", précise l'organisation. Et pour cela les robots doivent permettre à l'utilisateur qui les commande à distance de voir, entendre, toucher et interagir avec l'environnement.

Le parti pris "low tech" de la startup bordelaise

Pour briller lors de ce concours, Pollen Robotics a focalisé ses efforts sur le bras et la main droite. Objectifs : booster les phénomènes de rétroaction pour atteindre la sensation la plus juste possible quand le robot prend un objet dans sa main et le déplace.

"Nous avons récupéré des casques de réalité virtuelle basiques que nous avons enrichi avec des éléments supplémentaires côté écrans pour que, quand je bouge la tête, Reachy la bouge aussi à l'identique. Nous avons installé une manette pour bouger les bras et la main, là aussi avec une sensation de rétroaction, de retour de force mais aussi de toucher. C'est pourquoi nous avons développé un bras et une main à rétroactions télé-opérables", éclaire le patron de Pollen Robotics.

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Qu'il s'agisse d'aider au quotidien des personnes âgées dépendantes ou d'intervenir dans des situations d'urgences, la palette des options qui commence à s'ouvrir avec ces premiers avatars téléopérés est très vaste. Matthieu Lapeyre souligne le fait qu'actuellement le monde des robots et celui des hommes restent pour l'essentiel séparés l'un de l'autre.

Parce que tout rapprochement non strictement contrôlé peut être dangereux, à cause des caractéristiques lourdement industrielles des robots, dont la puissance représente un danger potentiel pour les être humains. Même si Pollen Robotics a déjà eu l'occasion de développer un robot en carton à assembler soi-même sans danger pour les enfants.

"En usine les robots sont habitués à faire toujours la même tâche à la même heure au même endroit. Dès qu'on leur demande d'intervenir d'une façon un peu humaine, de s'adapter à des situations nouvelles cela mine leur stabilité et les fait plonger dans une situation chaotique où tout bouge tout le temps : c'est à cette transition entre les deux mondes qu'il faut les entrainer", complète le dirigeant de Pollen Robotics.

Depuis janvier 2022, Pollen Robotics a confié la fabrication en série de ses robots Reachy à l'entreprise charentaise Etsa Electronics & Systems, à Angoulême.

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L'exploration d'un monde où les avions ont disparu

"Nous avons construit un robot léger et agile capable de porter trois ou quatre kilos de matériel, que l'on peut commander à longue distance. L'épreuve prévoyait que l'on forme un opérateur non initié pour vérifier que tout marchait comme prévu pendant le concours. Utilisateur lambda qui était en fait l'un des juges chargés d'expérimenter les robots. Nous avons pu former le nôtre en 45 minutes, ce qui a impressionné", relate Matthieu Lapeyre.

Le calcul fait par ANA, l'une des plus puissantes compagnies aériennes au monde, qui a de très gros moyens de financement en recherche et développement mais aussi en prospective, est à la fois simple et vertigineux puisqu'il s'agit de voir comment fonctionnerait un monde sans avions. Car parmi toutes les options testées au cours du concours, la compagnie japonaise a mis à l'épreuve un scénario qui lui tient à cœur.

"La compagnie aérienne japonaise a financé ce concours car ses dirigeants pensent que ça va bouger avec les avions. Ils s'intéressent à ce qui va se passer après l'avion. C'est pourquoi ils testent des robots télé-opérables à longue distance, qui pourraient se déplacer à notre place. Au lieu de prendre l'avion, il suffirait d'activer l'un de ces robots à l'endroit où l'on devait se rendre et de se déplacer avec tout en pouvant ressentir des sensations, que l'on aille dans un musée ou une ville", éclaire Matthieu Lapeyre.

Un scénario pas forcément enthousiasmant qui explore les retombées potentielles de la montée en puissance de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre par le prisme d'une certaine sobriété. Les mobilités en général et les transports individuels en particulier deviennent de nouveaux enjeux climatiques qui pourraient à terme réécrire le cadre d'exercice de la liberté de circulation.

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