A Bordeaux, le moment numérique de la lutte contre le harcèlement

Dans la capitale girondine, une vague de témoignages de harcèlement, notamment autour des bars d'ambiance, cristallise les craintes en cette fin d'année. Une toute jeune entreprise s'engouffre dans ce moment pour proposer une solution numérique à un fléau toujours pas résolu. Mais d'autres, qui avaient déjà investi le terrain, se sont heurtées à la difficile considération du problème, notamment en milieu professionnel.
Maxime Giraudeau
(Crédits : Cuidam)

A Bordeaux, l'effroi est vite retombé. Après qu'un témoignage a circulé sur un cas de prélèvement de rein sur une personne droguée dans un quartier nord réputé pour ses lieux festifs, la psychose s'est emparée du public fin novembre. Mais la rumeur est rapidement démentie et déconstruite, n'enlevant toutefois rien aux problèmes recrudescents de victimes droguées dans les bars et boîtes de nuits à Bordeaux ou ailleurs.

Une mise en lumière d'un fléau dont profite une toute jeune pousse bordelaise pour lancer sa communication et mettre sur la table sa solution. Nom de code : Saveday. Pensée depuis la sortie du premier confinement en août 2020, l'entreprise fondée par trois jeunes étudiants propose une application cartographique permettant aux victimes de signaler un cas de harcèlement sur la voie publique.

Outil tout à fait nécessaire mais sans véritable modèle de référence pour lui conférer une rentabilité. "L'abonnement annuel sans objet connecté n'est pas assez efficace en situation d'agression ou de harcèlement, c'est pour cela que l'intégration d'un objet connecté est primordial", explique Nicolas Herman, 21 ans et cofondateur.

Course au développeur

A l'instar de MyEli et de son bijou connecté, Saveday veut concevoir un prototype permettant à une victime de harcèlement d'avoir instantanément accès à un dispositif de signalement. Le trio d'étudiants démarche déjà des fabricants pour développer une technologie "ne dépassant pas un prix de vente à 20 euros l'unité".

Sans tabler sur un seuil de rentabilité défini, l'entreprise créée en avril 2021 aura besoin de 100.000 euros pour lancer son objet connecté. En parallèle, une campagne de souscription a été lancée pour financer le déploiement de l'application. Le trio veut d'ailleurs intégrer un développeur en 2022. Heureusement pour eux, les étudiants vont recruter un ami, sur un marché bordelais des développeurs qui s'enflamme.

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Saveday n'envisageait d'ailleurs a aucun moment de lutter contre le harcèlement sans s'appuyer sur le digital. "Le harcèlement survient plutôt le soir quand on est dans la rue et souvent quand on est seul", pointe Nicolas Herman, justifiant l'outil digital comme première ressource disponible dans ces cas-là.

Besoin d'humaniser l'offre

Mais quand il est la réponse, le monde numérique peut aussi constituer le problème. C'est dans cette perspective qu'un autre acteur, My Twiga, s'était lancé en septembre 2020 dans une application destinée aux parents. Celle-ci permet d'être sensibilisé aux moyens efficace de prévention du harcèlement, cyber ou scolaire, et d'avoir un œil sur l'activité numérique de ses enfants. Un dispositif de surveillance ? "Plutôt un cadre d'utilisation", indique Arnaud Gheysens, cofondateur et président de la startup.

"Comme tous les parents, nous sommes confrontés à devoir gérer l'éducation numérique dans des familles où les smartphones arrivent de plus en plus tôt. La digue du collège a cédé, les portables arrivent dès la primaire. Les parents ne savent pas encore comment gérer ça" développe-t-il.

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Pour contrer le phénomène, la startup a conçu une application qui répertorie des méthodes de prévention du harcèlement et propose une option payante permettant de suivre l'activité numérique de l'enfant ou adolescent. Autre service ajouté, monétisé cette fois : la possibilité d'un échange personnalisé avec des experts, histoire aussi d'humaniser l'offre.

La numérisation est un parti pris défendu par les créateurs, alors que leur service renforce encore l'emprise du digital sur la pratique des jeunes. "Les ados, de toute façon, possèdent un téléphone, donc le digital constitue une porte d'entrée. C'est aussi un moyen de toucher énormément de parents !"

Les écoles plus ouvertes que les entreprises

Avec le seuil du millier d'utilisateurs atteint en un an, pour un abonnement à 4,90 euros par mois, My Twiga espère trouver l'équilibre économique d'ici 2023. Mais, pour ces jeunes structures, il reste à convaincre un public cible qui peine encore à distinguer les bénéfices potentiels que les services peuvent leur apporter. Une troisième en a fait l'expérience en tentant de percer les problèmes de harcèlement en entreprise.

"Les entreprises comprenaient totalement la démarche mais ce n'était pas une priorité dans leur développement. En confiant le problème à une structure externe comme la nôtre, les dirigeants auraient eu l'impression de délaisser le problème. Ils sont ancrés dans une culture très française de la peur de dévoiler ses secrets à l'extérieur de l'entreprise", témoigne Liam Donne, jeune cofondateur de Cuidam.

La jeune pousse, accompagnée par l'incubateur de l'Inseec à Bordeaux, a dû bouleverser sa stratégie commerciale pour trouver des clients. Son service - une plateforme d'alerte pour les victimes de harcèlement au travail - visait d'abord à être intégré aux ressources numériques des entreprises. Mais après les freins rencontrés, les quatre jeunes à la tête de Cuidam décident de s'orienter vers les écoles d'enseignement supérieur "plus ouvertes".

"Situation complexe et multifactorielle"

"La psychologie et les réseaux sociaux aident beaucoup les victimes de harcèlement scolaire à s'exprimer. Alors qu'en entreprise, pour des salariés un peu plus âgés, il y a cette fameuse culture du secret et un blocage pour faire ressortir les problèmes", appuie Gaëlle Deharo, docteure en droit privé et enseignante à l'Esce business school. La chercheuse, qui a travaillé sur la qualification juridique du harcèlement en entreprise, se montre néanmoins perplexe quant aux solutions numériques proposées par les startups. "J'ai du mal à voir comment un outil rapide et automatique peut prendre en considération une situation aussi complexe et multifactorielle que le harcèlement au travail."

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Les jeunes de Cuidam sont pourtant convaincus que leur plateforme peut répondre à une carence. "Il y a une confidentialité sur le numérique. On peut lancer une alerte sans forcément s'exposer soi-même et faire une déclaration en trois clics, de n'importe où. Alors que c'est assez difficile à faire par téléphone comme c'est souvent proposé actuellement", fait remarquer Liam Donne.

La solution, tout juste lancée en septembre, a été plébiscitée par quatre écoles. Le quatuor de Cuidam estime qu'il en faudra une centaine pour gagner l'équilibre économique. Tout en espérant que les entreprises aussi puissent s'intéresser au service facturé entre 5 et 2 euros par salarié selon la taille de la structure. Un bout de chemin reste à parcourir pour les ouvrir sur le sujet. A moins que le tout numérique ne constitue lui-même un frein pour des victimes en recherche d'écoute humaine.

Maxime Giraudeau

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