Régis Barbier (Cartégie) : "Dans la data, l'Europe court derrière les USA et l'Asie"

Entré dans sa 30e année, focalisé sur la donnée et son utilisation, le groupe Cartégie, basé à Bruges près de Bordeaux, a progressivement élargi sa palette. Son président Régis Barbier livre un regard sans fard sur la course à la data, sur le poids des défenses européennes face aux géants mondiaux et éclaire la stratégie de l'entreprise dans ce contexte.
Régis Barbier, président de Cartégie
Régis Barbier, président de Cartégie (Crédits : Groupe Cartégie)

Quels ont été les grands tournants de Cartégie depuis ses débuts il y a 30 ans, une durée suffisamment rare dans l'univers technologique pour le mentionner ?

Régis Barbier : On fait de la data depuis l'origine, en fait. Notre métier initial, c'est la qualité de ces données, notamment destinées à des clients qui souhaitaient faire de la prospection commerciale. Il s'agissait d'un micro-marché qui a basculé avec l'arrivée d'Internet puis du e-commerce. La data a subitement explosé et les façons de la travailler ont complètement changé avec l'émergence de nouveaux outils. Nous qui vivions tranquilles, ces bouleversements nous ont imposé de nous régénérer et de basculer vers les bases de données. Nos clients nous ont progressivement demandé d'aller vers davantage de créativité dans l'exploitation de cette data, le groupe a donc élargi sa chaîne de valeur vers la communication et la connaissance clients. Nous avons procédé par de la croissance externe, la dernière étant en 2017 le rachat de l'agence de communication La Compagnie hyperactive. Le groupe Cartégie réalise aujourd'hui un chiffre d'affaires de 18 M€ et emploie une centaine de personnes. Nous disposons par exemple de données sur plus de 45 millions de profils consommateurs.

Comment avez-vous vécu la mise en application cette année du Règlement général européen sur la protection des données (RGPD) ?

On applique ces contraintes depuis longtemps, en réalité. Cartégie a travaillé avec des règles déontologiques depuis toujours, nous avions donc les pré-requis et le RGPD n'a pas changé grand chose pour nous. Notre problématique est plutôt que les nouveaux contrats ont pris un coup d'arrêt. Nos clients ont mis en œuvre leurs services juridiques et pris du recul par rapport aux prévisions, rédigé des règles internes... Cela prend maintenant des mois et des mois de signer. Parallèlement, on voit aussi de nouveaux outils qui apparaissent et qui permettent de passer à travers le RGPD. Tout le monde interprète les règles à sa façon.

Fondamentalement, que pensez-vous de ce type de mesures européennes ?

J'observe que des contraintes existent en Europe mais ni aux Etats-Unis, ni en Asie. Technologiquement parlant, nous autres acteurs européens avançons moins vite, c'est indéniable. Ce sont les acteurs américains et asiatiques qui engrangent la data, et qui n'ont pas les mêmes freins que nous. Il suffit de regarder ce qui se passe avec la reconnaissance faciale en Asie. Nous allons nous retrouver en marge.

"L'Europe court derrière"

Vous ne croyez pas à la capacité de résistance de l'Europe ?

Les digues vont céder car les acteurs que nous avons en face de nous, GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon, NDLR) ou BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi, NDLR) pour ne citer que ceux-là, travaillent sans aucune contrainte. Nous, on court derrière. On court derrière leurs technologies, leurs logiciels, les données qu'ils veulent bien nous mettre à disposition. Je ne vois, pour l'heure, aucune alternative européenne crédible. Nous avons tous les yeux braqués sur Amazon Web Services, sur Google, sur Microsoft, sur Linkedin... Tout ce qui sort et qui présente une vraie rupture est américain, et demain chinois. On galope derrière. Tout le monde se gausse des capacités de la France en matière d'intelligence artificielle, mais on prend du retard sur la concurrence et l'on ne voit pas émerger de conscience européenne sur le sujet.

Les acteurs que nous avons en face de nous ont une vision à long terme. La Chine a une vision à 50 ans ! Nous, Européens, sommes dans la réaction et l'immédiateté. Le temps qu'on réagisse, ils sont déjà ailleurs ! Protéger le consommateur, c'est un combat d'arrière-garde. On peut toujours mettre des barrières, mais elles seront renversées. Les gens se sont habitués. Les internautes se lassent de cliquer sur le bouton OK et donnent leur consentement sur l'utilisation de leurs données personnelles sans regarder car ce qui les intéresse avant tout, c'est d'avoir accès au service le plus rapidement possible. Qui lit réellement les pages de conditions générales ?

Comment collectez-vous les données que vous exploitez ensuite ?

La première source est l'open data, dans le cadre d'une volonté européenne de mise à disposition de nombreuses données. La base des bilans économiques nous est aussi en partie ouverte, même si certaines ont été retirées comme celle des permis de construire qui était pourtant bien utile. L'Insee se réserve la base des auto-entrepreneurs. Nous avons également des accords de rediffusion avec plusieurs partenaires détenteurs de bases. Le 3e axe, c'est ce que l'on collecte nous-mêmes en captant les données sur les sites internet, dans la presse, sur les réseaux sociaux... Nous pouvons par exemple travailler pour le monde de la piscine, pour qui nous croisons data, méthodes cartographiques et géographiques. Ou pour French Tech Bordeaux qui nous a demandé d'identifier toutes les startups de Nouvelle-Aquitaine pour bien appréhender tout l'écosystème. Cette fois, un gros travail sémantique est nécessaire pour les repérer. Mettre ensuite un Siret dessus permet de relier la startup à beaucoup d'autres informations.

"L'agence de com' va rejoindre la boîte technologique"

Qui sont vos clients ?

Essentiellement des grands comptes, dans la banque et l'assurance, l'industrie, mais aussi des PME et ETI pour qui nous offrons une chaîne de valeur plus large avec un accompagnement sur leur stratégie de marketing commercial par exemple. Ces PME se retrouvent démunies face aux bouleversements technologiques et ont besoin d'un interlocuteur unique. Nous venons aussi de lancer une nouvelle solution qui permet d'accéder simplement aux datas stratégiques de 25 millions d'entreprises françaises, que ce soit pour faire de la veille, capter un risque de défaillance ou pour enrichir sa propre base de données.

On a vu plusieurs agences de communication se doter de profils technologiques tels que des data scientists, des spécialistes de la donnée et de son utilisation. Est-ce le sens de l'histoire, cette infusion progressive de la technologie dans la com' ?

Je crois plutôt l'inverse. Les agences de communication n'ont pas la philosophie de la data. Je pense plutôt que c'est l'agence de com' qui rejoindra la boîte technologique. Data / créativité / technologies : ce sont des métiers très différents mais qui doivent être mariés. Et j'ai tendance à dire que la technologie prend le pas sur le reste.

Contrairement au publicitaire Jacques Séguéla, voir une intelligence artificielle réaliser le script de la nouvelle publicité du constructeur de voitures Lexus ne vous choque donc pas ?

Non. Le monde de la communication prend conscience que la data peut augmenter la créativité. Couplée à la technologie, elle donne des idées supplémentaires auxquelles les créatifs n'auraient pas pensé, ou qu'ils n'auraient pas pu mettre en œuvre.

Comment envisagez-vous l'avenir de Cartégie dans ce contexte global ?

Nous allons poursuivre la diversification débutée et continuer à aider les PME et ETI à grandir. Le groupe va se tourner vers l'accompagnement autour des nouveaux outils technologiques, vers l'intégration de systèmes d'informations, vers le conseil et la formation aux technologies. Les besoins sont importants. Nous avons ressenti un coup d'arrêt en 2018 pour toutes les raisons évoquées précédemment et nous devons continuer à structurer l'entreprise, pour poursuivre notre croissance fin 2019 / début 2020. Le périmètre de l'entreprise peut changer très vite en fonction des opportunités et des partenaires financiers qui pourraient nous soutenir.

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