Le web social et solidaire part à l'assaut des géants de la tech

Internet et les nouvelles technologies ne doivent pas être des outils aux seules mains des géants de la Silicon Valley, martèlent Ismaël Le Mouel et Léa Thomassin, cofondateurs d'HelloAsso. La startup bordelaise défend dans cette interview la vision d'un web social et solidaire, tourné vers l'humain. Elle est l'initiatrice de la Social Good Week, dont la prochaine édition aura lieu dans 18 villes de France du 7 au 14 mars.
Une partie de l'équipe d'HelloAsso. La société est installée à l'écosystème Darwin, à Bordeaux

En décembre dernier, HelloAsso annonçait une levée de fonds de 6 millions d'euros, une des plus importantes de l'année dans la métropole bordelaise. Où en êtes-vous deux mois plus tard ?

Ismaël Le Mouel, cofondateur d'HelloAsso : "Tout l'enjeu maintenant est d'accentuer notre logique pédagogique. Nous fournissons gratuitement des outils en ligne aux associations mais notre fil conducteur est surtout de les aider dans leur transformation numérique. Nous cherchons donc à créer des antennes sur le territoire pour permettre à ces associations de se former au numérique au sens large. Et comme nous voulons sortir d'une logique « brandée » HelloAsso et qu'il n'est pas question d'opérer nous-mêmes car les associations sont bien trop nombreuses, nous regardons donc avec quels acteurs nous pouvons travailler."

Léa Thomassin, cofondatrice d'HelloAsso : "Notre objectif est de bâtir des communautés facilement identifiables par les associations. Le sujet de la formation aux atouts du numérique est complexe et on constate que souvent, même au niveau métropolitain, les différents acteurs ne se parlent pas entre eux. Cet essaimage national que nous préparons ne marchera que si les choses se font de manière collective et pas hors-sol."

Les collectivités devraient-elles jouer un rôle plus important sur ces questions de transformation et d'inclusion numérique ?

Léa Thomassin : "Cela me paraît difficile d'imputer la transformation numérique aux collectivités locales. En revanche, le rôle social des acteurs du numérique commence à être questionné et c'est une bonne chose. Pour en revenir aux collectivités locales, la situation a déjà évolué positivement. Auparavant, lorsqu'elles cherchaient à s'appuyer sur d'autres acteurs, c'était régulièrement perçu comme un aveu de faiblesse. Mais les logiques collaboratives ont pris le pas."

Social washing

Facebook a annoncé un partenariat avec Pôle Emploi pour former 50.000 demandeurs d'emploi aux technologies numériques. Google va aussi créer plusieurs ateliers du numérique ouverts à tous. Est-ce vraiment une bonne idée de laisser ces géants s'emparer de ces sujets ?

Ismaël Le Mouel : "Ca me fait penser à la question de la bio, qui a su passer d'un pur mouvement de résistance à une situation où l'on peut trouver des produits bio dans les enseignes spécialisées mais aussi dans les supermarchés. Il y a de la place pour tout le monde et c'est aussi valable pour l'inclusion numérique. Evidemment, ces géants de la tech ont un rôle à jouer et s'ils le voulaient, ils pourraient avoir un impact gigantesque. Par contre, ce qui est annoncé me fait doucement rigoler. Si nous, startup, sommes capables de créer 10 antennes en France, que devrait faire Google avec ses moyens ? 10.000 ateliers du numérique ?"

Il y a eu les vagues du green washing, du startup washing, on en arriverait donc au social washing ?

Ismaël Le Mouel : "C'est assez vrai, oui. On le dit d'autant plus facilement qu'on a bossé avec eux et on en est revenu quand on a observé que l'impact réel était très faible."

Léa Thomassin : "Que les Gafa s'impliquent dans ces problématiques, c'est une très bonne chose. Mais on attend beaucoup plus que ce qui est annoncé au vu des moyens dont ils disposent. Pour que ces géants aillent plus loin il faudra, je pense, qu'ils soient poussés par une prise de conscience globale de leurs utilisateurs."

"On sort de la logique d'adoration de la Silicon Valley"

Le thème central de cette édition de la Social good week est "reboot". Rebooter, c'est éteindre la machine et la remettre en route. Pourquoi pas "Reset", on efface tout et on recommence ?

Ismaël Le Mouel : "Parce que tout n'est pas à jeter et que le rôle social des acteurs du numérique est devenu un vrai sujet. L'écosystème a grandi, de plus en plus de monde s'intéresse à la question."

Charlie Tronche, directeur de la communication et des partenariats : "Lorsque le Social good day a été créé en 2010, il n'y avait qu'un seul événement, sur une journée, et il a attiré 30 personnes. Cette année, on atteint quasiment la centaine d'événements sur une semaine avec 150 structures actives partout en France. Ce n'est plus une thématique seulement débattue entre la Porte de Clignancourt et la Porte d'Orléans."

Comment expliquez-vous que l'écosystème ait grandi aussi vite ?

Ismaël Le Mouel : "La recherche de sens est de plus en plus présente chez les porteurs de projet."

Léa Thomassin : "Les systèmes d'accompagnement des startups, qui étaient moins puissants voire inexistants sur ces thématiques, se sont aussi beaucoup développés, tout comme les financeurs qui commencent à être au rendez-vous. Et puis la réussite de certains acteurs prouve que c'est possible de créer un projet numérique ET socialement positif."

Ismaël Le Mouel : "Je pense aussi que la logique d'adoration de la Silicon Valley se retourne. La concentration des acteurs ces dernières années et l'hégémonie des plus puissants a généré des questionnements de la part des consommateurs. Parallèlement, le rôle de garantie de l'intérêt général dévolu historiquement à l'Etat vacille. Le génie des Gafa, c'est d'avoir réussi à faire croire que leur logique n'est pas politique. Or, c'est tout l'inverse ! Ils portent une vision très politisée car hyper libertaire et capitalistique. Ils bossent pour leurs investisseurs, pas pour le bien commun même si la question du sens a remplacé leur discours marketing habituel. De plus en plus de gens ne se reconnaissent pas là-dedans et on voit aussi le nombre de « repentis » de l'économie dite classique augmenter fortement. Dans l'histoire, les acteurs de l'économie sociale et solidaire se sont faits by-passés sur la question de la communication autour des valeurs. Je pense qu'ils vont réagir, d'ailleurs, car la légitimité est de leur côté. On n'est pas contre les Gafa, on appelle à un monde complémentaire. Internet ne doit pas être seulement un outil au service de quelques géants des technologies. C'est le but de la Social good week : donner une voix à des porteurs de projets qui utilisent le numérique au service de l'intérêt général."

Léa Thomassin : "Cette édition de la Social good week est sous-titrée : « Connecter le monde ne suffit pas » car la technologie ne permet pas l'émancipation à elle seule. Le jour où l'impact social deviendra une priorité des investisseurs, tout changera."

Justement, ces investisseurs sont-ils plus ouverts aux thématiques portées par votre mouvance ?

Ismaël Le Mouel : "Le problème n'est pas résolu mais on est sur la bonne voie. Comme pour n'importe quelle startup, il faut en financer 100 pour qu'un gros projet sorte. Et c'est au fur et à mesure que les réussites et les modèles économiques pérennes se multiplieront que les fondations et les fonds d'investissement se diront que c'est possible."

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La Social good week, du 7 au 14 mars 2018

Basée à Bordeaux, HelloAsso est une plateforme de collecte de paiements en ligne pour les associations. Entièrement gratuite et proposant plusieurs types d'outils, elle comptait fin 2017 près de 40.000 associations utilisatrices, 850.000 contributeurs et près de 30 millions d'euros collectés depuis son lancement. Son modèle économique est atypique puisqu'il repose exlusivement sur les pourboires volontaires laissés par les utilisateurs de la plateforme. HelloAsso est à l'initiative en France de la Social good week. Cet événement annuel, débuté en 2010, a pour objectif de fédérer les acteurs du web social et solidaire et de fait connaître les démarches de ces entreprises, associations, collectifs... auprès du grand public partout en France. La soirée de lancement de l'édition 2018 aura lieu le 7 mars à Station F et sera l'occasion pour des intervenants français et internationaux comme Mitchell Baker, présidente de Mozilla Foundation & Mozilla Co., Joséphine Goube, CEO de Techfugees ou Frédéric Bardeau, président fondateur de Simplon.co, de dresser des constats et des ambitions pour l'internet de demain. Parmi les temps forts, un Mapathon pour découvrir la cartographie participative et humanitaire, une soirée crash pitch spéciale femmes entrepreneures sociales, une semaine de "chimères numériques" pour les adolescents, un atelier "Hacker la pollution"... HelloAsso co-organise cette édition 2018 avec Share.it, Génération 2 et Triple C, avec le soutien de Crédit mutuel, Fondation EDF, Station F et Groupe Up.

>> Voir le programme complet

Lire aussi : HelloAsso, cas d'école de l'économie sociale et solidaire

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