Bernard Magrez : "S'il n'innove pas, le vin français sera balayé"

Après une première partie consacrée à l'entrepreneuriat, voici la suite de l'entretien croisé réunissant les Bordelais Bernard Magrez, propriétaire de 42 châteaux dans le monde, et Aidan O'Brien, senior associate chez Dell Technologies, porteur d'un projet de Silicon Vignoble et cofondateur du chapitre français de la Singularity University. Tous deux abordent cette fois la question de l'innovation.
Bernard Magrez, propriétaire de 42 châteaux dans le monde

>> Lire la première partie de cet entretien croisé : "Uber, Microsoft... ont des histoires à raconter et des dirigeants qui ont faim"

Bernard Magrez, qu'est-ce qui vous a poussé à investir, il y a plus d'un an, dans la startup toulousaine MoiChef, qui allait alors très mal ?

BM - "Son patron a envie. Je joue l'homme, son idée, sa faim, pas le reste. Quand il est venu me voir la première fois, il m'a dit : « Voilà mes comptes, ils ne sont pas bons ». Et je m'en moquais. Peut-être qu'il réussira, peut-être que ce sera un échec mais il rebondira. Aujourd'hui un business plan ne veut de toute façon plus dire grand'chose. Il y a 40 ans, on les imaginait à 10 ans, aujourd'hui même à 2 ans c'est risqué. Et c'est pour ça que c'est passionnant. Il faut essayer et parfois se planter. C'est facile pour moi : je n'ai de comptes à rendre à personne, je possède 100 % de mon entreprise. Je peux me tromper, et j'en ai fait, des erreurs."

Quel est votre rapport à l'innovation ?

BM - "Nous venons de structurer un pôle innovation et R&D au sein de Bernard Magrez Grands Vignobles pour travailler sur les questions des drones, qui survolent nos vignes au Château Pape Clément depuis 4 ans, sur la robotique... On regarde comment utiliser des capteurs détectant la maturité des raisins. On vient aussi d'investir dans deux tracteurs électriques. Ce qui compte, c'est de toujours s'interroger. Je demande régulièrement à mes proches collaborateurs d'écrire une lettre d'étonnement. Ils doivent m'expliquer ce qui les étonne et qui pourrait être amélioré, en apportant des pistes de solutions. Si ces dernières sont bonnes, on y va."

Aidan O'Brien - "Chez Amazon, on est sur une philosophie approchante. Pour dire non à un projet, il faut produire un rapport de 6 pages."

BM - "Au-delà de la robotique et des objets connectés, je crois beaucoup à la data. Nous en collectons énormément, sur tous les marchés où nous sommes présents, dans notre gamme de prix. Nous sondons les distributeurs, les consommateurs. Le plus facile étant de travailler avec les Gafa parce qu'ils ont tout ! Nous nous faisons aussi aider par Accenture sur ces sujets."

AOB - "L'erreur qui est souvent commise par les entreprises est de regarder avec émerveillement toutes les technologies disponibles et de jouer avec. Essayons ceci, cela, et regardons ce que ça donne. Non ! Il faut d'abord définir le besoin et ensuite choisir la technologie qui va correspondre."

BM - "Comment voulez-vous donner envie à vos collaborateurs si vous ne leur dites pas : c'est nouveau, on y va, on expérimente !"

Bernard Magrez et Aidan O'Brien

Robotique, data, etc. : le monde du vin n'est-il pas frileux à l'idée de s'attaquer à ces types de sujet ?

BM - "C'est leur problème ! Il y a de multiples façons de faire évoluer une entreprise. Je considère pour ma part que le vin est devenu un produit de statut, que les consommateurs cherchent donc à en savoir le plus possible et que le digital est un formidable outil pour les informer. Je possède 42 châteaux, c'est 42 terroirs et 42 émotions différentes. Les gens cherchent cela."

AOB - "Le parallèle est très intéressant avec les Gafa car ce sont des entreprises qui ont su mettre l'accent sur la demande, parfois cachée, des consommateurs. Ces derniers veulent s'informer pour être sûrs de ne pas se tromper dans leur choix, et c'est pour cela que l'information est stratégique."

L'accélération de l'innovation ne vous donne-t-elle pas le tournis ?

BM - "Je suis porté à croire que tout va encore s'accélérer. Et c'est souhaitable en France particulièrement, sans quoi nous deviendrons les valets de tout le monde. C'est d'ailleurs déjà un peu le cas. Nous avons une forte tendance à regarder dans le rétroviseur : ça nous évite de regarder un avenir qui nous fait peur."

AOB - "Sur ce point, les Américains développent une vision à l'opposé : demain sera meilleur qu'aujourd'hui. Nous revivons une période déjà vécue il y a 200 ans avec de profonds bouleversements qui impactent l'économie et la société."

BM - "J'ai lu beaucoup de choses sur les grandes familles de l'acier lorrain. A l'époque je les voyais champions du monde sur 5 générations au moins tant leur avance était grande. Et puis la Chine, le Japon, d'autres pays sont arrivés et ces familles ont été doublées. Les nouveaux acteurs les ont balayées. Et je dis que le même risque pèse sur les vins français si l'on n'innove pas."

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Commentaires 2
à écrit le 08/09/2017 à 16:46
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Tout à fait d'accord avec Monsieur MAGREZ que j'ai eu le plaisir et l'honneur de connaître de près en travaillant avec lui. Je reste admiratif de sa double capacité à être toujours ancré à la fois dans le réel et le concrêt et à la fois, à savoir se ...

à écrit le 07/09/2017 à 5:10
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Dans les grands magasins coreens, il y a tjrs un rayon tres fourni de bouteilles de tous pays. Il y a dix, 15 ans Bordeaux etait en lice, aujourd'hui il n'y a que des boutanches hors de prix. Les consommateurs se tournent vers d'autres vins moins che...

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