Immersion dans le futur

Immersion, PME bordelaise innovante dans la réalité virtuelle, a fini par décoller grâce à la pugnacité éclairée de son dirigeant, Christophe Chartier, qui se définit comme un autodidacte.
Une nouvelle dimension dont Immersion est un explorateur.

Comment prendre pied sur un marché qui n'existe pas et ne pas disparaître ? C'est à cette question impossible qu'a réussi à répondre Christophe Chartier. En 1995, lors de notre première rencontre, la deuxième année après la co-fondation de d'Immersion avec Guillaume Claverie, Christophe Chartier a déjà un pied dans la tombe. Son associé vient de le quitter, l'argent ne rentre plus. "La société avait perdu 160.000 francs (24.392 €), soit plus de la moitié de son chiffre d'affaires", précise-t-il. Ce jeune créateur d'entreprise, fraîchement débarqué de Niort (Deux-Sèvres) s'accroche au petit local occupé par Immersion à Bordeaux Bastide où, en plus du matériel informatique mis à la vente, est installé un mini showroom aux couleurs accrocheuses. Le compte à rebours avant l'explosion s'est déclenché dans sa tête mais il garde la foi.

"En cherchant de l'argent je me suis retrouvé autour de la table en bois, avec papa et maman, et ma mère m'a dit que mes parents ne pourraient plus me soutenir. J'avais la vision du terrain et je savais que la vente des ordinateurs me permettrait de financer mes activités. Guillaume Claverie a accepté de remettre au pot, en compte courant, avec une clause de retour à meilleure fortune. J'ai mis un peu plus de cinq ans pour le rembourser. Le dépôt de bilan c'est pas mon truc", tranche quelque vingt ans plus tard Christophe Chartier, dans le superbe siège social de 1.400 m2 d'Immersion qu'il a fait installer à La Bastide, à côté du Parc aux angéliques.

"Le livre qui prédit l'avenir"

Christophe Chartier va encore vendre des ordinateurs mais il est depuis longtemps ailleurs.

"Le déclic a été la lecture du livre "La Réalité virtuelle", sorti en 1993, qui a été écrit par Grigore Burdea et Philippe Coiffet. Regardez, je leur ai fait dédicacer. Parce que j'allais aux Etats-Unis où je suivais le séminaire Siggraph (dédié à l'infographie et à la programmation graphique) ! A la fin de ce livre il y a la liste de tous les laboratoires de recherche dans le monde qui ont créé la technologie de la réalité virtuelle. Ils sont à peu près 70 et je leur ai tous écrit", éclaire Christophe Chartier en tenant son livre.

Puis il déclare, comme s'il révélait un secret au monde :

"Vous avez devant vous le livre qui prédit l'avenir : tout est là ! Regardez ce dessin, bientôt les chirurgiens porteront des casques de réalité virtuelle pour opérer, comme c'est montré !"

Christophe Chartier, PDG d'Immersion

Christophe Chartier et son livre totémique (photo Agence Appa)

Il a les yeux brillants et le sourire triomphant de celui qui a découvert le Graal. A force de faire de la veille sur les technologies liées à la réalité virtuelle, le patron d'Immersion en est devenu un spécialiste. La vente d'ordinateurs va rester l'activité principale d'Immersion pendant huit ans avant que la TPE ne bascule pour de bon dans la fourniture de technologies en réalité virtuelle, au début des années 2000.

Spécialiste pour les industriels

"En 1994 et 1995 des groupes comme Airbus, PSA, Renault ou Dassault croyaient à la réalité virtuelle. Ils s'y intéressaient de près et ils s'y intéressent toujours, avec autant de passion. Je leur amenais de la documentation sur les nouveaux produits. Ils regardaient et si ça leur plaisait ils commandaient, explique Christophe Chartier.

C'est ainsi que le jeune dirigeant se retrouve à gérer en 1998 "la plus grosse commande du monde en casques virtuels" pour le compte de PSA. Peugeot prépare le lancement de la Xsara Picasso et décide d'acheter 60 simulateurs pour présenter sa nouvelle voiture, moyennant 6 M€, et c'est Christophe Chartier qui s'occupe de fournir le matériel.

Dévoré par son livre fétiche et sa passion pour la réalité virtuelle, Christophe Chartier fait de nombreuses rencontres grâce auxquelles Immersion va encore se métamorphoser, jusqu'à devenir une entreprise capable de développer ses propres produits innovants. Il rencontre ainsi en 1996 Pascal Guitton, grand spécialiste de la visualisation et de la manipulation des données complexes au Laboratoire bordelais de recherche en informatique (Labri), nommé en 2010 directeur de la recherche de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). "C'est lui qui a formé Jean-Baptiste de la Rivière, que j'ai ensuite embauché comme patron du service recherche et développement d'Immersion", détaille simplement Christophe Chartier.

Une délégation de NVIDIA à Bordeaux

A partir de 2013, Immersion commence à mettre en marché ses propres technologies, articulées autour "des 3 i, pour immersion, imagination, interaction" en hommage à "La Réalité virtuelle", l'ouvrage résolument totémique de l'entreprise. C'est ainsi qu'Immersion lance Meetiiim, une table de réunion interactive pour les documents numérisés, Shariiing, plateforme qui permet à des interlocuteurs équipés de casques virtuels de se retrouver dans un espace commun pour échanger, travailler, ou encore Cubtiiile, qui permet notamment de créer un espace immersif.

L'entreprise, qui emploie 45 salariés dont une dizaine d'ingénieurs, a réalisé 9 M€ de chiffre d'affaires au cours de son dernier exercice. Au début de l'été une importante délégation du géant américain NVIDIA (4,6 Md$ de chiffre d'affaires), à l'origine des cartes et puces graphiques qui équipent micro-ordinateurs et consoles de jeux, s'est rendue au siège d'Immersion.

"NVIDIA, ce sont les leaders mondiaux. La question c'est de savoir à quoi sert le casque. Dans l'univers des jeux on commence à voir ce que cela donne, avec Oculus, mais pour les applications professionnelles personne ne sait ou presque. Nous n'avons jamais été autant sollicités en tant qu'experts dans ce domaine, c'est le calme avant la tempête. On devrait signer avec eux. Le marché va s'emballer", pronostique Christophe Chartier.

Avec plus de réussite que les soldats du "Désert des tartares", le patron d'Immersion voit le marché bouger, grimper comme une nouvelle vague dont il pourrait bien devenir l'un des maîtres.

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Article initialement publié dans La Tribune Edition Bordeaux en kiosques en septembre 2016.

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