Bordeaux revient en tête de la conquête spatiale

Par Jean-Philippe Dejean  |   |  769  mots
Le ventre et le nez de l'IXV ont été conçus et fabriqués en Gironde
Le succès du véhicule spatial européen IXV propulse Bordeaux encore plus haut dans l’échelle de l’excellence technologique. Le savoir-faire développé dans les matériaux composites en Gironde est devenu crucial pour ce programme spatial européen.

Avec le succès du retour sur Terre du vaisseau non habité IXV (véhicule expérimental intermédiaire), lancé par une fusée Vega le 11 février depuis le centre spatial de Kourou (Guyane) avant d'amerrir dans l'océan Pacifique, Bordeaux a fait son retour à la pointe de la conquête spatiale européenne grâce à Herakles, filiale girondine du groupe Safran, déjà maître d'œuvre de la propulsion d'Ariane 5 avec le propergol solide, dont l'entreprise est le numéro deux mondial.

Le dernier épisode de cette saga véhiculaire s'est joué dans les années 1980, quand la France, sous la houlette du Cnes (Centre national d'études spatiales), a mis en chantier sa navette spatiale Hermès, avant d'abandonner le projet au début des années 90. Au plus fort de ce chantier, des journalistes du monde entier s'étaient précipités dans les locaux de la SEP (Société européenne de propulsion), au Haillan (banlieue de Bordeaux), où se trouve aujourd'hui le siège d'Herakles (3.200 salariés), pour s'informer sur la conception du bouclier thermique d'Hermès, déjà conçu et développé en Gironde. Depuis, le travail de recherche et développement sur un nouveau véhicule spatial ne s'est jamais arrêté et les installations du Haillan ont été reprises pour l'IXV.

Le bouclier a parlé

Après l'URSS et les Etats-Unis, la Chine a acquis la maîtrise des retours d'engins spatiaux sur Terre. Mais c'est seulement la deuxième fois depuis 1998, avec la capsule ARD, que l'Agence spatiale européenne (ESA) fait traverser l'atmosphère terrestre à un véhicule spatial, après avoir envoyé en 1997 le module Huygens dans celle de Titan, satellite de Jupiter, et avant de catapulter Beagle 2 sur Mars en 2003. Egalement initié par le Cnes, ce nouveau programme de véhicule spatial est ensuite passé sous le contrôle de l'Agence spatiale européenne.

Marc Lacoste, Thierry Pichon, Philippe Da Costa (ajusteur monteur qui a participé à l'assemblage en Italie du bouclier carbone céramique) et Marc Montaudon avec des panneaux carbone céramique renforcés par un isolant interne

"L'Agence veut développer un véhicule réutilisable et Herakles a conçu son bouclier thermique en conséquence. Contrairement aux boucliers des capsules Soyouz, qui ne sont utilisables qu'une fois, ou à ceux des anciennes navettes américaines, qu'il fallait rénover, le bouclier thermique, que nous avons mis au point et fabriqué à Bordeaux, a démontré avec ce vol qu'il était parfaitement réutilisable" a souligné hier après-midi Marc Montaudon, directeur de la business unit (division opérationnelle) Aéronautique & composites thermostructuraux d'Herakles, qui a présenté l'apport décisif d'Herakles au programme de l'ESA, en compagnie de Thierry Pichon (responsable du service Programmes espace) et Marc Lacoste (Développement des affaires nouvelles et stratégie). Des ingénieurs qui ont tous été recrutés dans les années 1980 pour développer la navette Hermès.

"Le nez et le bouclier thermique de l'IXV ont été conçus et sous maîtrise d'ouvrage de l'Agence spatiale européenne. Il s'agit de prouver que l'Europe est capable de maîtriser la rentrée atmosphérique d'un véhicule spatial. Cet essai a validé la technologie matériaux composites carbone céramique" a expliqué le directeur de la business unit.

Carbone céramique, duo gagnant

Tous les vols spatiaux avec retour sur Terre l'ont démontré, la phase de rentrée dans l'atmosphère est une étape super critique dans laquelle la protection thermique joue un rôle crucial. La puissance des contraintes thermiques et aérodynamiques est alors tellement extrême que la moindre défaillance du bouclier thermique entraîne la désintégration du vaisseau.

"Le dôme ou nez de l'IXV est constitué de panneaux carbone céramiques et 30 d'entre eux, renforcés par un système d'isolation interne, couvraient le ventre du véhicule. Les composites carbone céramique sont dix fois plus légers que le fer. Ils peuvent résister à des températures de 3.000°C, alors que le fer fond à 1.650°C. Lors de la rentrée atmosphérique, le vaisseau est soumis à une température de 1.600°C" a relevé Marc Montaudon.

Véhicule spatial pilotable et sans ailes de la taille d'une voiture, avec ses cinq mètres de long et un poids de deux tonnes, l'IXV, programme européen à 170 M€, doit être suivi par la fabrication et la mise à l'essai de Pride (Programme pour un démonstrateur orbital réutilisable européen). Un nouveau véhicule spatial pilotable qui, cette fois, devra être capable d'atterrir.