« Le Port de Bordeaux veut aider les acteurs du spatial à trouver des marchés dans le maritime »

INTERVIEW. Comment rapprocher activités maritimes et spatiales ? C'est la question posée par le Grand port maritime de Bordeaux (GPMB) aux acteurs de l'aéronautique et du spatial lors d'une journée d'échanges thématiques organisée ce mardi 3 mai avec Bordeaux Technowest, Aerospace Valley et le Cnes. Alors qu'elle connaît une baisse de trafic structurelle, l'infrastructure portuaire présente une nouvelle stratégie pour redevenir une plateforme de développement industrielle, inscrite dans la transition énergétique. Une ambition dans laquelle les activités du spatiales pourraient trouver leur place, notamment grâce à l'ouverture d'un incubateur. Entretien avec Michel Le Van Kiem, responsable du développement, des transitions et des innovations au Grand port maritime de Bordeaux
(Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - Que peut apporter le domaine du spatial à une infrastructure comme le port de Bordeaux ?

Michel LE VAN KIEM - Le spatial est déjà incontournable pour la sécurité de la navigation des navires. C'est un aspect vraiment indissociable : on ne peut pas accueillir de grands bateaux sans le spatial. Ils l'utilisent de manière historique grâce au positionnement des étoiles et aujourd'hui c'est grâce aux satellites qu'ils accostent en toute sécurité sur le port de Bordeaux. Nous avons eu quelques projets phares qui utilisent le spatial au maximum de ses capacités, comme le passage des barges sous le Pont de Pierre, guidées à quelques centimètres près par les satellites, pour transporter les pièces de l'A380.

Comment ce lien va-t-il se matérialiser ?

Le port travaille sur la réindustrialisation du territoire. Les flux massifiés de marchandises ne se font que parce qu'il y a des industries sur le terminal. L'un des objectifs est de travailler sur l'écosystème en amont pour que les entreprises puissent développer de nouveaux procédés industriels. Le spatial est très intéressant sur ce plan. On est là pour aider les entreprises du spatial à trouver des marchés dans le domaine maritime car plus elles vont grandir, plus le pôle industriel de Bordeaux va créer des produits qui pourront être acheminées par voie navigable.

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bateau port de Bordeaux

Les barges Airbus transportent des pièces d'avion de Pauillac jusqu'à Langon. Elles sont ensuite acheminées en camion jusqu'à Toulouse. (Crédits : Agence APPA)

Quelles entreprises du spatial pourraient venir s'installer autour des infrastructures portuaires ?

ArianeGroup, qui vient de signer un contrat avec Amazon, est un partenaire, notamment avec le bateau Canopée transportant les pièces de l'Ariane 6 de Bordeaux vers la Guyane. [le lanceur européen Ariane 6 doit effectuer 18 lancements de satellites selon le contrat conclu début avril avec l'américain Amazon, ndlr]. Il y a des entreprises comme NetCarbon, qui mesure la capacité du végétal à stocker et séquestrer du CO2 grâce aux données satellitaires. C'est très intéressant pour mesurer l'efficacité de la politique de décarbonation et de réindustrialisation bas carbone du port. On a un acteur également qui s'appelle QuantCube et travaille sur les indicateurs de la finance verte. C'est un exemple du panel d'entreprises qu'on aimerait accueillir sur le port. Elles ne sont pas systématiquement en lien avec la navigation.

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Ce rapprochement va se traduire par l'ouverture d'un incubateur avec Bordeaux Technowest, à destination de toute jeune entreprise innovante et pas uniquement du domaine du spatial. Comment seront-elles accueillies et à partir de quand ?

Nous avons l'ambition d'avoir nos premiers occupants à la rentrée en septembre. Nous avons aujourd'hui identifié une superficie de bâtiments existants d'environ 1.800 m2, qui sera le premier terrain de jeu de Bordeaux Technoport. Ensuite, si le marché répond présent et si l'incubateur fonctionne à plein régime, le port travaillera peut-être sur la constitution d'autres bâtiments et la liaison entre les startups et le "living lab". C'est-à-dire de voir comment passer à une échelle un peu plus grande pour prototyper les innovations, et engager l'industrialisation demain, notamment sur la rive droite et la presqu'île d'Ambès.

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Cette zone est aujourd'hui classée Seveso puisqu'elle concentre des activités liées aux hydrocarbures. Est-elle compatible avec la transition qui doit être engagée ?

C'est une zone qui va être en pleine mutation, notamment avec la transition énergétique. Ce sont des emplacements classés en site Seveso seuil haut, qui sont donc propices pour attirer de nouveaux procédés présentant des risques technologiques et ne pourraient pas forcément être accueillis dans d'autres territoires de la métropole.

Excepté en 2021, le trafic maritime n'a fait que de baisser au port de Bordeaux depuis dix ans. Votre avenir se joue-t-il dans une diversification des activités entre les nouvelles énergies et l'innovation ?

Effectivement, les ports sont toujours des emplacements où se concentrent des activités industrielles qui ont besoin d'énergie. Ce statut est lié à notre capacité de stockage en hydrocarbures, d'origine fossile. La décroissance du trafic du port de Bordeaux est liée essentiellement au facteur de la transition énergétique, avec une érosion structurelle du trafic des hydrocarbures, et à la désindustrialisation. Beaucoup d'industries ont fermé à proximité du port. L'une des dernières en date c'est Orion qui produisait du noir de carbone [42 salariés avaient été licenciés en 2016 lors de l'arrêt de l'usine, ndlr]. Enfin, le changement climatique, qui impacte les récoltes et le modèle économique de l'agriculture, vient bousculer les chaînes d'acheminement de la production. Ces phénomènes aggravent la baisse de trafic du port. Nous cherchons à répondre à ces éléments structurels en soutenant l'industrie de demain et retrouver les flux que l'on a connu dans le passé. Nous visons des process industriels décarbonés, qui touchent de près ou de loin au stockage de l'énergie, et des procédés innovants. Le port de demain s'appuie sur des entreprises qui n'existent peut-être pas encore.

bateau port de Bordeaux

En 2021, le trafic du port de Bordeaux est reparti à la hausse, pour la première fois depuis 2014, avec +10,3 %. (Crédits : Agence APPA)

Vous avez récemment un plan d'investissement pluriannuel sur cinq ans. Quels sont vos prochains objectifs sur les décennies à venir ?

Notre vision va aller de pair avec la montée en puissance de l'hydrogène. Aujourd'hui, cette brique chimique de base provient essentiellement du monde fossile.Si le port parvient à attirer des projets de production d'hydrogène décarboné, on va pouvoir réinventer une nouvelle chimie. En 2030, on vise 1 gigawatt de capacité d'électrolyse [système de production d'hydrogène par injection d'eau, ndlr], soit un septième de l'objectif français annoncé par le gouvernement pour les années 2030. Nous avons d'ores et déjà concrétiser l'implantation de 300 mégawatts, soit 30 % de cet objectif, pour produire de l'hydrogène à des fins industriels, car il sera utilisé pour produire des carburants alternatifs. Il sera peu coûteux, nous visons un objectif de 2 euros le kilo. 2040 verra une deuxième étape, avec l'interconnexion des grands bassins d'hydrogène, comme le sera le port de Bordeaux, à des dorsales hydrogène en Europe. Ce qui permettra son négoce.

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