Quand Bordeaux Métropole entend siffler le TGV

Bordeaux Métropole témoigne d'une mutation urbaine rapide sans que l'on sache encore s'il s'agit d'un violent coup de fièvre ou d'un vrai changement de dimension. C'est dans ce cadre, explique la géographe Cécile Rasselet, directrice du service socio-économie à l'A'urba, que le TGV devrait jouer son rôle d'accélérateur de tendance.
Cécile Rasselet, géographe et directrice du service socio-économie urbaine de l'Aurba, les pieds plantés sur le territoire de Bordeaux Métropole.
Cécile Rasselet, géographe et directrice du service socio-économie urbaine de l'Aurba, les pieds plantés sur le territoire de Bordeaux Métropole. (Crédits : Agence APPA)

Présentée comme une connexion électrique foudroyante, l'arrivée de la ligne à grande vitesse (LGV) en gare du port de la Lune le 2 juillet 2017 a-t-elle été l'électrochoc qui a tiré de sa vie sous valium la Belle endormie qu'était Bordeaux ? Non, aucune chance. Parce que ce réveil avait déjà commencé depuis au moins 2003, avec la mise sur les rails du tramway. Sans compter l'effet dopant de l'inscription de Bordeaux au patrimoine mondial de l'Unesco en 2007. Il n'en reste pas moins que la mise en service de cette LGV, qui a ouvert la route Paris-Bordeaux à de nouveaux TGV boostés à 320 km/h, était très attendue au port de la Lune.

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« A Bordeaux le projet urbain qui se développe aujourd'hui est porté de longue date par les élus politiques. La ligne à grande vitesse n'est pas à l'origine de l'actuelle attractivité bordelaise. Elle fonctionne comme un accélérateur de tendance. La décennie bordelaise, avec cette projection de la communauté urbaine à l'horizon 2030 et son million d'habitants, a été planifiée par les élus en 2010 », resitue Cécile Rasselet, géographe directrice du service socio-économie urbaine de l'Agence d'urbanisme de Bordeaux Métropole Aquitaine (A'urba). « Un des premiers effets visibles de la LGV, poursuit-elle, c'est d'avoir confirmé le statut de Bordeaux comme destination touristique. L'été 2017 est le premier où il y a eu des touristes à Bordeaux pendant toute la saison et ça c'est un effet LGV ».

Une petite ville dans une grande métropole

Avec ses constructions assez basses et ses cours (il n'y a pas d'avenues dans le Bordeaux historique) largement ouverts sur le ciel la ville semble très étendue. Pourtant il n'en est rien. Le port de la Lune fonctionne comme un trompe-l'œil : c'est une petite ville qui a l'air grande... Même Théophile Gautier, le dandy poète et écrivain de passage dans la ville, s'y serait laissé prendre estimant qu'il n'y avait pas assez d'habitants à Bordeaux pour peupler une ville aussi grande!

« Bordeaux est une ville plus petite que la plupart des autres en France, avec un parc de logements très restreint, qui doit faire face aujourd'hui à une forte attraction démographique. En 2014 le parc à Bordeaux était de 150.556 logements contre 279.107 à Toulouse ! Cet effet de taille alimente la tension sur le marché immobilier, sachant que la ville de Bordeaux a gagné à peu près 4.000 habitants par an entre 2006 et 2011, puis 9.000 entre 2009 et 2014 », dévoile Cécile Rasselet.

La petitesse du parc de logements bordelais est due à la taille modeste de la ville, avec une surface de 49,4 km2 contre 118,3 km2 à Toulouse. Cet écart de taille perd de l'importance à l'échelle de Bordeaux Métropole, qui, avec ses 578,3 km2 compte 760.933 habitants contre 746.919 pour la métropole toulousaine (458,2 km2). Mais il y a quand même moins de logements à Bordeaux Métropole que dans la métropole toulousaine, soit 397.112 contre 405.426. Tout en affichant des prix immobiliers globalement à la hausse depuis bientôt quatre ans, Bordeaux Métropole enregistre des phénomènes parfois divergents dans ses communes, qui pourraient laisser penser aux prémices d'une baisse, tandis que la hausse semble tirée par un moteur caché.

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La crainte bordelaise du million d'habitants

Ces signaux contradictoires intéressent Cécile Rasselet. Elle les trouve révélateurs. « Le marché bordelais connaît de fortes tensions qui génèrent une forme d'illisibilité. Tout ça parce qu'il se passe quelque chose d'un peu fou : les prix explosent dans l'ancien ! C'est ce que montrent les bilans des notaires. Le neuf est le seul marché immobilier que les promoteurs peuvent réguler, mais là ça ne marche plus. Car, comme l'a démontré Sylvie Landrieve dans son livre « L'immobilier une passion française », on se trompe de diagnostic. Ce n'est pas le neuf qui est en cause dans la hausse des prix mais bien l'ancien ! Un marché libre tout à fait hors de contrôle », décrypte Cécile Rasselet. Un point d'autant plus important selon elle que c'est dans ce contexte tendu, sur fond d'inquiétude délétère par rapport au million d'habitants, qu'est arrivé le TGV.

Cette crainte du million d'habitants est devenue manifeste lors des élections municipales de 2014, quand la plupart des maires bâtisseurs de la Métropole, essentiellement de gauche, ont été balayés par une coalition de droite et du centre opposée aux constructions qui avaient été lancées. Cette vague métropolitaine a porté Alain Juppé à la présidence de la CUB sans risquer d'amputer son ambitieux programme de construction pour Bordeaux. « La métropole millionnaire tôt ou tard on y sera. Mais on ne peut pas réduire l'arrivée du TGV à un choc métropolitain négatif. Le problème, c'est le chantier que l'on est en train de faire à côté de chez vous. Les gens se sentent dépossédés de quelque chose, comme par exemple de cette friche qui était là depuis des dizaines d'années et qui disparaît. C'est une privation. Bordeaux est une ville dynamique qui change, une métropole en chantier qui est dans le dur, et c'est un peu difficile », concède la géographe.

Sortir du mode « France de propriétaires »

C'est ainsi que les affichettes « Parisien rentre chez-toi » illustrées par un TGV menaçant, prennent une dimension moins anecdotique. L'important pour Cécile Rasselet c'est que les changements actuels ne sont pas le fruit du hasard mais d'une volonté politique. « La chance de Bordeaux c'est d'avoir eu une volonté politique, une vision. C'est une ville qui a voulu changer d'image et qui est en train de réussir son pari. Pour y arriver, il faut continuer », synthétise la directrice. Lancé en 2010 sous le signe d'une cogestion consensuelle de la Communauté urbaine de Bordeaux entre PS et UMP, cette transformation de la Métropole se poursuit désormais sous surveillance. Les résistances aux nouveaux programmes de logements ont tendance à se multiplier dans les communes de la Métropole, ce qui va encore accroître les tensions immobilières. Comme le rappelle toutefois Cécile Rasselet il faut éviter de raisonner à tout bout de champ en mode « France de propriétaires ».

La première fonction d'un logement n'est pas spéculative mais d'usage et c'est là que le marché de la location prend tout son sens. Un des écueils majeurs qu'elle pointe, enfin, porte sur la construction de logements sociaux pour combler le retard de Bordeaux Métropole. « Le risque c'est de se retrouver avec des quartiers neufs sans mixité sociale, à cause d'une trop grande concentration de logements sociaux », éclaire Cécile Rasselet. Tous les observateurs semblent d'accord sur un point : il faudra attendre encore quatre ou cinq ans pour savoir si Bordeaux Métropole est porté par un mouvement conjoncturel ou a, au contraire, vraiment changé de taille.

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Commentaires 2
à écrit le 06/07/2018 à 9:43
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"La décennie bordelaise, avec cette projection de la communauté urbaine à l'horizon 2030 et son million d'habitants, a été planifiée par les élus en 2010", ?!? à l'évidence, il a manqué quelqu'un pour anticiper l'augmentation de la circulation, et...

le 06/07/2018 à 12:19
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Pas d.inquietude ils roulent en smart ou Bolloré car..quoique non les gens qui font ces projets ont oublié le logement en général y compris pour certains SDF qui dorment dans ces mêmes Bolloré voitures...bref de l.insouciance de la nullité et surtout...

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