Inflation et marchés financiers : la fin d'un cycle, de nouvelles opportunités

OPINION. Quelque chose a fondamentalement changé sur les marchés financiers. Les actifs et méthodes qui ont prospéré depuis douze ans ne sont plus tout à fait les mêmes. La vie économique et financière est faite de cycles et nous sommes arrivés au bout de ce cycle. Comme en 1974, 1981, 2000, 2003, 2007 et 2009, les marchés amorcent un virage et il convient d'agir pour ne pas subir les changements en cours. Si beaucoup d'actifs sont désormais à risque, il y a et il y aura aussi dans les trimestres à venir des opportunités à saisir.
Arnaud Raimon, président et fondateur d'Alienor Capital, avec Sébastien Hénin, directeur général. (Crédits : Alienor Capital)
Arnaud Raimon, président et fondateur d'Alienor Capital, avec Sébastien Hénin, directeur général. (Crédits : Alienor Capital) (Crédits : Alienor Capital)
  • La fin d'un long fleuve presque tranquille

Depuis la fin de la grande crise financière de 2008, l'économie peut se décrire ainsi : croissance molle, inflation très faible, soutien indéfectible des banques centrales à l'économie, taux d'intérêts à court et long terme ultra bas, grande modération salariale sous la concurrence des pays émergents, marges des sociétés progressant grâce à la stagnation du coût du travail et à la baisse des coûts de financement et atteignant un plus haut de cinquante ans.

Ce contexte particulier a été favorable à une hausse puissante des marchés boursiers par la hausse des résultats et la hausse des multiples, à la constitution d'une surprime aux valeurs de croissance* mais au derating des valeurs «value»** (c.-à-d. une baisse de leurs multiples). De plus, les investisseurs se sont habitués à un endiguement rapide des reculs des marchés boursiers ou de crédit par l'action des banques centrales (pour relancer les économies).

  • Les grands changements actuels

Le point de départ de la transition en cours est le sidérant redémarrage de l'inflation que peu ont vu venir - y compris votre rédacteur - et encore moins s'inscrire de façon durable dans notre paysage économique.

La hausse des prix trouve son origine dans les retards d'approvisionnement après la crise du Covid et la hausse des prix de l'énergie. Elle aurait pu n'être que conjoncturelle et temporaire. Mais elle devient structurelle car la spirale prix/salaires se met progressivement en place et ce d'autant mieux que le plein - ou quasi plein - emploi est là et que la mondialisation du travail ne progresse plus et rend la main aux salariés des pays développés dans les négociations salariales. Par malchance, la guerre en Ukraine et la reprise du Covid en Chine attisent simultanément à nouveau l'inflation conjoncturelle par la hausse des prix de l'énergie et des denrées alimentaires et par la hausse des coûts et des retards logistiques qui reprennent.

Les conséquences économiques sont les suivantes : des banques centrales désormais à la manœuvre pour freiner l'économie (voire pour provoquer une récession douce aux Etats Unis), une tendance à la hausse des taux d'intérêt à court et long terme, une baisse du pouvoir d'achat des ménages pesant sur la consommation, une baisse des marges des sociétés sauf celles au pricing power élevé (mais jusqu'à quel point) ?

Ce qui se traduit financièrement d'ores et déjà par : une tendance nettement baissière du prix des emprunts d'état et des emprunts corporate (d'autant plus que l'aversion au risque monte et que les spreads de crédit*** sont en hausse), de fortes révisions en baisse à venir sur les bénéfices des entreprises, des baisses de multiples boursiers (trop élevés si les taux longs se normalisent) et donc un marché boursier plutôt baissier, un dégonflement de la prime aux valeurs de croissance, une explosion en vol des segments les plus spéculatifs (petites valeurs de croissance, SPAC), un retour en grâce des valeurs défensives décotées.

  • Beaucoup d'actifs à risque, une prime au cash et à l'opportunisme, quelques actifs pour le moyen terme

Au risque de déplaire, il nous semble donc probable que les marchés d'actions occidentaux vont continuer à baisser et que les obligations publiques et privées vont encore se dévaloriser. L'immunité de certains segments de l'immobilier ou du private equity à la hausse des taux est aussi questionnable. Les indices boursiers vont s'effriter sous le double poids de la révision baissière des bénéfices (à cause de la décélération économique et de la baisse des marges) et de la baisse des multiples (provoquée par la hausse des taux à long terme).

Les valeurs de croissance sont les plus à risque car encore trop chères dans un contexte de hausse des taux longs. Les cours des petites et moyennes valeurs disruptives américaines (fort bien représentées par l'ETF ARKK géré par l'emblématique Cathie Wood) ont déjà été divisés par quatre. Mais le chemin vers la normalité continue. De nombreuses entreprises disruptives et en forte croissance mais surévaluées connaissent le même sort que les valeurs TMT à la sortie de la bulle des années 90. Les perspectives des grandes GAFAM sont compliquées aussi mais pour d'autres raisons. Leur valorisation est moins en cause que la saturation de leurs marchés et donc le plafonnement de leur potentiel de croissance (sauf pour la partie cloud) ainsi que les multiples risques réglementaires, juridiques, déontologiques et fiscaux qui pèsent sur elles.

La gestion value reprend des couleurs et en particulier les valeurs value défensives à haut rendement en dividendes (telecom, distribution, big pharma, utilities). Elles apparaissent, après douze ans de purgatoire boursier, comme un refuge financier. Les valeurs cycliques et financières sont intéressantes mais elles nécessitent beaucoup de doigté et de timing car elles fluctueront violemment en fonction des craintes de décélération et des espoirs de reprise économique.

Les emprunts d'Etat américains et européens ont sans doute encore à perdre. Qui peut croire, maintenant que la Réserve fédérale réduit son bilan, que les investisseurs privés vont se porter sur la partie longue de la courbe américaine à 3% de rendement annuel alors que les attentes d'inflation de long terme tant des investisseurs que des ménages se décalent progressivement au-delà de 4%. L'Europe est aussi très exposée mais le risque de spirale prix-salaires est moins vif. Enfin, les emprunts privés sont encore plus sensibles car les spreads de crédit continuent à s'élargir avec les anticipations de ralentissement économique et de poursuite de la baisse boursière.

Reste l'inconnue du tempo. La vitesse et le déroulement chronologique de ce rebasculement sont incertains, dépendant de tant d'événements imprévisibles, de tant de décisions prises ou pas et de tant de configurations financières et psychologiques. Ce qui nous laisse penser que l'évolution des marchés pourrait bien prendre la forme d'un zigzag comme dans les années 2000-2003.

  • Changer son logiciel d'investissement

Une évidence s'impose. Les choix financiers et les méthodes qui ont fait le bonheur des investisseurs durant douze ans risquent de ne plus être adaptés à la nouvelle phase du cycle. L'analogie avec les années 2000-2003 est patente.

Que préconisons-nous ? Tout d'abord de la prudence dans un contexte désormais peu fructifère. Le cash n'est plus un mot grossier. Ensuite l'opportunisme. Notre équipe voit deux opportunités de moyen terme et une de plus court terme mais il y en aura sans doute d'autres.

A moyen terme, le positionnement sur la "value" et en particulier sur les valeurs défensives acycliques et peu chères nous semble évident. Citons à titre d'exemple Orange, Carrefour et Sanofi en France ou BAT et Merck à l'international. C'est un peu la revanche des mal-aimées. Ensuite, il nous semble cohérent de faire un pari sur la hausse des taux soit par détention d'obligations à taux variable soit par la vente à terme de futures sur T-Note américain ou Bund allemand. Enfin, si les marchés doivent évoluer en zigzag baissier, il y aura plusieurs occasions d'investir sur des indices boursiers, des valeurs cycliques, des obligations d'entreprise décotées ou même des valeurs de croissance moins chères pour profiter des reprises temporaires. La première fenêtre de tir pourrait bientôt s'ouvrir.

C'est donc ce que nous avons en tête pour nos mandats de gestion et nos fonds Alienor Alter Euro et Alienor Optimal. Nos choix de gestion actuels sont ainsi bien différents de nos choix des années passées. Nous les faisons avec la pleine conscience du renversement du cycle.

(*) Valeurs de croissance : société dont le chiffre d'affaires et les bénéfices croissent plus rapidement que la moyenne du marché.

(**) Valeurs value : actions sous-valorisées et qui se négocient à un prix inférieur à leur valeur intrinsèque.

(***) Spreads de crédit : différence de taux d'intérêt d'une obligation avec celui d'une obligation de référence de même durée, considérée comme la moins risquée (l'emprunt d'Etat).

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