Enraciné, chauvin et pessimiste, le Néo-Aquitain ?

Est-ce un hasard au moment où Bordeaux est un des bastions de la contestation des Gilets jaunes ? Les marqueurs liés à la souffrance sociale sont, en Nouvelle-Aquitaine, parmi les plus élevés de France à en croire le dernier Baromètre des territoires 2019 intitulé "La France en morceaux", publié par l'Institut Montaigne et Elabe. Cette enquête dresse à grands traits un portrait-robot du néo-aquitain très contrasté : volontiers chauvin, vivant dans la région par choix mais frappé par un fort sentiment de déclassement, d'injustice et par un pessimisme vis-à-vis de l'avenir.
Le Baromètre des territoires 2019 dresse les grandes lignes du portrait-robot des Néo-Aquitains

"En l'espace de vingt ans, la structure sociale et spatiale de la France s'est profondément modifiée. En deux générations, le nombre de diplômés de l'enseignement supérieur a doublé, passant à plus de 40% des sortants de la formation initiale chaque année. Les emplois sont de plus en plus concentrés dans le cœur des métropoles, alors que le périurbain a capté une grande partie de l'habitat. Ces mutations ont créé de nouvelles fractures qui séparent aujourd'hui une France qui va plutôt bien et a pu tirer parti de ces évolutions, et une France qui se sent mise à l'écart et a le sentiment de perdre sur toute ou partie des tableaux." Les premières lignes du Baromètre des territoires 2019 publié par l'Institut Montaigne et Elabe (en partie disponible en ligne ici) sont particulièrement justes. Elles pointent les lignes de fractures sociologiques, géographiques, qui séparent les populations.

Le phénomène n'est pas nouveau pour qui s'intéresse au sujet mais il a été brutalement mis en lumière par le mouvement des Gilets jaunes. La Gironde, particulièrement Bordeaux et le Nord-Est du département, vers Virsac et sa gare de péage dégradée à plusieurs reprises, a été en pointe dans la contestation. Elle l'est d'ailleurs toujours et les manifestations du samedi continuent à drainer des milliers de manifestants, en faisant un bastion incontestable du mouvement malgré son essoufflement.

"Les Gilets jaunes expriment le ressenti d'une grande injustice sociale et d'une grande peur de déclassement social pour eux-mêmes mais surtout pour leurs enfants et leurs petits-enfants", considérait dans nos colonnes Christian Chassériaud, vice-président du Conseil économique et social de Nouvelle-Aquitaine (Ceser) et membre du bureau de la Fédération régionale des acteurs de la solidarité. Incontestablement, cette assertion est validée par le Baromètre des Territoires 2019 qui offre un regard tant sociologique que territorial.

Lire aussi : Gilets jaunes : ce que racontent les premières enquêtes de terrain

Que dit l'enquête menée par Elabe et l'Institut Montaigne ? Que l'ampleur du mouvement des Gilets jaunes dans la région trouve une traduction dans les préoccupations de nos concitoyen de Nouvelle-Aquitaine. En gardant toujours à l'esprit que l'étude a pour cadre une échelle nationale puis régionale, forcément réductrice. Les typologies de population à Bordeaux, à Saint-André-de-Cubzac, à Arcachon, dans le Lot-et-Garonne ou dans la Creuse sont bien évidemment très différentes. Elabe prend également soin de préciser que "le pouvoir d'achat et le capital socioculturel des individus sont des déterminants beaucoup plus puissants que les caractéristiques objectives de nos territoires" dans le cadre de ce type d'étude.

Quatre familles de population

Le Baromètre des territoires 20119 dessine quatre "grands types de trajectoires sociales et territoriales" valables partout en France. On y retrouve :

  • les "Français affranchis", qui ont peu d'attaches territoriales et ont la possibilité et les moyens tant socioculturels que pécuniers de se couper des contraintes territoriales et sociales en changeant de territoire, de métier... par exemple. Ce sont les moins nombreux en France au sens de l'étude (21 %). Leur niveau de vie est largement supérieur au revenu moyen déclaré (2.148€ par mois contre1.777€). Trois-quarts d'entre eux bouclent facilement leurs fins de mois, dont 37% ont une capacité d'épargne... et 95 % sont à l'aise avec les outils et services numériques. Plus de 6 "affranchis" sur 10 résident dans des agglomérations de 100.000 habitants et plus.
  • Les "Français enracinés" sont "heureux de vivre là où ils ont choisi de vivre" et refusent de considérer l'option de la mobilité (22 % en France). La moitié d'entre eux vivent dans des communes rurales ou de petites agglomérations de moins de 20.000 habitants. Les retraités sont hyper-représentés dans cette catégorie (38 %) avec un niveau de vie dans la moyenne française.
  • Les "Français assignés", assignés à leur territoire de résidence et subissant de plein fouet les inégalités sociales et territoriales, « bloqués géographiquement et socialement ». Ce sont les plus pessimistes... (25 %). Cette population est principalement composée de quadragénaires et quinquagénaires, plutôt sous-diplômés et dont le niveau de vie est le plus bas : 1.544 € par mois. 72 % disent avoir des difficultés à boucler leurs fins de mois. C'est la France des communes rurales, des commerces et des services de proximité qui ferment.
  • Les "Français sur le fil" sont tiraillés entre "leur aspiration à la mobilité sociale et territoriale et une difficulté à s'affranchir de leur situation socio-économique et des inégalités territoriales". Ils sont les plus nombreux (32 %). Cette catégorie est de loin la plus hétérogène car elle mélange plusieurs caractéristiques précitées. On y trouve une légère sur-représentation des classes moyennes inférieures et populaires, avec un niveau de vie très (1.708 € par mois) légèrement en-dessous de la moyenne nationale.

La Nouvelle-Aquitaine se décrit

Quel est alors le regard des Néo-Aquitains (800 personnes sondées dans la région) ? Il relativise fortement la litanie de classements qui placent Bordeaux en tête des villes où il faut vivre, investir, déménager quand on est cadre en Ile-de-France... Ce qui est somme toute assez logique car il combine les ressentis de populations qui profitent de l'attractivité de la ville-centre, d'autres qui en pâtissent, et d'autres encore qui sont épargnés par cette force d'attraction.

Si l'on observe les typologies d'acteurs en présence, deux chiffres ressortent : la Nouvelle-Aquitaine compte beaucoup plus de "Français enracinés" (26 % de la population sondée contre 22 % au plan national) et beaucoup moins de "Français affranchis" (17 % contre 21 %). Les ratios sont en revanche les mêmes pour les "Français assignés" (25 %) et pour les "Français sur le fil" (32 %). Les habitants de Nouvelle-Aquitaine témoignent d'un fort sentiment d'attachement à leur région (61 %), le 2e plus fort après celui constaté en Bretagne. En revanche ils ne sont que très peu attachés à la France (71 %, derniers à égalité avec Grand-Est. L'attachement au quartier (45 %) est pile dans la moyenne nationale. Et 28 % des sondés néo-aquitains estiment que leur lieu de vie n'a aucun défaut, 3 points au-dessus de la moyenne nationale ! 60% (+8 point par rapport à la moyenne) affirment qu'ils ne déménageraient pas dans une autre région s'ils en avaient la possibilité et 71 % ne changeraient pas de quartier au sein de la même commune.

Les défauts qui ressortent en priorité selon les habitants de la région sont les transports (à 57 %, soit la région la plus mécontente sur le sujet), devant le manque de commerces et l'économie locale. 41% (+4 points VS moyenne nationale) jugent que les services publics disparaissent près de chez eux.

La souffrance sociale très marquée

Le Baromètre des territoires a également mesuré le "niveau de bonheur", notion abstraite s'il en est. Les habitants de Nouvelle-Aquitaine se disent heureux à 72 %, vers la queue du classement (avant-dernier, juste devant l'Occitanie). Ils sont plus nombreux que dans la plupart des régions à considérer qu'ils vivent dans un endroit qui va bien (61 %). 62 % ont le sentiment d'avoir choisi la vie qu'ils mènent (moyenne France 61 %) et 69 % juge qu'il fait bon vivre dans leur quartier, leur commune (moyenne France 66 %).

Les items liés à la souffrance sociale sont très parlants : 84 % des habitants de Nouvelle-Aquitaine jugent que "la société actuelle est injuste". C'est le plus fort taux constaté à travers les régions, bien supérieur aux 78 % de la moyenne nationale. 62 % des néo-aquitains estiment que la réussite sociale est jouée d'avance (contre 63 % en moyenne nationale). Et à l'interrogation "Vous contribuez plus au système (impôts) que vous n'en bénéficiez", 68 % des Néo-aquitains répondent positivement. Un taux qui les place sur la 1re marche du podium en compagnie des Bretons et des habitants de la région Aura. Précisément 50 % des habitants de Nouvelle-Aquitaine estiment avoir des fins de mois difficiles (2e marche du classement des régions derrière la Normandie, 53 %) et 52 % disent avoir retardé ou renoncé à des soins de santé pour raisons financières (3e place). 44% estiment que leur situation financière s'est dégradée au cours des douze derniers mois, 42% qu'elle est restée stable. 39 % ont été à découvert tous les mois ou à plusieurs reprises en 2018, deux points au-dessus de la moyenne nationale.

54 % des 800 personnes interrogées en Nouvelle-Aquitaine estiment que leurs parents vivaient mieux qu'eux au même âge. Les perspectives citées ne sont pas non plus réjouissantes : 46 % des sondés néo-aquitains sont pessimistes pour leur avenir personnel (moyenne France : 43 %). 49 % pensent que leurs enfants vivront moins bien qu'eux au même âge, ce qui les place au rang des plus pessimistes de France avec les habitants de Centre Val de Loire. Sur cet item, la moyenne française est à 44 %. 72 % sont pessimistes pour l'avenir de la société française (+2 points par rapport à la moyenne française).

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Commentaires 2
à écrit le 21/02/2019 à 18:31
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“Ce qui découle du pessimisme, c’est la doctrine de l’absurdité de l’existence.” Nietzsche On est peut-être plus évolué que le reste de la population française non ? :-) Et si on passait enfin à autre chose ? Et si notre société avançait ...

à écrit le 21/02/2019 à 6:08
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La métropole bordelaise se construit sans nous. 50 % des logements construits ne sont pas commercialisés car les investisseurs veulent les revendre après 2eme plus-value à d'autres spéculateurs (lorsqu'ils sont vides c'est plus cher). Ca explique qu'...

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