Baverez - Ammar : de la France qui tombe à celle qui est proche de la tombe

La 22e Université Hommes-Entreprises organisée par le Centre entreprise et communication avancée (CECA) sur la thématique “Acteur du changement, Maitre de son destin” a donné lieu à des conférences et échanges d’une grande richesse intellectuelle et émotionnelle, ponctués par un “duel” à distance entre l’économiste Nicolas Baverez et l’entrepreneur 2.0 Oussama Ammar sur l’avenir économique du monde en général et de la France en particulier.
Opposition de style, conflit de génération, voire les deux, Oussama Ammar et Nicolas Baverez ont livré deux analyses différentes quant à l'avenir économique de notre société.

Maître de son destin ? La France l'est sans doute encore aux yeux de l'économiste et historien Nicolas Baverez qui avait défrayé la chronique médiatique en écrivant l'ouvrage "La France qui tombe" (éditions Perrin) en 2004 et qui vient de livrer un nouveau livre sur la situation économique, idéologique, géopolitique et écologique du monde en général et de la France en particulier : "Danser sur un volcan" (Albin Michel).
Il apparait que pour garder la maîtrise de son avenir, la France a beaucoup, beaucoup de boulot. C'est en tout cas ce que pense Nicolas Baverez pour qui ce n'est pas une spécificité hexagonale, mais sans doute celle de tout l'occident qui excelle, selon lui, quand il s'agit de se voiler la face quant à sa situation.

"Nous n'avons pas voulu voir les chocs imposés à notre société. Les attentats de 2001, la crise du capital de 2008, le crack chinois, la domination de l'intelligence artificielle sur les meilleurs joueurs de Go, la crise des migrants, le réveil des empires comme la Russie ou la Turquie et plus récemment encore le brexit...", expliquait Nicolas Baverez au moment d'effectuer un tour d'horizon pas vraiment encourageant de la situation du monde et notamment celui des démocraties. "Elles sont sur le reculoir, contournées par le capitalisme, les technologies et la société, via notamment le terrorisme", analyse l'économiste qui souligne que "les Etats providence, endettés à des niveaux élevés, sont déstabilisés, et que le salarié, pierre angulaire des Trente Glorieuses est, lui aussi, sur la défensive désormais."

Nicolas Baverez

"La France ? Une URSS qui va à la ruine"

Poursuivant le constat, Nicolas Baverez enfonce le clou.

"La France est une URSS qui va à la ruine. On passe du déclin relatif au déclin absolu. Incapable de se réformer, elle est plombée par des résultats économiques en berne, par, notamment, le recul de son activité à l'export. A ce jour, 15 % de sa population vit grâce à l'Etat providence et 20 % d'une classe d'âge sort de l'école sans savoir ni lire, ni écrire..."

Rappelant les mots de de Gaulle, évoquant une France qui se réforme par révolution uniquement, Nicolas Baverez souligne néanmoins les atouts (agriculture, tourisme, économie diversifiée, secteurs privés forts dans l'énergie, l'eau, bon niveau des infrastructures...) de la septième économie mondiale, évoque les thérapies de choc qui ont redressé certains pays européens, comme l'Espagne par exemple. En clair, il sort sa "boite à outil" capable de réparer le pays.
"Se reposer ou être libres, nous avons le choix", expliquait à l'assistance Nicolas Baverez en paraphrasant Thucydide... et en esquissant une voix de salut qui passe par le recul de la démagogie en politique, le recul d'une habitude un peu trop française qui consiste à préférer le passé à l'avenir.

"En France on commémore le passé, et en Europe la politique est une vaste cellule de soutien psychologique... moi j'aimerais qu'elle agisse."

Oussama Ammar

Oussama Ammar : "L'ancien monde et ses valeurs n'existent plus"

Dernier intervenant de l'Université Hommes-Entreprises 2016, le Franco-Libanais Oussama Ammar, entrepreneur lancé très tôt (10 ans) dans le grand bain du business numérique, habile "provocateur-orateur"  n'est pas, lui, c'est même un doux euphémisme, tourné sur le passé...
Représentant de la génération Y, Oussama Ammar s'est empressé de balayer en quelques mots, à la fois justes, cyniques, drôles mais aussi volontairement brutaux parfois, le discours de l'économiste qui le précédait sur scène.

"Les générations d'avant tentent d'analyser le monde et son économie en se basant sur des référentiels qui n'existent plus. La grille de lecture de monsieur Baverez est celle de l'ancien monde. Vous parlez PIB, capital, rendement, mais ce dont vous parlez n'existe déjà plus. Vous évoquez la nation, la France, mais ce pays n'existe déjà plus non plus ! Sachez que tout ce qui a de la valeur pour vous, comme le travail, les diplômes, les grandes écoles... n'en aura bientôt plus... et cela va faire un bien fou !", lâche Oussama Ammar.

A la fois philosophe, investisseur, entrepreneur de l'économie numérique, cofondateur de The Family, évoque la "commoditization" (ou banalisation, soit la transformation en produit de consommation courante) du capital, de la distribution et même des compétences humaines "accessibles à tous désormais grâce aux cours gratuits diffusés par Youtube !".

"La question se pose de ne plus rien avoir à payer"

La fin des écoles, des diplômes et l'avènement d'une génération d'autodidactes... un discours prospectiviste qui se heurte cependant à un constat, paradoxal, mais pourtant consenti par Oussama Ammar pour témoigner du retard de l'Education nationale : "180.000 jeunes sortent chaque année de l'école sans savoir lire et écrire." Un état des lieux qui donne raison à Oussama Ammar sur les limites de l'école, mais qui freine forcément l'émergence des self made (wo)men... mais qui ne l'empêche pas d'assurer que "cette génération Y est la plus cultivée et compétente qui n'ait jamais existé..."
Une génération Y individualiste assumée, qui rejette l'Etat, "les sociétés internet, comme Google par exemple, refusent d'être dépendantes, fiscalement, économiquement, d'états et sont toujours prêtent à déménager dès la première contrainte", qui rejette le travail "qui n'est pas une forme de libération. Alors que les économistes et politiques s'acharnent à combattre le chômage, personne ne semble prendre le temps de se dire que, peut-être, il est impossible d'en donner à tous", et une génération qui rejette l'argent aussi.

"On peut très bien vivre avec peu d'argent. Tous les biens et services non régulés sont en déflation. Cette déflation est source de liberté. On se pose la question de comment gagner plus alors que la question se pose de ne plus rien avoir à payer ! Tout ce qu'on connaît passe par la fenêtre et c'est une très bonne chose, on est passés d'un monde où tout était prévisible à un monde où tout est incertain ; je trouve que le monde va dans un sens plutôt formidable !"

"La fin du monde des PME qui ne font rêver personne"

Un monde nouveau, numérique, capable, c'est vrai, d'offrir des opportunités de maîtrise de son destin à celles et ceux qui en possèdent les codes, mais qui rapidement ne pourra plus coexister avec l'ancien selon Oussama Ammar : "Le monde traditionnel ne survivra pas à cette évolution".
La fin d'un monde, le vieux, celui "des PME qui ne font rêver personne", dixit Oussama Ammar, le début d'un autre où la révolution numérique qui s'impose "est la dernière étape de notre société démocratique !".
Dernière étape avant quoi ? Un monde d'opportunités pour tous, ou de chaos ultra libéral ? La réponse tient peut-être dans la dernière affirmation de l'entrepreneur :

"La société n'avance pas dans le déni, l'indifférence, mais dans le conflit."

Nul doute que pour Oussama Ammar, ce sont les "barbares", c'est ainsi qu'il décrit les sociétés de la révolution numérique, qui disruptent des pans entiers de l'économie dite traditionnelle, qui vont gagner ce conflit.

Entre l'analyse d'un naufrage collectif, et celui d'une sauvetage technologique, individualiste, aussi enthousiasmant pour ceux qui le provoquent que brutal pour ceux qui la subissent, l'Université Hommes-Entreprises a su, une nouvelle fois, provoquer un de ses rares moments capables de générer la réflexion... mais après l'immense émotion - admiration suscitée par les interventions d'Anne-Dauphine Julliand, d'Anjar Linder ou encore de Xin-Dong Cheng, le retour sur terre économique proposé par Nicolas Baverez et Oussama Ammar a été rude.

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