Levées de fonds : après les records, « l'écosystème anticipe la fin de l'euphorie »

INTERVIEW. 320 millions d'euros ! Le montant des fonds levés par les startups en Nouvelle Aquitaine au deuxième trimestre 2022 donne le vertige. Mais cette envolée, portée par trois pépites régionales Nfinite, Telecom Design et Sellsy, coïncide peut-être aussi avec la fin d'un âge d'or pour les startups qui cherchent à se financer. Entretien avec Rodolphe Lilamand, spécialiste des levées de fonds chez In Extenso Innovation Croissance.
470 millions d'euros ont été levés par l'écosystème néo-aquitain au premier semestre selon le décompte de French Tech Bordeaux. Un montant en hausse de 50 % par rapport à la totalité de l'année 2021 !
470 millions d'euros ont été levés par l'écosystème néo-aquitain au premier semestre selon le décompte de French Tech Bordeaux. Un montant en hausse de 50 % par rapport à la totalité de l'année 2021 ! (Crédits : French Tech Bordeaux)

En 2018, les entreprises de la French Tech en Nouvelle-Aquitaine levaient 75 millions d'euros. Le 22 avril dernier, l'entreprise historique Telecom Design, postée au sud de Bordeaux, bouclait à elle seule un tour de table à 70 millions d'euros. Le changement d'échelle est brutal. La Nouvelle-Aquitaine, dopée par sa capitale régionale, se hisse au 4e rang des régions qui ont levé le plus de fonds au premier semestre 2022 avec 470 millions d'euros selon la French Tech Bordeaux. Avec 21 opérations, le nombre de levées reste stable au deuxième trimestre alors que le ticket moyen, lui, explose pour être porté à 15 millions d'euros... contre seulement 2,7 millions d'euros un an plus tôt. Les records tombent, les plus gros acteurs raflent tout et les observateurs prévoient que le vent va vite changer de direction avec une tendance qui s'affirme : on ne lèvera bientôt plus des fonds comme avant.

LA TRIBUNE - Au premier semestre 2022, les levées de fonds ont atteint des montant jamais vus en Nouvelle-Aquitaine au diapason de l'euphorie nationale. Qu'est-ce qui a changé par rapport aux années précédentes ?

Rodolphe LILAMAND, spécialiste des levées de fonds chez In Extenso Innovation Croissance - Quand on regarde l'historique des levées de fonds depuis 2018, on voit qu'on était entre 40 et 50 millions sur le premier semestre en moyenne. Avec des tickets moyens qui étaient entre 2,5 et 3 millions d'euros. Là on se retrouve avec des montants largement multipliés par 7 ou 8 et un ticket moyen autour de 15 millions d'euros ! Les grosses opérations qui avaient principalement lieu en Ile-de-France commencent à perfuser en région et notamment en Nouvelle-Aquitaine avec le gros tour de table de Nfinite. Ils sont parvenus à attirer des acteurs américains pour une méga-levée de 93 millions d'euros.

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Alors que le ticket moyen a explosé, le nombre de levées de fonds en Nouvelle-Aquitaine reste stable chaque semestre depuis plusieurs années. Est-ce le signe de l'avènement des licornes au détriment des startups ?

Pas nécessairement puisque les petites levées de fonds restent presque en quantité similaire. En réalité, en Nouvelle-Aquitaine, ce sont les trois plus grosses opérations qui viennent fortement peser sur la moyenne. Si on regarde la médiane, on voit qu'on reste sur des valeurs cohérentes, représentatives de la dispersion des opérations.

Est-ce à dire que la concurrence autour des plus grosses levées de fonds est saturée en Ile-de-France et que les régions vont désormais capter une part plus importante des investissements ?

En effet, beaucoup de sociétés qui ont des activité en région vont connaître une forte trajectoire de croissance et attirer des investisseurs en séries B ou en séries C pour des grosses opérations. Sur la saturation du marché francilien, il y a effectivement eu toute cette période d'euphorie sur les deux, trois dernières années principalement tirée par des grosses opérations de 50 voire 100 millions d'euros. Mais ce type de tour de table à plus de 100 millions pour des sociétés qui sont loin de la rentabilité, ça va être beaucoup plus difficile désormais. Pour celles qui sont proches de la rentabilité en revanche, il y a beaucoup de réserves du côté d'investisseurs européens et américains donc elles parviendront toujours à financer leur croissance.

En Nouvelle-Aquitaine, on parle d'écosystème régional alors que Bordeaux est en situation de domination absolue, tant du point de vue du nombre d'acteurs que des investissements captés. Comment Bordeaux en est-elle arrivée là ?

Pour les premiers acteurs qui s'étaient lancés dans la relocation d'activités R&D de Paris à Bordeaux, c'était un vrai challenge. La disponibilité de ressources en informatique et dans le digital était plus limitée. Beaucoup d'acteurs venait faire leur shopping chez Cdiscount. Aujourd'hui, il y a un écosystème diversifié qui est beaucoup plus riche et propice à la création de sociétés dans le digital. Dans le domaine de la santé, il y a avait déjà des historiques sur la R&D et sur le tissu industriel. On le voit sur ce premier semestre : Synapse Medicine parvient à réaliser une belle opération, Carbon Works, qui était une deeptech industrielle, avait déjà un certain nombre d'actifs qui l'ont lancée sur cette nouvelle levée de onze millions d'euros.

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Avec la tendance inflationniste et le manque de confiance en la conjoncture économique, certains observateurs prédisent des temps difficiles pour les levées de fonds. Pensez-vous qu'il s'agit d'une bonne nouvelle pour réguler l'écosystème ?

Il y a effectivement un vent de fin d'euphorie qui souffle, avec des plus et des moins. Dans les facteurs positifs, on voit que les fonds ont encore beaucoup de ressources financières. Ils sont sur des rythmes d'investissement de long terme. Ce qui tranche par rapport aux années précédentes où énormément de startups ont profité d'un vent favorable et ont pu lever des fonds sans présenter de perspectives de rentabilité immédiates. Maintenant, l'écosystème anticipe un peu la fin de cette euphorie, une période plus difficile, notamment avec des ajustements de valorisation et la sélectivité attendue par les investisseurs sur des modèles qui soient désormais rentables à très court terme.

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Les plus grosses levées de fonds en Nouvelle-Aquitaine au premier semestre 2022 :

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