Menuiseries Grégoire : 234 emplois disparaissent en Dordogne après la liquidation judiciaire

Entreprise industrielle plus que centenaire, Menuiseries Grégoire vient de s'effondrer en Dordogne. Le résultat d'un processus de perte d'adhérence à la réalité du marché aggravé par des conditions lourdement négatives : de la crise financière de 2008 aux effets économiques de la pandémie de Covid-19. Les millions d'euros d'aides injectés n'auront pas suffi à sauvegarder les emplois des 234 salariés encore présents sur le site.
Les Menuiseries Grégoire fabriquaient des portes, contrevents et fenêtres en bois, aluminium, PVC et bois-aluminium (sur notre photo un site Technal de fênêtres aluminium).
Les Menuiseries Grégoire fabriquaient des portes, contrevents et fenêtres en bois, aluminium, PVC et bois-aluminium (sur notre photo un site Technal de fênêtres aluminium). (Crédits : TECHNAL)

Un monument périgordin de la menuiserie industrielle vient de s'effondrer avec la décision prise, ce jeudi 28 avril 2022, par le tribunal de commerce de Périgueux d'ordonner la mise en liquidation des Nouvelles Menuiseries Grégoire, à Saint-Martial-d'Artenset (Dordogne). Décision qui se solde par la fermeture du site dès ce vendredi 29 avril et la perte de 234 emplois, de source syndicale, et d'un énorme outil industriel composé notamment de 55.000 m2 de bâtiment.

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De par son importance, l'entreprise a employé jusqu'à 800 salariés avec un point haut de chiffre d'affaires à 100 millions d'euros entre les années 1990 et le début des années 2000, Grégoire ne pouvait pas échapper aux radars des banques ni à ceux de la Région Nouvelle-Aquitaine et des services de l'Etat. Et quand il est devenu clair, à la fin des années 2010, que cette entreprise emblématique du secteur de la menuiserie industrielle risquait de disparaître, l'Etat et les collectivités n'ont pas hésité à mettre la main à la poche pour tenter d'éviter le pire.

Un contre-coup de la crise financière de 2008 ?

"C'est un gros sujet extrêmement délicat. L'accident industriel sans doute le plus important de ces dernières années... une longue descente aux enfers dans le monde des entreprises en difficultés", introduit une source proche du dossier de longue date.

Cette dernière explique que les Menuiseries Grégoire ont souffert de stratégies d'entreprise parfois hors sujet, mais aussi de certaines circonstances.

"En 2007, la famille Grégoire a vendu une partie de l'entreprise au fonds d'investissement Parquest. Cette vente a eu ceci de particulier qu'elle a reposé sur un OBO (owner by out/pour rachat par soi-même -Ndr), opération qui permet au propriétaire d'une entreprise de transmettre plus facilement son patrimoine, en revendant une partie de ce dernier à un nouvel actionnaire. Ce qui permet de générer du cash, de la liquidité, et de sécuriser le patrimoine. Mais il semble que l'évaluation des actifs des Menuiseries Grégoire faite à cette occasion ait été généreuse. Je n'ai pas dit rédhibitoire. C'est la crise financière de 2008 qui a précipité les choses, en empêchant ensuite Parquest d'effacer l'effet prix de départ", rembobine l'analyste, qui voit dans cette sortie de route historique l'origine du dépôt de bilan survenu dix ans plus tard.

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Reprise : le financier préféré au professionnel de la filière

Lorsque survient ce clash bilantiel de 2018, les Menuiseries Grégoire sont mal en point mais tout le monde y croit encore. Avec Parquest comme propriétaire, le dossier est transmis au tribunal de commerce de Paris. Avec deux repreneurs représentant deux grandes options pour la reprise. Prudentia Capital, fonds d'investissement qui vient de voir le jour et qui veut signer avec Menuiseries Grégoire sa première opération financière, avec en face un gros joueur de la filière, le groupe Lorillard, spécialisé dans la menuiserie, appuyé par CM-CIC (Crédit mutuel) Investissement et le fonds d'investissement Carvest (Crédit agricole).

"Il y avait un financier en concurrence avec un professionnel du secteur et bien sûr il a fallu que le tribunal retienne le pire des deux, le financier !", s'insurge Yves Dangelaud, délégué syndical CFDT aux Menuiseries Grégoire.

Prudentia Capital a beau avoir été cofondé par un ancien du Ciri (Comité interministériel de restructuration industrielle), la mayonnaise ne va effectivement pas prendre :

"Alors que tout le monde avait retenu le dossier de Lorillard, il a fallu que le tribunal de commerce choisisse Prudentia Capital. Sans doute parce qu'en plus d'un ancien du Ciri, le fonds était financé par Bpifrance. Mais il faut savoir qu'à ce moment-là l'entreprise avait déjà souffert et perdu de gros clients comme Bouygues ou Eiffage. Il fallait une pointure du métier pour rattraper tout ça. D'autant que l'équipe précédente avait cessé d'investir dans l'outil de production", décrypte un fin connaisseur du dossier.

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Malgré 10 millions d'euros d'apport c'est le crash

Prise à la gorge, la nouvelle équipe va sombrer dans la fuite en avant en cassant notamment les prix pour essayer de faire du chiffre d'affaires, explique-t-il.

"Attention, ce n'étaient pas des voyous et ils ont injecté un peu plus de dix millions d'euros dans l'entreprise, mais ils ont opté pour une mauvaise stratégie. En 2021, un manager très efficace, Xavier Palle, a été nommé à la tête de l'entreprise mais c'était trop tard. Avec ce contexte du Covid-19 et les problèmes internes il lui aurait fallu deux ans pour réussir alors qu'il n'en a eu qu'un", conclut l'homme de l'art.

Un outil industriel trop lourd à gérer

Vu depuis l'intérieur de l'entreprise, la perception va dans le même sens. Yves Dangeleaud reproche en particulier à Prudentia Capital de n'avoir jamais fait d'effort pour écouter les propositions faites par les salariés, qui connaissaient parfaitement bien le métier, et reconnaît lui aussi la grande compétence de Xavier Palle. Le syndicaliste ne comprend pas que le fonds d'investissement n'ai tenu aucun compte des trois alertes lancées par les syndicats sur ce qu'ils considéraient comme une dérive opérationnelle de l'entreprise dans la phase la plus critique.

"Plusieurs repreneurs sont quand même venus ces dernières semaines à Saint-Martial-d'Artenset voir les Menuiseries Grégoire. Certains sont restés sur place pendant dix jours, ce qui est le délai maximum avant de commencer à proposer une offre", souligne Yves Dangelaud.

Pourtant aucun n'est allé jusque-là. Pour le syndicaliste c'est la taille de l'outil industriel qui leur a fait peur, avec 30 hectares de surface et 55.000 m2 de bâtiments.

Plus le moindre euro ni la moindre perspective

Une solution impliquant les collectivités avait été étudié, afin de délester les repreneurs du poids de ce site avec une formule leur permettant de louer. Mais l'idée n'a pas pu aller au bout. Pas parce qu'elle était compliquée à mettre en œuvre mais, selon une source financière, parce qu'il n'y avait plus d'argent.

"Là c'était vraiment allé jusqu'à l'os, devenu squelettique, il n'y avait plus aucune perspective", déplore ainsi cette source.

Tout type de financement confondus, la Région a injecté près de 3,3 millions d'euros pour sauver les Menuiseries Grégoire, tandis que l'Etat (avec les banques) a accordé pour 4,8 millions d'euros de PGE (prêt garanti par l'Etat) à l'entreprise périgordine, plus 0,2 million d'euros d'aide. L'ardoise s'achevant -selon des sources très proches du dossier- par une dette fiscale et sociale d'un montant de 5 millions d'euros.

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Contactée par La Tribune, la direction de l'entreprise n'a pas souhaité s'exprimer.

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