La Nouvelle-Aquitaine face au défi d'industrialiser ses technologies

Le secteur de la chimie et des matériaux est trois fois plus présent dans la région que dans le reste du pays. C'est ce qui ressort d'une étude évaluant les domaines technologiques stratégiques de la Nouvelle-Aquitaine. Et si la dynamique d'innovation est en bonne forme, l'économie régionale demeure bridée par un mal bien français : la défaillance à pouvoir industrialiser les technologies.
Maxime Giraudeau
Le secteur chimie-matériaux, illustré ici par l'eau de graphène de Carbon Waters, est celui qui compte le plus grand nombre d'acteurs économiques en Nouvelle-Aquitaine par rapport au niveau national.
Le secteur chimie-matériaux, illustré ici par l'eau de graphène de Carbon Waters, est celui qui compte le plus grand nombre d'acteurs économiques en Nouvelle-Aquitaine par rapport au niveau national. (Crédits : Agence APPA)

Alors qu'ils avaient présenté leur étude au président du conseil régional Alain Rousset le matin-même, Guilhem Pasquier et Antoine Achard revenaient sur une de leurs conclusions. "Avec la crise, on se pose la question de la capacité des territoires à produire industriellement." "On sait inventer des technologies innovantes et sympathiques, mais derrière, il n'y a personne pour industrialiser", lançaient-ils l'un après l'autre.

Les deux auteurs de l'étude sur les domaines technologiques régionaux émettent ce constat qui peut résumer en substance leur travail, mêlant enquête qualitative et quantitative. La faible capacité à déployer l'innovation dans des productions à grande échelle ? "C'est ressorti tout le temps dans les entretiens", souffle Antoine Achard. L'échec est caractéristique du pays tout entier, bien au-delà des frontières néo-aquitaines, mais le ras-le-bol exprimé par l'écosystème est cinglant.

Illustration avec la crise Covid et les limites du secteur pharmaceutique, l'une des faiblesses de la région. "Sur le nombre de molécules que l'on développe en France, on est capable d'en industrialiser aucune. Il n'y a pas eu de vaccin français certainement à cause de la fragilité du secteur pharmaceutique", relie-t-il encore.

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Construction de l'étude


  •  L'étude Domaines technologiques régionaux, débutée en janvier 2020, a été menée pendant un an via l'analyse de données et la conduite d'entretiens. Ses auteurs sont Guilhem Pasquier, alors chargé de projets pour Via Inno, plateforme de recherche en intelligence technologique, et Antoine Achard, chef de projet à l'Agence de développement et d'innovation Nouvelle-Aquitaine titulaire d'une thèse sur l'industrie régionale. Un indice de spécificité régionale a été attribué aux douze domaines étudiés, prenant en compte la représentation des acteurs régionaux dans un secteur par rapport au niveau national. Un indice au-dessus de 1 indique que le secteur est sur-représenté en Nouvelle-Aquitaine. La démarche vise à "aider à la prise de décision stratégique et politique à court, moyen et long terme."

Chimie-matériaux en tête

Derrière ce fil rouge, les deux observateurs du champ technologique régional ont mis en valeur les points forts et les faiblesses du territoire. Le secteur chimie-matériaux fait ainsi figure de pilier de l'économie, en étant trois fois plus présent en Nouvelle-Aquitaine que dans le reste du pays. En complément du nombre d'acteurs référencés, les auteurs ont pris en compte la dynamique à l'innovation avec le dépôt de brevets.

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"Nous retrouvons 164 déposants pour 1.329 familles de brevets dans la chimie-matériaux, ce qui en fait l'un des domaines les plus importants en volume", relate l'étude. Un secteur dopé par la présence de l'acteur national Arkema dans le bassin industriel de Lacq-Mourenx (Pyrénées-Atlantiques) - écrasant leader du dépôt de brevets avec 331 familles à son actif - et par le dynamisme de la recherche publique.

Des figures locales tissent également cette force territoriale, comme l'ETI (entreprise de taille intermédiaire) Epsilon composite, basée à Pauillac, qui produit des composants adaptables aux dispositifs techniques œuvrant en milieu hostile. Pour elle, comme pour les petites entreprises, la dépendance à la conjoncture et aux commandes se révèle très importante.

"Le secteur chimie-matériaux porte l'embryon pour créer une interconnexion, avec un potentiel pour une feuille de route régionale axée sur les nouveaux matériaux", propose Antoine Achard.

infographie industrie régionale

Énergie et transport maritime ensuite

L'économie régionale se distingue par d'autres points forts, notamment dans l'énergie avec tout d'abord le haut déploiement des énergies renouvelables. Et une ambivalence : alors que l'éolien connaît un niveau de développement soutenu dans les anciennes régions Poitou-Charentes et Limousin, le mix énergétique néo-aquitain, en terme de puissance électrique, est dominé à 80% par le nucléaire, soit 10 points de plus qu'au niveau national.

Le renouvelable est également porté par le déploiement de nouvelles infrastructures avec les cinq centrales solaires thermiques développées par Newheat ou la mise en service de la plus grande centrale solaire urbaine d'Europe. En revanche, la concentration de l'innovation sur les énergies renouvelables est forte puisque la moitié des 239 familles de brevets du domaine est déposée dans la zone de Bordeaux.

Sur le stockage de l'énergie, la Nouvelle-Aquitaine affiche une pointe logique à 14.9 d'indice de spécificité régionale symbolisée par le lancement de l'Airbus des batteries à Nersac en 2020.

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Autre secteur emblématique la région : le nautique et le naval qui font partie de l'attractivité économique des départements de l'arc atlantique. "L'un des seuls où la zone de Bordeaux ne domine pas la dynamique régionale de dépôts", souligne l'étude.

A la traîne sur des secteurs d'avenir ?

C'est le sujet qui monte depuis un à deux ans. "On abordait l'hydrogène dans beaucoup d'entretiens alors que ce n'était pas le sujet initial", se souvient Guilhem Pasquier. Si les entreprises de la région sont en retard, avec deux fois moins d'acteurs qu'au niveau national, les auteurs de l'étude se veulent rassurants :

"50 % des acteurs de l'hydrogène qui seront présents dans cinq ans n'existent pas aujourd'hui", indiquent-ils à La Tribune.

Un secteur dont l'activité grimpe en flèche, comme en témoigne la croissance de la société bordelaise Hydrogène de France soutenue par le conseil régional.

Dans l'intelligence artificielle et les semi-conducteurs en revanche, l'économie régionale pèche et rien n'augure qu'elle parvienne à faire émerger davantage d'innovations technologiques. "Cela ne veut pas dire qu'il faille se doter de laboratoires pour rattraper le retard. Par contre, il faut que les territoires se saisissent des avancées développées ailleurs", invite Antoine Achard. Ce qui pourrait aider à contrer l'impact des crises sur les bassins économiques spécialisés, qui sont également les plus affectés dans ces périodes.

L'innovation, et l'emploi ?

Dans l'étude menée, les auteurs ont mis en avant la faible diversité d'emploi privé de certains territoires régionaux. C'est ainsi que Sarlat se révèle être particulièrement doté dans les activités qui développent des dispositifs médicaux, et Châtellerault en aéronautique et automobile. Des faiblesses en temps de crise, mais aussi des forces mises en lumière par l'étude et qui pourraient être ciblées par les politiques régionales.

L'occasion pour Antoine Achard et Guilhem Pasquier de plaider pour une déconcentration territoriale. "Notre ambition de départ était de voir la région de façon moins focalisée sur les métropoles. [...] Il faut maintenant une politique d'industrialisation sur le territoire qui permette de déployer les innovations", argumente le second.

Une faveur accordée à l'industrie, dont la région a aussi fait son cheval de bataille depuis 1998 et la présidence d'Alain Rousset en Aquitaine. Et qu'un rapport pour Régions de France saluait même en 2020 : "les politiques volontaristes en matière de stratégies industrielles en font une Région-cible privilégiée." Tout en rappelant qu'en 2016 "la part de la valeur industrielle ajoutée dans le PIB néo-aquitain a augmenté en même temps que son nombre d'emplois industriels baissait. Cela est le signe d'une augmentation de la productivité de son activité industrielle, généralement favorisée par l'innovation et la recherche." Une orientation pas toujours favorable à l'emploi.

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Maxime Giraudeau

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