Les tensions sur les approvisionnements de l'industrie automobile en semi-conducteurs ont atteint désormais un niveau très élevé qui a justifié la tenue, ce lundi 13 septembre, d'un CSE (comité social et économique) extraordinaire à l'usine Magna Powertrain Bordeaux, à Blanquefort (Bordeaux Métropole), couramment appelée Magna Bordeaux. La direction de l'usine, qui emploie 780 salariés, a ainsi informé les représentants des salariés que la demande de production client, qui représentait 49.963 transmissions à fabriquer au 13 août dernier (pour la période du 16 août au 17 septembre) avait été réévaluée à 27.329 ce 13 septembre au matin, soit une chute de production de -45 % !
Pour maintenir en activité les trois équipes de l'usine, la direction a ramené la production à une cadence quotidienne de 1.710 transmissions, avec un jour sans production par semaine, "qui pourra être couvert par de l'activité partielle ou, à la demande du salarié, par des congés ou des heures de récupération". Autrement-dit l'horizon de l'usine, désormais filiale à 100 % du groupe Magna après le retrait de Ford, ne cesse de s'obscurcir. Minoritaires dans l'usine, la CGT et FO n'ont cessé depuis 2019 de multiplier les actions revendicatives pour essayer de mobiliser les autres centrales syndicales de l'entreprise mais aussi de sensibiliser les élus locaux sur le manque de perspectives dont souffrait à l'époque Getrag Ford Transmissions (GFT), devenue Magna Powertrain Bordeaux au 1er mars 2021.
L'accès par la porte ouest de l'ex-usine Getrag Ford Transmissions à Blanquefort (J-Ph.D./LT)
Pas plus d'informations rassurantes aujourd'hui qu'hier
Cette inquiétude chez les salariés n'a cessé de se renforcer jusqu'à se cristalliser cet été lors du CSE extraordinaire organisé avec plusieurs dirigeants de Magna Powertrain le 17 août, quand la CFDT et la CFE-CGC se sont alignées sur des positions semblables à celles de la CGT et de FO. Même la CFDT, qui jusque-là avait fait preuve de patience pour permettre à la direction de la nouvelle entreprise de s'organiser et faire des propositions, a fini par claquer la porte, avec les autres centrales. S'adressant à ses adhérents, la CFDT a tenue à être claire et nette dans ses déclarations.
"(...) Notre ligne de conduite est inchangée. Nous avons laissé le temps nécessaire à Magna pour nous faire part de sa stratégie, hélas lors de nos débats nous n'avons pas obtenu la réponse qui aurait pu vous rassurer sur l'avenir du site girondin et bien au contraire cet échange entre les représentants et les 16 élu(es) n'ont fait que nous démontrer une évidence, celle que Magna n'allait pas nous rassurer dans l'immédiat avec un semblant de projet mais plutôt nous expliquer que la situation mondiale met les constructeurs ainsi que les équipementiers dans des situations très compliquées tant sur les plans financier qu'organisationnel (...)", a ainsi analysé le syndicat CFDT de Magna Bordeaux à l'issue du CSE de cet été.
Un gros dossier industriel loin des feux de la rampe politique
Pour l'usine girondine, les enjeux peuvent désormais se résumer à une seule question à laquelle personne n'a pour le moment pu répondre : le groupe Magna va-t-il ou non doter sa filiale girondine d'un nouveau projet industriel ? Dans l'affirmative Magna Bordeaux pourra espérer continuer à exister, tandis que dans la négative son espérance de vie va s'effondrer rapidement. Contrairement à Ford Aquitaine Industries (FAI), l'usine sœur située à quelques centaines de mètres de GFT, qui fabriquait des boîtes de vitesses automatiques haut de gamme, Magna Bordeaux n'a pas bénéficié d'un plan d'aide financier des collectivités et son parcours n'est examiné par aucun comité de suivi associant services de l'Etat, élus et représentants de l'entreprise.
Le sénateur Gay, au centre à gauche, lors de son passage à Getrag Ford Aquitaine fin avril (Agence Appa)
Cette particularité fait que très peu d'échos remontent du terrain jusqu'aux élus. Bien sûr cela n'empêche pas la maire de Blanquefort, Véronique Ferreira, vice-présidente de Bordeaux Métropole en charge des finances, de suivre ce dossier de près. Il semble bien que des canaux de communication aient été ouverts mais discrètement. Venu sur le site fin avril, le sénateur (PCF) de Seine-Saint-Denis, Fabien Gay devait faire passer le message à Elisabeth Borne (ministre du Travail, de l'emploi et de l'insertion) et Bruno Lemaire (ministre de l'Economie, des finances et de la relance). Selon la CGT ce dossier serait sur le bureau de Bruno Le Maire. Mais, jusqu'à preuve du contraire, Bercy n'aurait contacté aucun élu en Gironde à ce sujet et ne l'a pas confirmé à La Tribune.
Recherche de nouveaux clients, la CFDT n'y croit plus
Le dossier Magna Bordeaux industriel est pourtant à peu près aussi important, en termes d'emplois,que l'était celui de FAI, dans lequel le ministre Le Maire s'était très impliqué, malgré un dénouement malheureux. Dans l'immédiat pourtant personne ne bouge alors que, comme l'a acté cet été la CFDT, le temps presse et qu'il faudrait trouver de nouveaux clients assez solides pour durer.
"Après concertation avec les salariés de Magna Bordeaux, la CFDT s'était engagée, il y a un an à laisser du temps à notre nouveau patron pour s'installer et commencer à démarcher les constructeurs pour apporter un projet qui permettrait une longévité de notre site et de ce fait rassurerait les salariés de Magna Bordeaux.
Aujourd'hui après un an d'attente et d'espoir le message de Magna est le même qu'il y a 12 mois, nous n'avons rien à vous proposer, mais nous y travaillons ! Messieurs de la direction, la CFDT Magna a su être patiente pour le bien des salariés du site, mais aujourd'hui nous ne pouvons que constater que la confiance n'est pas réciproque et que Magna préfère jouer en solo", a ainsi fait savoir par voie de tract la centrale à l'occasion de ce CSE extraordinaire du mois d'août qui a tourné à la crise.
Délais : le noeud coulant se resserre sur l'usine
Dans un registre d'entrée plus pessimiste que celui de la CFDT, sans doute à la suite de la fermeture de FAI, la CGT a préféré commencer à tirer la sonnette d'alarme avec FO aussitôt que possible. C'était en 2019, mais l'élu CGT Vincent Teyssonneau se demande aujourd'hui si ce n'était pas déjà trop tard, regrettant de ne pas avoir tiré sur le cordon dès 2018. Comme la production actuelle de la MX65 ne pourra pas aller au-delà de 2023, qu'il faut deux ans pour lancer un nouveau projet industriel et que nous sommes en 2021, la marge de manœuvre de Magna Bordeaux pour rebondir commence à se rétrécir et à se compter en mois, voire en semaines.
Et Vincent Teyssonneau tient à recadrer ce qui est prévu compte tenu de la chute de la production, qu'accélère la crise internationale.
"Des usines Ford commencent à fermer à cause du manque de puces. Si ce mouvement, comme c'est probable, se poursuit, Magna Bordeaux sera en sureffectif de 352 salariés, soit à peu près la moitié de l'effectif global de l'usine, dès janvier 2022. Ce qui laisse augurer l'organisation d'un PSE (plan de sauvegarde de l'emploi) avec la suppression de près de 50 % des salariés", alerte le syndicaliste.
37 millions d'euros ont déjà été provisionnés pour un PSE
Compte-tenu de la montée en puissance de la production de voitures électriques, qui n'ont pas besoin de boites de vitesses, Magna Bordeaux pourrait espérer gagner du temps en terminant des fabrications de transmissions pour le compte d'autres constructeurs automobiles. Un pis-aller qui ne semble pas au programme de la direction et qui ne fait pas non plus rêver la CGT.
16 octobre 2014 : Kevin O'Neill, directeur général adjoint de Getrag, au centre, vient annoncer à Blanquefort que GFT décroche la fabrication de la boite MX65 (DR)
"L'usine jumelle de Magna Bordeaux en Chine a été fermée. Et Ford a également fermé son usine en Inde. La direction de Magna Bordeaux a déjà provisionné 37 millions d'euros en vue d'un PSE, ce qui n'est pas énorme. Nous espérons qu'il y aura de l'APLD (activité partielle de longue durée -Ndlr). En quittant la coentreprise Getrag Ford Transmissions, le groupe Ford a remis 150 millions d'euros à Magna. La dernière évaluation en interne donnait une valeur de 27 millions d'euros à notre usine. Si le marché automobile continue sur la même lancée, on peut parier que Magna Bordeaux ne vaudra bientôt plus que zéro. Nous voulons récupérer les 150 millions d'euros de Ford pour lancer une nouvelle activité industrielle dans cette usine, car il n'y a rien à attendre", est convaincu Vincent Teyssonneau.
La CFDT est sur la même longueur d'onde que la CGT, les deux centrales s'appuyant sur le rapport du cabinet Secafi, et explique avec clarté son nouveau positionnement.
"Maintenant que nous avons la certitude de n'avoir aucun projet dans les tuyaux, nous ne prenons plus le risque de faire capoter quelque chose qui n'existe pas et de ce fait nous sommes libres de faire toute actions !" proclame ainsi la CFDT.
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