« Non, le marché de l'immobilier de luxe n'est pas hors de contrôle » (3/3)

DOSSIER (3/3). Président de la Chambre des notaires de la Gironde, Me Matthieu Vincens de Tapol décrypte pour La Tribune l’évolution des biens immobiliers de luxe au cours de ces dernières années. Il explique pourquoi Lège-Cap-Ferret, un des points culminants en France de ce marché immobilier exclusif, littéralement hors de prix, enregistre désormais des transactions immobilières à plusieurs millions d’euros. Et dévoile un mécanisme aussi puissant que souterrain, qui n’épargne pas Bordeaux Métropole.
Matthieu Vincens de Tapol préside la Chambre des notaires de la Gironde.
Matthieu Vincens de Tapol préside la Chambre des notaires de la Gironde. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - L'immobilier de luxe a fortement rebondi en 2021 et progresse de façon continue dans plusieurs villes de Nouvelle-Aquitaine. Il représente désormais plus de 10 % du marché immobilier à Bordeaux et près de 50 % à Lège-Cap-Ferret, sur le bassin d'Arcachon. Cette cannibalisation de l'ensemble du marché ne vous inquiète-t-elle pas ?

MATTHIEU VINCENS DE TAPOL - Les biens immobiliers haut-de-gamme ne se multiplient pas. Il n'y a pas plus de biens immobiliers de ce type aujourd'hui qu'avant. Cette impression de multiplication est un effet de l'inflation. Les biens immobiliers à plus d'un million d'euros que l'on voit aujourd'hui à Lège-Cap-Ferret n'existaient pas il y a dix ans. Les propriétés étaient bien là, mais pas à ces prix ! C'est l'inflation qui a galopé. Le marché des maisons anciennes n'a pas bougé en volume mais ces dernières ont pour la plupart été rénovées, ce qui a commencé à accroître leur valeur. Mais si les prix ont grimpé de +55 % en dix ans dans les grandes métropoles en France, ils ont explosé de +90 % pendant la même période dans l'ensemble de la Gironde !

Ce phénomène de hausse massive des prix immobiliers est lié à l'attractivité du territoire. Avec des situations locales qui se surajoutent à cette évolution, comme à Bordeaux Métropole, qui enregistre une forte croissance démographique endogène, de +1,9 % par an. Ce qui est considérable et nourrit mécaniquement la hausse des prix immobiliers. La croissance des prix immobiliers jusqu'au niveau des biens de luxe est provoquée par une très forte demande.

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La situation de Bordeaux Métropole n'a pourtant pas beaucoup de points communs avec celle de Lège-Cap-Ferret ou même du bassin d'Arcachon, comment expliquez-vous cela ?

Il y a une différence : alors que Bordeaux Métropole attire les cadres, le bassin d'Arcachon séduit des retraités avec de gros moyens financiers. A Bordeaux Métropole la part des acquéreurs de 60 ans et plus est de 13,6 %, quand elle atteint 34,2 % sur le bassin : c'est le grand écart !

Le bassin d'Arcachon, et en particulier Lège-Cap-Ferret, donne quand même une autre impression, celle d'un emballement du marché avec des prix qui dépassent de plus en plus souvent les 2 millions d'euros par transaction, quand ils ne sont pas au-delà des 5 millions...

Non le marché du luxe n'est pas hors de contrôle, ce que l'on voit s'exprimer c'est le jeu de l'offre et de la demande. A Bordeaux, la flambée des prix dans l'ancien s'explique par le fait que ceux qui ont le plus de pouvoir d'achat sont généralement des cadres avec enfants, qui veulent être près des écoles. Le marché du littoral est différent, puisque c'est un marché immobilier de stations balnéaires, avec des acquéreurs en moyenne plus âgés et plus aisés.

Le Cap-Ferret est aussi bien connu pour accueillir des stars du cinéma et de la chanson, comme Marion Cotillard, Guillaume Canet, qui a popularisé le bassin d'Arcachon dans son film « Les Petits Mouchoirs », ou Pascal Obispo, qui lui a dédié sa chanson « Tombé pour elle ». Vous n'avez pas l'impression que cette notoriété joue au-delà de l'effet station balnéaire ?

Des stars, il n'y en a pas tant que ça qui achètent. La plupart des artistes qui vivent sur la presqu'île y ont acheté leurs maisons bien avant la flambée des prix démarrée il y a dix ans. Et beaucoup d'entre eux ont des attaches locales, comme l'humoriste Nicolas Canteloup, qui était moniteur d'équitation sur la presqu'ile. Pascal Obispo a acheté il y a longtemps... Guillaume Canet, Audrey Tautou ou le designer Philippe Starck habitent à côté les uns des autres. C'est une clientèle discrète. Le dernier arrivant le plus connu est sans doute Xavier Niel, le patron de Free. Et puis il y a aussi à Lège-Cap-Ferret des Girondins avec des moyens financiers, issus de la viticulture et de l'activité forestière. Il faut rajouter à cette population des investisseurs originaires de Belgique et de Suisse. C'est-à-dire beaucoup de gens totalement inconnus. Quand on quitte Lège pour entrer dans la presqu'île du Cap Ferret, à partir du quartier du Canon les prix de l'immobilier commencent à osciller entre 1,5 et 2 millions d'euros par propriété. Des prix qui empêchent généralement les Girondins d'acheter sur la presqu'île. C'est ainsi que ces derniers vont investir d'Andernos, au nord du bassin, à Petit Piquey.

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Autrement-dit l'inflation dans l'immobilier a un effet sur la population plus traditionnelle du bassin d'Arcachon ?

Sachant que le prix du marché pour une propriété en première ligne, face à la mer, est en moyenne de 6 millions d'euros sur la presqu'île, montant fixé par les transactions les plus récentes, votre maison secondaire familiale va se voir lourdement imposée au titre de l'IFI (impôt sur la fortune immobilière -Ndr) de l'ordre de 47.000 euros par an... En pareil cas, les héritiers arrivent généralement à s'entendre pour demeurer en indivision, mais à la deuxième ou troisième génération ça devient très difficile pour ne pas dire impossible et il faut vendre. Alors bien sûr la population change graduellement. Sachant que pour les acquéreurs il n'y a pas de plafond : ils ont de gros moyens et ils veulent leur bien tout de suite, ils n'ont pas envie d'attendre deux ou trois ans pour faire construire. Et acheter tout de suite, ça coûte un million d'euros en plus...Tout cela en privant une grande partie des natifs et amoureux du bassin de la possibilité d'acheter...

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La Tribune publie cette semaine une série de trois articles sur l'immobilier de luxe en Nouvelle-Aquitaine :

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