Logements neufs : à Bordeaux Métropole les maires ont le pied sur le frein (6/11)

Après des années de construction intensive, les maires de la métropole veulent freiner la construction de logements pour préserver la qualité de vie de leur commune, au risque de nourrir hausse des prix et étalement urbain.
La question de la densité ne fait rêver ni les maires, ni les Bordelais, ni les néo-bordelais...
La question de la densité ne fait rêver ni les maires, ni les Bordelais, ni les néo-bordelais... (Crédits : Agence APPA)

En 2018, le projet de "Bordeaux, métropole millionnaire" ne fait plus vraiment rêver les habitants, ni les maires de ses 28 communes. Au point que ses deux parrains, Alain Juppé et Vincent Feltesse, regrettent une formulation malheureuse et évoquent "la rançon du succès" pour l'un et "une métropole en surchauffe qui doit renouer avec la proximité" pour l'autre. Après plusieurs années intenses en matière de construction qui ont abouti à la mise en chantier de 9.613 logements en 2017, soit 131 % de plus qu'en 2007, les maires ont désormais le pied sur le frein.

Défendre le "village urbain"

De Bruges à Bègles, de Mérignac à Floirac en passant par Bruges, Pessac, Eysines et Saint-Médard-en-Jalles, les édiles, quelle que soit leur couleur politique, mettent en avant une politique plus restrictive. « Depuis février 2017, nous avons refusé les permis de construire pour l'équivalent de 3.000 logements », indique Alain Anziani, le maire de Mérignac, quand son homologue béglais, Clément Rossignol Puech, assure avoir "refusé de signer les permis de plus de 1.000 logements depuis juin 2017". Même son de cloche à Pessac où Franck Raynal se targue "d'avoir diminué de plus de moitié le nombre d'autorisations délivrées en 2016 par rapport à 2015."

Ces communes limitrophes de Bordeaux sont pourtant toutes desservies par le tramway et constituent donc autant de candidates naturelles à la densification pour accueillir les nouveaux habitants. Mais loin de la densité, le champ lexical des maires s'articule désormais autour de l'urbanisme maîtrisé et du "slow building". Tous mettent en avant le concept de "village urbain", dont la ville de Bègles a même fait sa marque de fabrique.

"On ne peut plus absorber de nouvelles population à Eysines, je n'ai aucune ambition de croissance démographique car je veux conserver le village urbain et sa qualité de vie", explique ainsi sans détour Christine Bost, la maire de la ville.

Autant de vocables qui désignent un phénomène bien connu de défense de "sa" qualité de vie en limitant l'arrivée de nouveaux habitants au bout de "son" jardin.

Projets décalés, refusés ou diminués

Aux quatre coins de la métropole, les projets de logements neufs sont donc désormais systématiquement refusés, décalés dans le temps ou revus à la baisse, entretenant une relative rareté face à la demande croissante et nourrissant ainsi une surchauffe des prix. D'autant que le calendrier des élections municipales de 2020 se fait déjà ressentir. "Les mises en chantier ralentissent nettement et certains maires nous demandent de lancer les travaux après les élections, ce qui repousse à 2021, voire 2022, la livraison des programmes que nous commercialisons aujourd'hui !", témoigne Sébastien Lagrave, directeur général de l'activité immobilier neuf de Square Habitat. Pour autant, les maires se trouvent face à une équation complexe où les attentes des habitant viennent se heurter à une démographie dynamique et à l'impératif d'enrayer l'étalement urbain. A leur décharge, ils sortent d'une période de forte construction.

Une montée en puissance bien réelle qu'il faut donc digérer et accompagner en termes de services publics et de commerces malgré des finances contraintes. "Nous ne disons pas que nous ne construirons pas mais que nous le ferons au rythme qui nous convient", avance Franck Raynal, le maire de Pessac dont la ville a symboliquement perdu 250 habitants l'an dernier. "Le tram B qui dessert le campus et Pessac est déjà saturé et on voudrait que je construise davantage ? La population des communes de première couronne a beaucoup augmenté ses dernières années, aspirant une partie de la population bordelaise, notamment de jeunes ménages : nous avons déjà ouvert 24 classes en primaire et maternelle depuis 2014 !", poursuit Franck Raynal.

Lire aussi : Immobilier : Bordeaux, Mérignac et Pessac dans le top 5 des plus fortes hausses de France

Dans ce contexte, la ville voisine de Talence fait figure d'exception en défendant une urbanisation maîtrisée mais volontariste : "Je ne suis pas favorable à un arrêt de la construction de logements à Talence. L'étalement urbain ne fera qu'exploser la facture des nouveaux habitants. Talence est, avec Bordeaux, la commune la plus urbanisée de la métropole et nous devons continuer à accueillir de nouveaux habitants", considère son maire Emmanuel Sallaberry. Même son de cloche chez Alain Juppé, le président de la Métropole, qui a rappelé qu'il ne comptait pas geler les programmes nouveaux : "Nous sommes dans une agglomération sous tension et sans doute même en pénurie de logements. Je pense qu'il faut continuer à construire."

Densification VS étalement urbain

L'accueil des nouveaux habitants au sein de l'agglomération, c'est en effet tout l'enjeu. Chassés par la flambée des prix de l'immobilier qui ont rendu Bordeaux inaccessible, nombre de ménages sont repoussés à la lisière de la Métropole voire bien plus loin. De quoi entraîner une consommation accrue des espaces naturels ou agricoles ouverts à l'urbanisation mais peu ou pas desservis par les transports en commun et alimentant ainsi le trafic automobile. Une autre réalité bien éloignée des discours sur l'écologie de proximité très répandus chez les maires de la métropole.

Et bien que la ville-centre soit assez densément peuplée malgré ses fameuses échoppes bordelaises, la première couronne est, elle, bien plus lâche avec un étalement pavillonnaire, notamment à l'Ouest. Les potentiels de densification sont donc bien réels et probablement nécessaires même si la densité ne correspond aujourd'hui aux attentes de personne ou presque, comme le rappelle Sébastien Lagrave :

« On devient une grande métropole française et on va devoir monter des étages le long des lignes de tramway. Mais ce n'est pas encore dans la mentalité des maires, ni des Bordelais. Et la plupart des néo-bordelais ne se projettent pas non plus dans un appartement au 5e étage. Ils cherchent plutôt une maison avec jardin ! »

A Bordeaux comme ailleurs, il y a l'intérêt métropolitain et l'intérêt communal, il y a la carte postale et il y a la réalité.

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Au cours des prochains jours, nous publierons notre enquête complète, "Immobilier à Bordeaux : l'heure du retournement ?" dédiée aux tenants et aux aboutissants du marché immobilier de la métropole et parue dans La Tribune Hebdo datée du 12 octobre 2018. Il est possible de consulter la version numérique en format pdf ici.

Les premiers volets du dossier sont accessibles ici :

Lire aussi : Bordeaux : pourquoi la flambée des prix de l'immobilier ne pouvait plus durer (1/11)

Lire aussi : Bordeaux Métropole : la hausse des prix immobiliers fait tache d'huile (2/11)

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Commentaires 3
à écrit le 02/12/2019 à 17:57
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il en est de même à Bassens Ambarés Lormont Cenon Bordeaux Floirac et...

à écrit le 02/12/2019 à 17:55
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les maires ont raison d'y mettre un frein sur les constructions on fait n'importe quoi n'importe où en plus on ne respecte pas l'environnement et les riverains qui se trouvent à côté ils ont bien souvent la vue sur les balcons - A Carbon-Blanc le Mai...

à écrit le 12/11/2018 à 17:20
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Quand on voit la catastrophe de quartier comme Ginko ou les bassins à flot, il est temps de calmer le jeu et d'avoir une vision de l'urbanisme d'ensemble. D'autre par il ne suffit pas de construire mais aussi d'être capable de faire du qualitatif!...

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