Bordeaux : pourquoi la flambée des prix de l'immobilier ne pouvait plus durer (1/11)

Après deux années de hausse fulgurante, les prix de l’immobilier à Bordeaux sont en passe de se stabiliser en 2018, même si la ville semble être à l’abri d’un gros retournement du marché grâce à des fondamentaux solides qui nourrissent la croissance démographique et donc la demande. Les prix se heurtent cependant au plafond de la réalité économique des ménages bordelais, et seuls les meilleurs biens devraient désormais voir leur prix progresser. Et si les bonnes affaires sont de l’histoire ancienne, les marges de négociation font leur réapparition, au profit relatif des acquéreurs. Découvrez le premier article de notre dossier qui fait un point complet sur le marché immobilier bordelais.
Les prix à Bordeaux se sont légèrement tassés ces derniers mois. De là à parler de baisse généralisée, il y a encore de la marge...

"Bordeaux a bien changée. Aujourd'hui on n'y croise plus que deux catégories de personnes : des touristes avec leurs valises et des agents immobiliers à la recherche de biens à vendre", sourit le notaire bordelais Thibault Sudre. Un clin d'œil exagéré à la frénésie immobilière qui a saisi la ville depuis fin 2015 avec une flambée des prix de près de 19 % en 24 mois. A l'unisson de la tendance nationale, l'année 2017 a ainsi été historiquement bonne à Bordeaux pour les professionnels de l'immobilier. Leur nombre y a d'ailleurs quasiment doublé en dix ans, sans compter les plusieurs centaines de mandataires attirés par le marché prometteur sur les rives de la Garonne. Bordeaux est en effet devenue la 2e ville la plus chère de France et la perspective d'une bulle immobilière était sur toutes les lèvres fin 2017 avec un prix moyen frôlant déjà les 4.500 €/m2. Aujourd'hui, le climat est redevenu un peu plus serein au grand soulagement des ménages acquéreurs, même si les prix n'ont pas vraiment diminué sur un an et demeurent donc à un niveau considérablement élevé.

"On n'achète plus à n'importe quel prix"

"Jusqu'à la fin de 2017, on était encore sur une forte croissance de l'ordre de 10 à 12 % sur douze mois mais depuis janvier les prix sont à l'étale dans toute la métropole, on est dans un processus de consolidation du marché", constate Thibault Sudre. La hausse des prix sur le marché bordelais a en effet connu un brusque coup d'arrêt depuis le début de l'année avec un changement de tendance actuellement à l'œuvre, comme le montrent les derniers chiffres de la Chambre des notaires de Gironde. Ainsi, à fin mai 2018, le prix des appartements avait évolué de +8,2% sur un an et celui des maisons de +5,3% mais ils ont diminué respectivement de -1,2 % et de -0,3 % au troisième trimestre par rapports aux trois mois précédents. Les croissances à deux chiffres sont donc derrière nous et l'année 2018 devrait s'achever sur une évolution de autour de +8 % sur douze mois malgré la lègère baisse de l'ordre de -2 % sur les trois derniers mois en octobre selon Seloger.com.

"Les acquéreurs potentiels sont plus nombreux à se demander à quel prix sortira leur bien à la revente compte tenu des prix actuels. Cela participe à la stabilité des prix et à l'allongement de la durée de décision", explique Philippe Santacatalina, le directeur du développement immobilier au Crédit agricole d'Aquitaine. Les délais de vente se sont un peu allongés mais restent à un niveau très fluide : une cinquantaine de jours contre une quarantaine l'an dernier.

Parallèlement, les acheteurs n'hésitent plus à négocier alors que cette pratique avait quasiment disparu en 2017 : "On n'achète plus n'importe quoi à n'importe quel prix ! La négociation reste raisonnable, autour de 3 à 4 % du prix du bien. La demande se tarit un peu par rapport à l'an dernier même s'il n'y a rien d'alarmant", confirme Michel Lechenault, le responsable éditorial chez Seloger.com. Les ventes au prix dans la journée, qui désespéraient nombre d'acquéreurs, se font désormais plus rares, y compris dans les villes de la 1ere couronne métropolitaine : "Depuis le mois de janvier, on a des négociations plus importantes jusqu'à 10 ou 15 % du prix alors que l'an dernier des maisons partaient en deux jours à 10 ou 15 % trop cher !", témoigne Stéphanie Domenc, directrice de l'agence Axel Immobilier de Pessac et active aussi à Mérignac, Le Bouscat et au Taillan-Médoc.

Immobilier Bordeaux

Les prix à Bordeaux s'échelonnent de 2.972 à 3.527 €/m2 (vert foncé) jusqu'à 5.057 à 6.001 € (rouge vif). (Crédits : Meilleursagents.com, septembre 2018)

Le frein de l'activité économique

Le marché semble donc s'assagir et se réajuster mécaniquement, sachant que la hausse des prix a été telle à Bordeaux qu'elle n'a pu être compensée par le niveau historiquement bas des taux d'emprunt. "Le pouvoir d'achat immobilier y a beaucoup diminué depuis deux ans et, surtout, les Bordelais décrochent et ne peuvent plus acheter à Bordeaux, notamment les primo-accédant", estime Thomas Lefebvre, le directeur scientifique du réseau MeilleursAgents. La surface qu'un ménage de deux personnes aux revenus médians peut acheter à Bordeaux n'est ainsi que de 32 m2 en septembre 2018, contre plus de 45 m2 à Toulouse, Nantes, Lille ou Strasbourg. La hausse des prix a été nourrie par une croissance démographique et des facteurs structurels tels que la rénovation et l'embellissement de la ville, le label Unesco, le déploiement du tramway et, depuis 2017, l'arrivée de la LGV qui place Bordeaux à 2h05 de Paris. Mais ces mêmes fondamentaux atteignent aujourd'hui leur propre limite. "Les gens ont anticipé l'arrivée d'emplois qui tardent à se concrétiser. La ruée vers l'or de ces derniers mois marque donc le pas et ça participe au tassement du marché immobilier", estime le notaire Thibault Sudre. Une analyse partagée par Thomas Lefebvre, de MeilleursAgents :

"Les vrais moteurs de l'immobilier restent l'activité économique et la baisse du taux de chômage et c'est là que Bordeaux se retrouve face à une certaine réalité. Avec 8,9 %, le taux chômage y reste élevé par rapport à d'autres agglomérations comparables comme Lyon (8,1 %), Nantes (7,1 %) ou Rennes (6,8 %)."

Le miroir lyonnais est en effet souvent mis en avant : "Par rapport à la métropole lyonnaise qui est plus grande et dispose de davantage d'activités économiques, le marché bordelais est en passe de perdre sa cohérence", alerte Daniel Seignat, le président de l'Union des syndicats de l'immobilier (Unis) à Bordeaux. Des prix trop élevés qui finissent aussi par dissuader les investisseurs : alors que ces derniers ont représenté jusqu'à un tiers des transactions à Bordeaux en 2017, leur part est retombée à environ 15 % cette année. Là encore, le révélateur lyonnais fait son œuvre : "Les investisseurs locatifs dans le neuf, qu'ils soient locaux ou extérieurs à la Gironde, hésitent car Bordeaux, bien que classée en zone B1 avec des loyers plafonnés à 10,07 €/m2, est devenue plus cher que Lyon qui est pourtant classée en zone A avec des loyers jusqu'à 12,50 €/m2. La rentabilité en prend un coup", observe Sébastien Lagrave, le directeur général de l'activité immobilier neuf de Square Habitat.

Vers une hausse inférieure à +2 % en 2019

Néanmoins, les professionnels du secteur ne sont pas inquiets et n'anticipent pas de retournement du marché à Bordeaux malgré le contexte national plus morose que l'an dernier. Le nombre de transactions a certes diminué de 15 % depuis le 1er janvier mais c'est en comparaison d'un exercice 2017 historiquement prolifique. Et si le jeu des pronostics n'est jamais évident, l'année 2018 devrait s'achever sur une hausse sur douze mois autour de 8 % voire 10 % malgré la légère baisse mesurée sur les trois derniers mois par les différents réseaux immobiliers à fin octobre.

Et l'année 2019 devrait confirmer la stabilité des prix. Aucun interlocuteur ne table ainsi sur une hausse de plus de 5 % sur douze mois l'an prochain et ils sont nombreux à anticiper une évolution positive mais inférieure à 2 %. "Une inversion du marché paraît difficile à envisager à Bordeaux et Bordeaux Métropole. Il y a un grand bénéfice d'image qui garantit l'attractivité et la croissance démographique. La demande ne devrait pas disparaître", considère ainsi Philippe Santacatalina, du Crédit agricole d'Aquitaine. Une analyse partagée par Olivia Lachambre, responsable de l'agence Guy Hoquet Bordeaux Chartrons :

"Plus de la moitié de nos acheteurs sont primo-accédant (46 %) ou investisseurs (16 %), cela signifie qu'ils n'ont rien à vendre pour alimenter le marché. L'offre ne devrait donc pas significativement augmenter dans les mois à venir même si la posture de rétention des vendeurs est terminée."

D'autant que la construction de logements neufs, très dynamiques ces dernières années, semble marquer le pas.

Encore de bonnes affaires ?

Les prix restent donc dynamiques dans l'hyper-centre et dans le triangle d'or tandis que le reste du marché bordelais s'assagit. Même le très prisé quartier des Chartrons a troqué son bond de +17 % enregistré l'an dernier pour une croissance plus raisonnable de +3 % depuis janvier. Alors Bordeaux propose-t-elle encore des bonnes affaires ?

"C'est objectivement de plus en plus compliqué puisqu'il n'y a plus de secteurs délaissés. Saint-Augustin et les Chartrons sont particulièrement dynamiques mais le quartier de la gare Saint-Jean et la rive droite se sont transformés aussi. Les quartiers de la Victoire et de Caudéran sont un peu moins demandés", détaille Daniel Seignat, de l'Unis. "Pour trouver un bien à 3.000 €/m2 à Bordeaux, il faut aller chercher les appartements des résidences des années 80 à Caudéran. Elles ne sont pas desservies par le tram et n'attirent pas les jeunes", confirme Thibault Sudre.

Ailleurs les bonnes affaires et les échoppes ou loft à rénover pour réaliser une belle plus-value sont devenus très rares, y compris dans les dernières zones accessibles comme Bacalan qui se situe autour de 3.200 €/m2 mais avec une grande volatilité des prix. Et même les nouveaux quartiers de Bordeaux Lac, qui proposent quasi-exclusivement des appartements, atteignent 3.500 €/m2. "Si vous achetez aujourd'hui à Bordeaux, la plus-value à la revente sera évidemment plus compliquée qu'il y a quelques années. Mais un bien avec un bon emplacement reste un investissement sûr et solide", complète Michel Lechenault de Seloger.com. On est donc davantage sur des investissements de bon père de famille, pour ceux qui en ont les moyens, que sur des possibilités de culbute avec une grande plus-value à la clef.

Enfin, autre symptôme de la transformation du marché bordelais : l'essor d'un immobilier de prestige. L'agence Sotheby's de Bordeaux, qui commercialise des biens d'au moins un million d'euros, a connu une croissance de 30 % du nombre de ses transactions l'an dernier. Mais même sur ce segment de marché, on assiste à un tassement. "Depuis deux ans, la hausse a concerné tous les biens haut de gamme. Désormais, le marché se sépare et seuls les biens considérés comme de l'ultra-luxe, avec les meilleurs emplacements et les meilleures prestations, peuvent encore justifier une augmentation", explique Nathalie Combet, responsable marketing de l'agence bordelaise de Sotheby's. Sur ce nouveau créneau qui prospère à Bordeaux centre, les prix dépassent désormais souvent les 8.500 €/m2. Une maison de 286 m2 près du Jardin Public est partie à 11.800 €/m2 tandis qu'un "appartement d'exception" place Jean Jaurès, face à la Garonne, a trouvé preneur à plus de 12.000 €/m2 ! Des biens à mille lieux du montant moyen des transactions enregistrées à Bordeaux qui atteint tout juste 300.000 €.

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En chiffres :

  • +25 % : la hausse des prix de l'immobilier à Bordeaux en cinq ans selon MeilleursAgents.com
  • 430.000 € : le prix médian d'une maison ancienne vendue à Bordeaux entre le 1er juillet 2018 et le 30 juin 2018.
  • 199.100 € : le prix médian d'un appartement ancien vendu à Bordeaux entre le 1er juillet 2018 et le 30 juin 2018.
  • 4.570 € : le prix du m2 d'un appartement dans l'ancien à Bordeaux en septembre 2018, selon Seloger.com.

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Au cours des prochains jours, nous publierons notre enquête complète, "Immobilier à Bordeaux : l'heure du retournement ?" dédiée aux tenants et aux aboutissants du marché immobilier de la métropole et parue dans La Tribune Hebdo datée du 12 octobre 2018. Il est possible de consulter la version numérique en format pdf ici.

Les autres volets du dossier sont accessibles ici :

Lire aussi : Bordeaux Métropole : la hausse des prix immobiliers fait tache d'huile (2/11)

Lire aussi : Bordeaux Métropole, les ventes dans l'immobilier neuf chutent de 40 % (3/11)

Lire aussi : A Bordeaux Métropole, la raréfaction des permis de construire est "un facteur explosif" (4/11)

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