Immobilier : comment financer la construction ?

Invité à Bordeaux par les promoteurs immobiliers, l’économiste Philippe Dessertine a conseillé aux politiques de ne manipuler les dispositifs de défiscalisation qu’avec prudence et proposé de s’appuyer sur la création monétaire par la Banque centrale européenne (BCE) pour financer la construction.
Tenir le cap de 7.500 constructions de logements par an, c'est l'ambition de la nouvelle patronne de Bordeaux Euratlantique, Virginie Calmels

La conférence-débat organisée le 7 avril par la Fédération des promoteurs immobiliers Aquitaine Poitou-Charentes (FIAPC), au Palais de la Bourse, à Bordeaux, était intitulée "Le logement neuf sous l'angle économique" et rassemblait Virginie Calmels, adjointe au maire de Bordeaux en charge de l'Economie, de l'Emploi et de la Croissance durable, vice-présidente de Bordeaux Métropole, et l'économiste Philippe Dessertine, professeur à l'Institut d'administration des entreprises (IAE) de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, directeur de l'Institut de haute finance. Une rencontre qui a d'abord été l'occasion pour Alain Ferrasse, président de la FPIAPC, de faire l'éloge de Virginie Calmels, grâce à laquelle les promoteurs ont selon lui "enfin le sentiment d'être écoutés".

La jeunesse qui triomphe

Philippe Dessertine a précisé d'entrée que, en tant que membre du Haut conseil des finances publiques, la situation de la construction provoque de l'inquiétude et qu'il était nécessaire d'agir. Ceci avant de dérouler une analyse macroéconomique express, aux accents parfois prophétiques. S'il faut agir, c'est dans un contexte économique paradoxal brouillé par des signaux négatifs et positifs, a prévenu l'économiste. Côté négatif, il a souligné que "la croissance actuelle est artificielle"car dopée par la chute du pétrole. Son optimisme se nourrit de la certitude que nous assistons à "la fin d'un vieux monde" et au triomphe de la jeunesse, portée par l'irrésistible vague du numérique : "Les gamins adorent travailler chez Google" a-t-il notamment illustré, avant de préciser que devenir propriétaire ne fait pas partie de leurs préoccupations.

Construire, c'est stratégique

Dans la course aux nouvelles technologies, "la France est en retard" a poursuivi le conférencier, pour mieux réintroduire le secteur de la construction dans le débat. Un domaine stratégique qui supporte mal les violents changements de cap politiques.

"A cause de la chute de la construction nous avons perdu entre 0,7 et 0,8 % de croissance !" a relevé Philippe Dessertine.

Hyper sensible à l'excès de dette de l'Etat, l'économiste a tenu a souligner qu'il ne fallait pas "bouger sur la fiscalité de la construction" car ce secteur subit déjà un choc majeur, "celui de la baisse de la dépense publique".

Rappelons que la réduction en 2012 du périmètre d'action du prêt à taux zéro renforcé (PTZ +) par le gouvernement (LR) Fillon, avec sa mise sous condition de ressources et sa limitation au logement neuf, à l'exclusion de l'ancien, a permis au gouvernement de réduire l'engagement financier de l'Etat dans ce dispositif de 2,4 Md€ à 800 M€ par an. Une mesure d'économie qui a provoqué un violent choc en retour, un véritable tsunami sur le marché immobilier. Entre 2011 et 2012 le nombre de bénéficiaires du PTZ + au plan national est passé de 353.309 ménages à 79.421, tandis que le montant des fonds levés grâce à cette aide de l'Etat a chuté de 8,1 Md€ à 2,5 Md€, soit un manque à gagner de 5,6 Md€  pour les artisans et PME du Bâtiment chargés des travaux de rénovation !

Canaliser les excédents dans la construction

Jugeant les aides financières accordées au secteur de la construction comme une injection massive de drogue, la ministre écologiste Cécile Duflot, sous le gouvernement (PS) Ayrault, a refusé par la suite de relancer le PTZ +, bien décidée à purger le marché de son addiction aux fonds publics... Philippe Dessertine n'est pas revenu sur ces éléments clés qui ont lourdement pesé dans l'effondrement du marché immobilier, comme l'avait pronostiqué en novembre 2011 René Pallincourt, président de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim), quand il avait averti François Fillon qu'avec sa réforme du PTZ + le gouvernement risquait de "bloquer les transactions dans l'ancien, qui représentent plus de la moitié du marché".

Concernant la politique financière accommodante de la BCE, dont l'objectif est de faire circuler davantage d'argent en gonflant le volume de la masse monétaire, avec le rachat de dettes souveraines, Philippe Dessertine a observé que ces liquidités ont du mal à se répandre dans la sphère économique. Avant d'indiquer que la construction de logements pourrait être un bon moyen de canaliser cet argent dans l'économie réelle. Ceci à condition de passer par les marchés financiers et non pas par les banques, entravées par de fortes contraintes réglementaires et dissuadées de trop en faire dans l'immobilier à cause de l'extrême faiblesse des taux, qui ne leur permet plus "de gagner leur vie".

>> Lire aussi : A Bordeaux, les prix de l'immobilier risque de flamber

Développer l'offre locative

L'orateur est enfin revenu au niveau de l'offre et de la demande avec un sujet qui hante depuis des années le marché immobilier à Bordeaux et ailleurs : la construction "de logements plus grands" pour répondre "aux besoins des familles". Un thème plus complexe qu'il n'y paraît que Virginie Calmels, élue le 25 mars dernier à la tête de l'établissement public d'aménagement Bordeaux Euratlantique, en remplacement d'Alain Juppé, a abordé avec prudence.

"Il faut voir si l'on a vraiment besoin de ces grands logements", a-t-elle relevée, faisant sans doute écho à la tendance du marché pointée à Bordeaux Métropole en 2015 par l'Observatoire de l'immobilier du Sud-Ouest (Oiso).

"Ce n'est pas encore alarmant mais nous devons avoir l'œil sur les 4 et 5 pièces : on en vend beaucoup moins que ce que l'on produit. Les T4 et T5 ont pesé 9 % des ventes à Bordeaux Métropole en 2015, alors qu'ils représentaient 18 % de l'offre !" avait ainsi souligné le président de l'Oiso, Laurent Mathiolon, lors de la présentation des chiffres en mars dernier.

Dans son intervention lors de la conférence-débat, Virginie Calmels a insisté sur la nécessité de construire 7.500 logements par an sur le territoire de Bordeaux Métropole. "La dynamique ne doit pas fléchir" a-t-elle averti, en plaidant pour "une intensification de l'offre locative. Le soutien à l'accession à la propriété est-ce une bonne idée ? Le nouveau modèle de logement repose d'abord sur la location" a-t-elle jugé. La nouvelle patronne d'Euratlantique s'est dit fière de "voir des grues partout à Bordeaux", signe que la ville va bien.

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