Le programme Ariane, débuté en 1973, est aujourd'hui une référence en matière de régularité et de précision et demain, Ariane 6 garantira la souveraineté de notre continent en matière de lancement lourd. Dans le domaine satellitaire, les satellites d'observation, de télécommunication ou scientifiques construits par des entreprises européennes, avec le concours de laboratoires de renom se placent parmi les plus innovants au monde. L'Europe spatiale est par ailleurs un partenaire de choix dans les grands programmes de coopération internationale (ISS, exploration scientifique)...

Mais cette réussite européenne, issue de décisions et de fonctionnement, longs et complexes entre les gouvernants, les agences et les grands industriels, est aujourd'hui ébranlée par une transformation aussi rapide que profonde ! Elle se traduit par une croissance exponentielle de l'activité spatiale dans l'espace voisin de la Terre et voit l'arrivée de nouveaux acteurs publics (Inde, pays du Golfe...) au côté de deux superpuissances, les Etats-Unis et la Chine, très actives. Elle se caractérise aussi par une hausse inédite du nombre d'acteurs privés : on compte plus de 320 startups spatiales en Europe, trois fois plus que dans le reste du monde ! Et avec elles, l'émergence de missions spatiales d'un type nouveau en mesure de bouleverser l'économie spatiale et de bousculer la hiérarchie des puissances spatiales, en questionnant la place de l'Europe.

Après un demi-siècle d'utilisation, l'espace est omniprésent dans le quotidien de nos sociétés terrestres : communications (téléphone, télévision, Internet), navigation (Galileo ou GPS), observation de la Terre (météo, agriculture, sécurité et protection des populations, etc.), interconnexion des centres d'intérêt vital (réseaux de transport, dispositifs hospitaliers, systèmes bancaires, etc.). A quoi s'attendre demain ? Bien que les conditions de son succès restent à établir, il pourrait s'agir d'une véritable révolution qui bouleverse notre relation à l'espace !

Une nouvelle ère s'annonce

L'espace proche se transformerait en un environnement durable de production, un lieu de vie et de travail. Les anglophones le qualifient de « Space Logistics », un ensemble de moyens qui concourent à rendre possible le fait de produire et travailler dans l'Espace, comme on le fait sur Terre. Mais en le faisant mieux et durablement, pour le bien de l'humanité. On y trouvera des activités « de préservation » des installations spatiales : ravitaillement, maintenance, mais aussi nettoyer l'espace de certains débris à risque, etc. On imagine aussi de transférer dans l'espace des activités « pour la protection de notre planète » comme le stockage des données numériques (très énergivore et producteur de CO2 sur Terre), ou la production d'énergie depuis l'espace. Il s'agit enfin d'y mener de véritables activités « de production » difficilement réalisables sur Terre du fait de la gravité, comme produire de nouveaux matériaux avancés, de nouveaux médicaments et autres molécules de la biotechnologie que permet l'apesanteur, ou de créer des variétés de plantes plus résistantes, capables de s'adapter au changement climatique.

Certains prédisent ainsi une forme d'urbanisation voire d'industrialisation de l'espace proche, avec, à la clé, des solutions inespérées pour répondre aux enjeux majeurs du siècle. Fantasme ? Non, des travaux bien réels et prometteurs sont déjà en cours dans moult endroits du globe et le champ des possibles s'élargit jour après jour au gré des innovations technologiques. Comme pour l'Internet ou le smartphone, des applications encore impensables hier sont devenues communes aujourd'hui. Demain sera fait des choix d'aujourd'hui.

Le défi est à la fois grand et exaltant

Pour l'affronter, il est urgent de reconsidérer notre rapport à l'espace et d'y adosser une stratégie ambitieuse et innovante qui permette à nos chercheurs et nos entrepreneurs européens de mettre les gaz pour rester dans la course ! Les Européens doivent donc réinventer leurs modes de décisions et d'actions, oser de nouveau et ne pas passer à côté de ce qui pourrait s'apparenter à une nouvelle révolution industrielle. D'autant que le prix à payer est somme toute modeste ; le spatial européen (lancements, satellites, exploration, recherche...) coûte à chaque citoyen européen moins de 35€ par an ! Faire le pari et prendre le risque, voilà le vrai courage ! Les États-Unis et la Chine l'ont bien compris en faisant de la conquête spatiale, en général, mais de la Space Logistics, en particulier, leur désormais priorité numéro un.

Si la décision européenne tarde trop, la suite est d'ores et déjà annoncée : une course des pays européens en ordre dispersé pour tenter de rattraper le retard et, au mieux, obtenir une position de sous-traitants des deux plus grandes puissances mondiales. Est-ce véritablement ce que l'Europe veut, alors qu'elle possède une compétence scientifique et technique de premier plan et une expérience unique dans l'exploration spatiale ? Partout, des universités et écoles forment les talents qui, au sein des entreprises spatiales, développeront des solutions innovantes pour une vraie ambition européenne dans la Space Logistics.

Alors oui, faisons confiance à nos dirigeants pour donner le cap, pour rendre possible, faisons confiance à nos entrepreneurs et à notre recherche. Osons, risquons mais agissons pour prendre notre juste place et passons de « l'aventure spatiale » à un usage productif et durable des ressources spatiales, au service de notre planète.

Le symposium européen NextSpace du centre d'inspiration et d'innovation spatiales Way4Space réunira, les 5 et 6 octobre 2023 à Bordeaux, un panel d'experts internationaux qui entendent interroger ces enjeux et cette ambition. Ses protagonistes ont la conviction que l'Europe a les meilleurs spécialistes et que c'est en traçant notre propre voie que nous avancerons encore et toujours.

Ce qui relève de l'impossible sur Terre, devient possible tout là-haut.