La grande incompréhension des rachats d’actions

Par Nicolas Hérault professeur à Bordeaux School of Economics, Université de Bordeaux  |   |  699  mots
Le gouvernement envisage d'introduire une taxe sur les rachats d'actions. (Crédits : Brendan McDermid)
OPINION. Alors que presque tout le monde s'accorde pour dénoncer leur caractère néfaste, le gouvernement envisage d'introduire une taxe sur les rachats d'actions, suivant en cela le gouvernement Biden aux États-Unis. Nicolas Hérault, professeur d'économie à Bordeaux School of Economics, met en lumière l'incompréhension du phénomène largement répandue dans le débat public.

Non, les rachats d'action ne sont pas un moyen artificiel d'augmenter le cours des actions et leur taxation ne stimulera ni les salaires ni l'investissement. Un résultat établi il y a longtemps en finance mais qui semble avoir été largement oublié.

Le principe des rachats d'actions est simple. En utilisant sa trésorerie, une entreprise rachète ses propres actions sur le marché pour ensuite les détruire. Il paraît logique d'en déduire que cela ne peut que faire augmenter le cours de l'action. Intuitivement, la demande augmente ce qui doit faire augmenter les prix. Plus scientifiquement, on nous explique qu'en rachetant ses actions, l'entreprise fait mécaniquement augmenter son bénéfice par action, logique puisque les perspectives de bénéfices sont inchangées alors que le nombre d'actions en circulation a diminué.

Lire aussiRachats d'actions : le gouvernement prévoit de taxer les entreprises qui y ont eu recours, dès 2025

Mais c'est oublier d'où viennent les fonds utilisés pour le rachat d'action. Même les banquiers semblent oublier ce point crucial !

Explications avec deux exemples. Le premier exemple, simplement pour comprendre l'intuition, est de penser à un ménage avec un emprunt immobilier mais aussi des liquidités sur un compte bancaire. Si ce ménage utilise ses liquidités pour racheter son emprunt, il ne sera au final ni plus riche ni plus pauvre.

Mais prenons l'exemple, plus pertinent, d'une entreprise qui vaut 100 euros. Supposons que cette entreprise ait aussi 100 euros de trésorerie. Sa capitalisation boursière sera de 200 euros, les investisseurs valorisant la valeur intrinsèque de l'entreprise de 100 euros plus sa trésorerie de 100 euros. Supposons qu'il y 200 actions à 1 euro chacune.

Si l'entreprise ne voit pas d'opportunité d'investissement intéressante, elle va envisager de rendre ce cash aux actionnaires. Typiquement elle aura le choix entre verser un dividende exceptionnel ou procéder à un rachat d'action.

Que se passe-t-il si cette entreprise décide d'utiliser toute sa trésorerie pour racheter la moitié de ses actions, c'est-à-dire 100 actions à 1 euro ?

Il n'y a alors plus que 100 actions en circulation mais l'entreprise ne vaut plus que 100 euros puisqu'il n'y a plus de trésorerie. La valeur des actions reste inchangée à 1 euro chacune. Bien sûr, les actionnaires n'ont rien perdu dans l'affaire puisque 100 euros sont simplement passés des caisses de l'entreprise aux poches des actionnaires, ou en tout cas celles de ceux qui ont vendu leurs actions.

Ce petit exemple, certes simplificateur, permet de comprendre que, comme les dividendes, les rachats d'action sont simplement un moyen de transférer une part des profits, présents ou passés, aux actionnaires. D'ailleurs les études empiriques montrent généralement que l'effet sur le cours des actions a tendance à être marginal et éphémère. Et l'augmentation du cours des actions ne figure typiquement pas dans les théories avancées par les articles scientifiques en finance pour expliquer les rachats d'actions. On comprend aussi à l'aune de cet exemple pourquoi les études ne trouvent pas d'effet sur l'investissement des entreprises.

Mais alors on pourrait se demander ce qui peut bien inciter les entreprises à procéder à des rachats d'actions. Plusieurs raisons sont avancées, comme le fait de vouloir signaler au marché que les actions de l'entreprise sont sous-évaluées. Mais la principale raison tient sûrement à la fiscalité. Dans la mesure où les plus-values sont moins imposées que les dividendes, les actionnaires préfèreront les premières. Et ce d'autant plus que les actionnaires sont libres de réaliser leurs plus-values quand bon leur semble, et donc contrôlent le moment où elles seront imposées, ce qui n'est pas le cas avec les dividendes.

Par ailleurs, comme l'arbitrage entre dividendes et rachats d'action se fait après le partage entre salaires et profits, il est sans effet direct sur les salaires ou sur l'investissement.

Les rachats d'actions ne sont donc ni pires ni meilleurs que les dividendes. Il est illusoire de s'attendre à ce qu'une taxe sur les rachats d'actions conduise à une augmentation des salaires ou de l'investissement des entreprises. Le seul effet à attendre sera une augmentation des dividendes en compensation directe de la diminution des rachats d'actions.