« L'effet de la hausse des taux ne s'est pas encore totalement diffusé dans l'économie »

INTERVIEW. « Le problème actuel n'est pas tant d'avoir des taux bas ou élevés, c'est la rapidité du changement qui crée des frictions entre les offreurs et les demandeurs », analysent Axel Champeil et Laurent Babin, le président et le vice-président de l'association BPFT (Bordeaux place financière et tertiaire) qui fête ses dix ans. L'occasion d'expliciter pour La Tribune un contexte financier inédit marqué par les effets en cascade de la flambée des taux d'intérêts.
Laurent Babin et Axel Champeil, vice-président et président de l'association BPFT (Bordeaux place financière et tertiaire).
Laurent Babin et Axel Champeil, vice-président et président de l'association BPFT (Bordeaux place financière et tertiaire). (Crédits : BPFT)

LA TRIBUNE - Quels sont les effets sur l'économie de la hausse inédite des taux d'intérêt décidée depuis 2022 par les banques centrales ?

AXEL CHAMPEIL - La principale conséquence c'est que l'argent a, à nouveau, une valeur. Ces dernières années, avec des taux d'intérêt très bas, il fallait prendre des risques pour rémunérer son capital. Aujourd'hui, on arrive à rémunérer son capital sans trop prendre de risque donc il est demandé un supplément de rémunération pour la prise de risque. C'est pour cela que l'impact se fait de manière quasiment automatique sur la valorisation des levées de fonds des startups. Mais, en réalité, on assiste à un réajustement des indicateurs et c'est cela qui entraîne des turbulences. Plus globalement, avec ces hausses de taux, on s'attend à un ralentissement de l'économie sauf que ça fait des mois qu'on l'annonce et qu'il n'arrive pas parce que l'économie fait preuve de résilience, que le marché de l'emploi reste plutôt bon comme les marges et la croissance des entreprises. Mais on arrive probablement au bout de cette séquence puisque, rappelons-le, le ralentissement de l'économie est l'objectif principal de la hausse des taux afin de lutter contre l'inflation. Cela renchérit les investissements et évite donc une surchauffe de l'économie.

LAURENT BABIN - Et en même temps ce nouveau contexte n'est pas perçu de la même manière par tout le monde. Concrètement, il favorise ceux qui ont des fonds propres et de la trésorerie disponible parce qu'ils peuvent continuer à investir et financer de la croissance externe. À l'inverse, pour ceux qui ont besoin d'argent, ce sera bien plus onéreux et donc bien plus compliqué.

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Quelle pourrait-être l'ampleur du ralentissement attendu avec le renchérissement des investissements ?

AXEL CHAMPEIL - Au plan macro-économique, il y aura moins d'euphorie avec un ralentissement de la croissance et probablement une légère hausse du chômage. Mais s'ajoutent à cela les effets du contexte géopolitique avec les guerres en Ukraine et au Proche-Orient et l'inflation des coûts énergétiques qui vont rogner les marges des entreprises. Au niveau micro, cela se traduit par des coûts de financements plus élevés pour les entreprises et, donc, des projets d'investissement décalés ou revus à la baisse et des investisseurs qui peuvent exiger une dévalorisation de leurs actifs. Parallèlement, les capitaux disponibles se raréfient entraînant une contraction du crédit comme on le voit très clairement, par exemple, sur le marché de l'immobilier neuf.

C'est l'un des vecteurs de diffusion de la hausse des taux dans l'économie réelle...

AXEL CHAMPEIL - Oui pour la promotion neuve. La hausse des coûts entrave la demande puisque les acquéreurs sont moins financés et attendent que les prix baissent. En face, les vendeurs ont des stocks qui ne partent pas et le risque est de voir certains d'entre eux avoir besoin de trésorerie et être poussés à vendre leurs biens indépendamment du prix. On est aujourd'hui dans un marché bloqué puisqu'il n'y a pas beaucoup de nouveaux projets et que, pour les projets existants, la baisse de prix n'est pas engagée jusqu'au jour où des promoteurs n'auront pas d'autre choix que de déstocker. Et là, encore une fois, ceux qui ont des fonds disponibles vont pouvoir faire de bonnes affaires. C'est vrai dans l'immobilier et dans d'autres secteurs comme celui des fusions-acquisitions entre entreprises. Quand l'endettement n'est plus possible, les entreprises doivent envisager des adossements.

Sommes-nous arrivés au bout de cette nouvelle donne macro-économique ?

AXEL CHAMPEIL - Pas vraiment... Le problème actuel n'est pas tant d'avoir des taux bas ou élevés, c'est la rapidité du changement qui crée des frictions entre les offreurs et les demandeurs. Les premiers ont bien intégré les nouvelles conditions de financements, les seconds sont souvent encore dans un schéma d'il y a six mois qui n'est plus d'actualité, particulièrement pour les levées de fonds avec des exigences de rentabilité qui ont été revues à la hausse.

LAURENT BABIN - Le réajustement est encore en cours et il faut mécaniquement s'attendre à une hausse du nombre de défaillances d'entreprises dans les mois qui viennent. C'est inévitable après la mise en sommeil que l'on a connue depuis 2020. Le tribunal de commerce se prépare à enregistrer de nombreux dépôts de bilans, notamment de petites entreprises. Mais rappelons que le tribunal de commerce joue un rôle de soutien, avec des procédures comme le mandat ad hoc et la conciliation, et c'est aux chefs d'entreprise de s'en saisir suffisamment en amont !

AXEL CHAMPEIL - Par ailleurs, les taux vont se stabiliser dans les prochains mois ce qui va apaiser la situation. Mais, en revanche, les opérations de refinancement des entreprises qui se feront dans les prochains mois vont avoir un impact important quand les frais financiers vont passer de 1 % ou 2 % à plus de 5 % ! De ce point de vue, l'effet de la hausse des taux ne s'est pas encore totalement diffusé dans l'économie. Cela se fera au fur et à mesure des crédits demandés par les entreprises et ça devrait créer des turbulences tout en réduisant les investissements. Les entreprises devront faire des choix. Donc, la stabilisation de l'économie n'est que toute relative. Mais il faut rester optimiste car il y a toujours des solutions. En ce sens, l'un des enjeux des prochaines années est d'enfin arriver à orienter l'épargne privée vers les entreprises.

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Dans ce contexte mouvant, quel rôle peut jouer l'association Bordeaux place financière et tertiaire ?

AXEL CHAMPEIL - Il y a une mission d'éducation financière et de pédagogie auprès des entreprises. Notre enjeu est de les accompagner au mieux en leur présentant les différents outils financiers et juridiques et les options à leur disposition. Il y a un sujet pour les PME et les ETI sur l'accès aux fonds propres via l'ouverture de leur capital, qui ne répond pas aux mêmes critères qu'un crédit classique, et sur l'es opérations de croissance externe.

LAURENT BABIN - Pour les PME et ETI, les réticences peuvent venir des actionnaires historiques et il faut davantage parler de projet entrepreneurial et de co-construction que de simple opération financière. Du côté des startups, les levées de fonds sont aujourd'hui plus compliquées. Les très beaux projets que tout le monde s'arrache continuent à mener des levées très importantes mais, en réalité, quand un fonds de capital-risque faisait dix dossiers dans l'année, en 2023 elle n'en fera que trois. La sélection des projets est plus importante et c'est là qu'il faut faire le lien avec la croissance externe. Des groupes industriels plus importants peuvent profiter de ça pour venir soutenir l'innovation et des startups soit en entrant au capital de manière minoritaire soit en en rachetant la totalité !

BPFT fête ses dix ans

« Il y a des compétences et des ressources en local pour accompagner l'écosystème régional », martèle Axel Champeil, le président de BPFT. L'association d'une trentaine de membres veut favoriser le développement du territoire et le rayonnement des activités financières et tertiaires dans la région bordelaise. Elle vient de fêter ses dix ans et entend mettre l'accent sur la pédagogie financière, l'émergence de la finance à impact, le financement des transition écologiques et la mise en œuvre des critères de gouvernance sociétale et environnementale. « Sur tous ces sujets, la finance est en avance sur les entreprises car elle est déjà soumise à des règlementations. On doit donc jouer le rôle de diffuseur des bonnes pratiques notamment auprès des PME », appuie Axel Champeil. À la tête de BPFT, le dirigeant de Champeil SA est épaulé par deux vice-présidents : Laurent Babin (Redlink Nouvelle-Aquitaine) et Isabelle Delouil Geraud (SG Sud Ouest).

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