Redressements judiciaires, liquidations : quelle est l'ampleur de la crise à Bordeaux ?

ANALYSE. La crise économique se traduit par une hausse sensible des procédures collectives à Bordeaux même si leur nombre reste inférieur à l'avant Covid. En revanche, les perspectives inquiètent avec les effets conjugués du remboursement des PGE, de l'inflation et du retour des assignations de l'Urssaf. "2023 sera une année difficile et elle le sera d'autant plus si les chefs d'entreprise ne viennent pas nous voir suffisamment tôt !", alerte Marc Salaun, le vice-président du Tribunal de commerce.
2023 sera une année difficile et elle le sera d'autant plus si les chefs d'entreprise ne viennent pas nous voir suffisamment tôt, alerte Marc Salaun, le vice-président du Tribunal de commerce de Bordeaux.
"2023 sera une année difficile et elle le sera d'autant plus si les chefs d'entreprise ne viennent pas nous voir suffisamment tôt", alerte Marc Salaun, le vice-président du Tribunal de commerce de Bordeaux. (Crédits : Objectif Aquitaine / Appa)

"On est en plein dans le calme avant la tempête !", expliquait Jean-Marie Picot, l'ancien président du Tribunal de commerce Bordeaux en octobre 2020, entre les deux premiers confinements sanitaires. L'économie était alors sous perfusion et le Covid avait encore quelques vagues sous le coude. Où en est-on deux ans plus tard alors qu'entre-temps le redémarrage soudain de l'économie à deux doigts de la surchauffe s'est cogné en 2022 à la guerre en Ukraine et à ses impacts sur l'inflation et les coûts de l'énergie.

"Le calme a finalement été beaucoup plus long que prévu grâce à l'effet conjugué du quoi qu'il en coûte et de l'arrêt des assignations de l'Urssaf mais aujourd'hui la situation est réellement préoccupante", analyse Marc Salaun, le vice-président du tribunal de commerce.

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29 % de procédures collectives de moins qu'en 2019

Paradoxalement, ces tensions économiques bien réelles ne se traduisent pas encore dans l'activité du tribunal. Sur les neuf premiers mois de 2022, 623 procédures collectives - plans de sauvegarde, redressements judiciaires ou liquidations judiciaires - ont été enregistrées pour un total de 1.750 salariés. C'est à la fois 41 % de procédures en plus qu'à la même période en 2021 mais aussi, et c'est le plus important, 29 % de moins que les 873 procédures comptabilisées en 2019 à la même date. Alors qu'une centaine de nouvelles procédures collectives s'ajouteront en octobre, le total sur l'ensemble de l'année 2022 devrait tourner autour d'un millier, soit environ 20 % de moins qu'en 2019.

Mais si ces chiffres paraissent relativement rassurant à première vue, ils masquent une partie de la réalité. D'une part, la part de mises en liquidations judiciaires immédiates est très importante : 75 % des entreprises en 2021 et en 2022 contre seulement 55 % avant la crise sanitaire. "Cela traduit notre inquiétude sur ce deuxième coup de bambou que subissent les entreprises après celui du Covid. Leur trésorerie est déjà fragilisée et on voit désormais une usure et une fatigue du chef d'entreprise qui n'a plus l'énergie pour continuer", témoigne Marc Salaun. Il souligne l'impact du remboursement des prêts garantis par l'Etat (PGE) : "Actuellement, le PGE est systématiquement une raison dans les mises en procédure collective."

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Le spectre des assignations de l'Urssaf

D'autre part, en 2021 comme en 2022, les chiffres sont mécaniquement amputés des procédures collectives initiées par les assignations en recouvrement de l'Urssaf. Ces dernières sont en effet suspendues depuis le printemps de 2020 et viennent de reprendre de manière amiable avant un durcissement prévu début 2023. En temps normal, il y a autour de 400 procédures déclenchées par des assignations de l'Urssaf au tribunal de commerce de Bordeaux. Au 1er semestre 2023, le nombre de procédures collectives va donc mécaniquement augmenter avec la reprise des assignations et un probable effet de rattrapage.

"Si on ajoute à cela les PGE, le coût des matières premières et de l'énergie, l'inflation, la hausse des salaires et les problèmes de recrutement, la situation est préoccupante. 2023 sera une année difficile et elle le sera d'autant plus si les chefs d'entreprise ne viennent pas nous voir suffisamment tôt !", alerte Marc Salaun.


Ce dernier ne cesse d'appeler les chefs d'entreprise à se saisir assez tôt des nombreux outils disponibles auprès du Tribunal de Commerce, de la CCI Bordeaux Gironde ou des différentes professions qui les entourent (experts-comptables, administrateurs judiciaires, avocats, commissaires aux comptes, etc.) notamment via le site dédié Quipeutaidermaboite.fr.

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Anticiper, anticiper, anticiper !

Les chiffres parlent en effet d'eux-mêmes : dans le cadre d'un redressement judiciaire, qui intervient lors d'une cessation de paiement avec une dette déjà exigible, une entreprise sur deux arrive à s'en sortir avec un plan d'apurement de ces dettes. Alors que dans le cas d'un plan de sauvegarde, qui intervient plus tôt, avant la cessation de paiement, les trois-quarts des entreprises s'en sortent ! Et il y a aussi les procédures amiables de conciliation et de mandat ad hoc qui permettent d'anticiper encore un peu plus et d'avancer en toute confidentialité.

"Si l'entreprise a encore un peu de trésorerie, c'est-à-dire d'essence, on peut l'aider à redémarrer son moteur, sinon cela risque d'être trop tard pour éviter la liquidation. Et cela se joue parfois à quelques mois. La situation est donc compliquée mais il existe des solutions. Il faut s'en saisir !", martèle Marc Salaun.

Dans l'immédiat, les entreprises concernées par des procédures collectives à Bordeaux sont d'abord des TPE et PME - elles comptent trois salariés en moyenne - de différents secteurs tels que le bâtiment, la restauration, le transport, le prêt-à-porter. Mais, c'est nouveau, il y aussi de plus en plus de startups. "Avec très peu de chiffre d'affaires face à des charges très importantes, ces jeunes entreprises consomment beaucoup de fonds. Et quand l'investisseur dit stop, tout s'arrête...", constate le juge.

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