"Nous aurons un SpaceX en 2026 !" Le défi lancé par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, à la communauté spatiale française en décembre 2021 raisonne très directement aux oreilles d'Alexandre Mangeot, Sylvain Bataillard et Vincent Rocher, les cofondateurs de la startup bordelaise HyPrSpace, pour Hybrid Propulsion for Space.
"Quand on regarde l'ambition fixée par Emmanuel Macron d'avoir un micro-lanceur réutilisable français pour 2026, on se dit qu'on coche pas mal de case avec notre proposition et notre calendrier puisqu'on prévoit les premiers tests, à l'échelle 1, de notre micro-lanceur OB-1 pour début 2023 avant un lancement commercial fin 2024", fait remarquer Alexandre Mangeot, le CEO.
Dans le cadre du plan France 2030, l'État a ainsi fléché 200 millions d'euros pour développer des mini-lanceurs réutilisables.
C'est dans ce contexte d'ambitions renouvelées que le multi-entrepreneur Charles Beigbeder, via son fonds Geodesic, vient d'investir 1,1 million d'euros aux côtés de French Tech Seed (Bpifrance) et d'investisseurs privés. Sachant que Geodesic a vocation à fusionner avec le fonds Starburst Aerospace pour former Expansion Ventures et lever 300 millions d'euros d'ici deux ans pour soutenir les startups du New Space. Et si Charles Beigbeder a retenu les Bordelais d'HyPrSpace parmi ses premières cibles, ça ne relève évidemment pas du hasard : "La rupture technologique développée par HyPrSpace et sa capacité de lancement sont structurantes pour le développement de l'industrie spatiale", pointe celui qui pilote également les fonds Audacia et Quantonation. Mais de quelle rupture parle-t-on exactement pour justifier un tel intérêt pour cette startup de quinze salariés qui évolue dans un secteur où les besoins en capitaux se mesurent en centaines de millions d'euros ?
"On est partis d'une feuille blanche"
En réalité, la propulsion hybride - associant comburant solide et carburant liquide - utilisée par HyPrSpace n'est pas nouvelle puisqu'elle date des années 1960. Mais elle restait jusque-là entravée pour les applications de lanceurs bien qu'elle soit, par exemple, utilisée sur le SpaceShipTwo de Virgin Galactic. "La propulsion hybride fonctionne bien à petite échelle mais, à grande échelle, cette motorisation n'offre pas des performances suffisantes pour propulser un lanceur. C'est ce verrou technologique que nous avons levé et breveté en France et bientôt à l'international", simplifie Alexandre Mageot, titulaire d'un doctorat de propulsion hybride au Cnes (Centre national d'études spatiales). Son micro-lanceur, malicieusement baptisé OB-1, est capable d'emporter en orbite une charge utile de 250 kg.
"On a osé partir d'une feuille blanche ce qui nous a permis de dessiner une architecture de moteur hybride fondamentalement différente de qui se fait dans les lanceurs conventionnels et donc d'intégrer des sous-systèmes là où personne n'aurait pensé les mettre", poursuit l'ingénieur. "Le résultat c'est un étage propulsif constitué de seulement vingt pièces à assembler contre plusieurs dizaines de milliers pour un lanceur classique ! Cela simplifie toutes les étapes de la chaîne de production - approvisionnement, assemblage, contrôle qualité, vérifications, logistique - avec des économies substantielles à la clef."
La fusée OB-1 réutilisable développée par HyPrSpace (crédits : HyPrSpace).
La présence de la DGA-EM (direction générale de l'armement, essai de missiles) à Saint-Médard-en-Jalles (Gironde) et Biscarosse (Landes) permet aussi à cette jeune pousse créée mi-2019 à Bordeaux, d'utiliser des infrastructures d'essais au sol et en vol et donc de diminuer drastiquement ses coûts de développement.
"Le gros avantage de notre technologie de propulsion c'est qu'elle n'est pas chère à développer, pas chère à produire et pas chère à exploiter tout en étant plus robuste mécaniquement et chimiquement. Ce qui permet une redescente en parachute et un amerrissage à des coûts bien inférieurs à ceux pratiqués par SpaceX", souligne Alexandre Mangeot.
A ces atouts économiques s'ajoute un volet environnemental puisque OB-1 ne carbure pas au kérozène mais avec du plastique recyclé et, à terme, du plastique biosourcé.
Déjà du chiffre d'affaires
Du côté du modèle économique, HyPrSpace réfléchit, à ce stade, à deux possibilités, comme l'explique son dirigeant : "On envisage aujourd'hui de construire le lanceur autour de notre système propulsif et de vendre cette fusée à un tiers exploitant car nous avons des preuves de traction commerciale et nous pourrions aussi envisager d'opérer notre fusée nous-mêmes pour le lancement de satellites clients dans la recherche, la défense ou les télécoms." Sachant que la startup génère déjà du chiffre d'affaires via des contrats de R&D : 120.000 euros en 2021 et 600.000 euros rien que cette année.
Cette première levée de fonds d'amorçage de 1,1 million d'euros doit désormais permettre la démonstration d'OB-1 à l'échelle un - soit quatre mètres de long sur un mètre de diamètre - début 2023. Il sera alors l'heure de boucler une levée en série A d'au moins dix millions d'euros qui ne serait encore qu'un premier pas dans un secteur extrêmement capitalistique. D'ici là l'entreprise bordelaise, actuellement installée sur le campus universitaire de Talence et qui déménagera dans quelques semaines au Haillan, à 500 mètres du site d'ArianeGroup, devrait atteindre un effectif de vingt salariés en fin d'année.
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