"Du haut de ces vieilles pierres, plus de six cents ans d'histoire vous contemplent !" On ignore si Napoléon Bonaparte fit étape un jour à Saint-Emilion, mais Couvent des Jacobins ne date pas d'hier. C'est l'un des deux seuls Grands crus classés présents dans le centre du village médiéval. "C'est une propriété familiale depuis 1902", raconte Xavier Jean, arrière-arrière-petit-fils du créateur. "Mais les moines dominicains sont arrivés eux ici bien avant, dans les années 1380." Le domaine, aujourd'hui, ce sont neuf hectares de vignes et 35.000 bouteilles produites par an.
Un pied à Singapour
Depuis une douzaine d'années, une partie est d'ailleurs vendue en Asie du Sud-Est, où Xavier Jean représente la marque familiale. C'est surtout à Singapour, où 10 à 15 % de la production maison est écoulée, que les effets du Covid-19 ont été le plus sensible :
"Pendant deux à trois mois, il y a eu un confinement très strict", se souvient le Français. "En 2020, les volumes ont baissé de l'ordre de 20 %. Mais depuis l'an dernier, la reprise est assez forte sur toute la région, sauf en Chine et à Hong Kong à cause de leur stricte politique zéro Covid".
A Singapour, les clients de Couvent des Jacobins sont à 70 % des professionnels, restaurants ou hôtels, et le reste des cavistes et des clients privés. "C'est un marché qui s'est énormément structuré et sophistiqué ces quinze dernières années", constate Xavier Jean. "On compte aujourd'hui ici à peu près 200 importateurs de vins. C'est un métier qui, en fait, a été moteur pour développer tout le milieu de la gastronomie avec énormément de restaurants grâce à une classe moyenne plus fortunée qu'ailleurs en Asie.»
Faire vivre sa marque
Élève au lycée privé Tivoli de Bordeaux, puis étudiant en management à Montréal, Xavier Jean, jeune homme bien né, débute sa carrière à Londres dans les services financiers avant de s'envoler pour l'Asie. Installé à Singapour, il ne commencera à travailler pour le domaine familial qu'en 2011. Aujourd'hui, ce n'est pas tant la pandémie que les effets de la guerre lancée fin février en Ukraine par Moscou que redoute le Français :
"L'impact direct est en réalité assez limité parce que nous ne sommes pas très présents en Russie, avec moins de 5 % de nos volumes écoulés. Mais ce genre de crise géopolitique a toujours une incidence sur la confiance des consommateurs, des négociants et sur les monnaies. Cela va finalement impacter tous les intervenants de la filière."
La leçon que Xavier Jean tire en tout cas de ses deux crises successives est, dit-il, la nécessité de faire vivre sa marque et de l'incarner : "On n'est pas des multinationales, mais des domaines familiaux. En Asie, les clients apprécient, presque même plus que les étiquettes, quand le propriétaire ou le directeur général du domaine vient sur place leur raconter son histoire. Ils aiment parler aux personnes qui font les vendanges, la vinification et celles qui décident des assemblages. C'est une force."
Et quand ce "storytelling" tape dans le mille, les acheteurs fortunés se transforment parfois en touristes et viennent jusqu'à Saint-Emilion visiter le domaine et y passer une nuit ou deux dans un gîte au cœur des vignes, avec dégustation et à la clé un afflux de devises qui prend de plus en plus d'importance pour les châteaux.
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