Pour la première fois à Angoulême, les auteurs de BD rémunérés en dédicace

Après une annulation en 2021, le festival international de la bande dessinée d'Angoulême repart pour une édition en présentiel dès le 17 mars. Des retrouvailles déjà chahutées par des absences très politiques et par la situation toujours délicate des auteurs. Mais la cité de la BD, à la fois vitrine et manifeste du 9e art, doit être le premier festival à inaugurer un tout nouveau système national de rémunération.
Maxime Giraudeau
La 49e édition du festival international de la bande dessinée d'Angoulême se tiendra du 17 au 20 mars.
La 49e édition du festival international de la bande dessinée d'Angoulême se tiendra du 17 au 20 mars. (Crédits : Maxime Giraudeau)

Le grand calme avant le retour de la foule ? Dans les rues d'Angoulême début mars, les affiches du festival international de la bande dessinée 2022 (FIBD) flottent à la brise hivernale au-dessus des rues peu fréquentées. La ville à l'habitude d'une manifestation au mois de janvier, mais le Covid-19 a obligé le report aux lueurs du printemps. Il n'y a que sur la place du marché couvert, dans les hauteurs de la ville, que l'agitation se fait entendre autour d'un râle métallique. Les ouvriers installent l'un des chapiteaux qui doit recevoir les rendez-vous de la 49e édition du 17 au 20 mars. Malgré le bruit, la déclaration d'une autrice s'entend sans détour : "On est l'équivalent des vaches du salon de l'agriculture !"

Lire aussi 4 mnPourquoi la situation des auteurs de BD s'est-elle aggravée ?

La fondatrice de l'Association des auteurs de bande dessinée (AdABD), Nathalie Ferlut, comme nombre de ses consœurs et confrères, l'a mauvaise. Et ça ne date pas d'hier. Dans les festivals, à Angoulême ou ailleurs, les professionnels de la bande dessinée rencontrent le public et, surtout, dédicacent leurs productions avec des dessins croqués sur l'instant. Un vrai travail à la chaîne pour les auteurs qui en ressortent épuisés. Et surtout sans aucune rémunération. "Vous venez faire de la représentation commerciale qui va alimenter toute la chaîne jusqu'à l'éditeur", décrypte Sébastien Cornuaud, délégué général de l'association.

BD Angoulême

Angoulême se pare des couleurs du festival alors que celui-ci a traditionnellement lieu en janvier. (Crédits : Maxime Giraudeau)

Alors que la profession a alerté depuis plusieurs années sur cette zone grise, c'est à Angoulême que les négociations devraient se matérialiser. Le Snac BD (Syndicat national des auteurs et compositeurs, branche bande dessinée) a ainsi annoncé le 28 février dernier dans un communiqué se réjouir "de la signature annoncée du protocole pour la rémunération des dédicaces des auteurs et autrices de BD dans les festivals." Le FIBD d'Angoulême y est ensuite cité comme la première manifestation où ce principe de rémunération entrera en vigueur.

Difficile de toucher les droits d'auteur

L'accord négocié entre l'Etat, les syndicats et les instances professionnelles ouvre la voix à une rétribution en droits d'auteur de 226 euros bruts sur la durée d'un festival. La somme est financée par la Sofia (Société française des intérêts des auteurs de l'écrit) et le Centre national du livre pour 70 %, et le reste est assuré par la structure invitante, l'éditeur ou le festival.

A la direction du FIBD, on ne parle pas de l'entrée en vigueur à Angoulême dès 2022 mais on confirme qu'une "solution a été trouvée". "C'est une avancée qu'attendaient les auteurs et que le festival d'Angoulême a appuyée", évoque Franck Bondoux, le délégué général du festival, pour La Tribune. Pour les instances représentatives, il ne s'agit là que d'une première étape dans une profession peu considérée dans la chaîne du livre et sans réel statut.

"Le statut des auteurs ? Il est entre inexistant et épouvantable", livre Nathalie Ferlut. "Il se situe majoritairement en-dessous du seuil de pauvreté. Tout le reste de la chaîne du livre profite du revenu généré, mais pas nous." Les ressources des auteurs de BD se partagent souvent entre l'avance sur production accordée par l'éditeur et les droits d'auteur situés autour de 8 % du prix de vente du livre. Or, ces droits ne peuvent être attribués à l'auteur seulement lorsque l'éditeur se sera remboursé de l'avance versée, grâce aux ventes. De fait, l'autrice de l'AdABD, comme beaucoup d'autres, n'a jamais touché de droits d'auteur puisque les ventes ne sont, pour eux, que de quelques milliers d'ouvrages. La profession réclame donc une recomposition de ce système.

Prise d'otage du festival

"Ça nécessite une distinction entre le temps de création et le temps de diffusion de l'œuvre", pointe Sébastien Cornuaud. Une revendication portée depuis plusieurs années déjà, et jusque devant le président Macron lors de sa venue au festival d'Angoulême en janvier 2020. Le rapport Racine, parcourant la situation des artistes-auteurs et proposant des pistes pour améliorer leur statut, était remis au même moment. Depuis, pas d'avancée majeure. Et rien à se mettre sous la plume.

BD Angoulême Nathalie Ferlut Sébastien Cornuaud

Sébastien Cornuaud et Nathalie Ferlut font partie du collectif de l'AdABD depuis le début des années 2000. (Crédits : Maxime Giraudeau / LT)

Alors Angoulême devrait à nouveau cristalliser le malaise du monde illustré. Une habitude au festival. Mais cette année particulièrement, les organisateurs sont pris en étau. Le jury du tout nouveau prix "éco-fauve Raja", qui doit récompenser une bande dessinée écologique, a claqué la porte début février. Les membres refusaient de voir associer l'image de la sobriété environnementale avec celle de Raja, partenaire du festival depuis plusieurs années et qui adosse son nom à cette nouvelle distinction. Le jury a été renouvelé et le nom du distributeur d'emballage maintenu.

C'est aussi l'éditeur français Glénat qui a annulé sa venue, mettant en cause l'absence de ses auteurs dans les nominations. Et bousculant ainsi le principe même d'indépendance du jury de sélection. Sans citer la maison d'éditions explicitement, le délégué général du festival Franck Bondoux parle de "groupes d'influence qui prennent en otage le festival pour faire valoir leur point de vue".

Budget

  • 4,5M€

    Le festival international de la bande dessinée d'Angoulême dispose d'un budget de 4,5 millions d'euros par édition, abondé de moitié par des subventions territoriales. La direction présente des finances à l'équilibre, expliquant que, malgré l'annulation en 2021, les partenaires ont maintenu leur concours financier.

A nouveau, l'événement sera vitrine et porte-étendard de la bande dessinée. "L'événement de référence d'un écosystème qui compose avec toutes les problématiques de son écosystème", pour le dire autrement, comme le fait Franck Bondoux. Mais même chez le collectif qui avait appelé au boycott de l'édition 2021 finalement annulée, on fait valoir que c'est aussi pour le meilleur. "Les choses avancent : trois femmes sont nommées pour le Grand prix cette année !," appuie Cédric Mayen, administrateur des Autrices Auteurs en action. Pénélope Bagieu, Julie Doucet et Catherine Meurisse. Autant d'illustratrices de talent dont les productions façonnent l'image de la BD. Et qui font aussi figure d'exceptions dans une profession qui cherche toujours son statut.

Maxime Giraudeau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.