Relocaliser l'industrie ? « On ne va pas tout d'un coup faire pousser des usines en France ! » (2/4)

TÉMOIGNAGE. Fabriquer en France ? Délocaliser ? Relocaliser ? L'entreprise niortaise Eno est passée par toutes ces étapes qui relèvent du casse-tête existentiel. Désormais appuyé sur la certification Origine France Garantie, Laurent Colas, le co-dirigeant de cette PME d'une centaine de salariés, partage dans La Tribune les atouts et les limites d'une stratégie de réindustrialisation alors que le salon Made in France se tient à Bordeaux du 11 au 13 mars 2022.
L'atelier émaillage de l'entreprise Eno à Niort, spécialiste des appareils de cuisson à bord des bateaux et des planchas.
L'atelier émaillage de l'entreprise Eno à Niort, spécialiste des appareils de cuisson à bord des bateaux et des planchas. (Crédits : Eno)

Créée dans les Ardennes, Eno est une entreprise centenaire qui s'est installée à Niort, dans les Deux-Sèvres, dès 1915 pour ne plus jamais en repartir. Fabricant d'appareils de cuisson à bord des bateaux, elle a aussi développé un marché autour de la plancha. "Nous avons aujourd'hui deux métiers, et de fil en aiguille nous nous positionnons aussi sur la cuisson autour de la terrasse", explique à La Tribune Laurent Colas qui a repris l'entreprise il y a 18 ans.

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L'atelier assemblage de la société Eno à Niort. (crédits : Eno)

C'est donc sous sa direction, en 2006, qu'Eno rachète Force 10 au Canada, son principal concurrent nord-américain spécialiste dans le domaine de la cuisson pour les bateaux.

"Nous avons racheté l'usine et l'entrepôt logistique, trop cher, nous le savions. Nous avons donc très vite fait le choix de rapatrier l'activité en France dans notre propre usine à Niort. Il est toujours plus facile d'intégrer un surcroit d'activité au sein d'une usine existante que d'en créer une autre", témoigne Laurent Colas car il est transparent sur le sujet : "il vaut mieux avoir une usine que deux..."

Un déplacement d'usine compliqué

Pour autant, plus de quinze ans plus tard, il reconnaît qu'il est très compliqué de déplacer une usine. "Cela prend du temps. C'est lourd techniquement. Il a, par exemple, fallu adapter beaucoup de choses alors que les Canadiens n'utilisent pas les mêmes unités de mesure que nous. Le processus a été beaucoup plus long que prévu. C'est fait, nous ne reviendrons pas en arrière mais cela me fait dire que toutes les usines qui ont fermé en France dans les trente dernières années ne rouvriront pas", assure Laurent Colas.

Sa vision de la réindustrialisation en France ?

"Cela se fera sur le modèle de ce que nous avons fait qui, je pense, est un bon exemple de ce qui peut être fait. La réindustrialisation se fera par des petits acteurs avec des milliers de petits compléments d'activité industrielle qui viendraient se réimplanter dans l'existant. On ne va pas tout d'un coup faire pousser des usines. L'emploi industriel est localisé à 70 % dans des entreprises de moins de 250 salariés et le flux est basé dans des entreprises de plusieurs dizaines de personnes", explique Laurent Colas.

En tant qu'industriel français, il fustige aussi le niveau des charges sociales, mais pas seulement. "Nous avons aussi un gigantesque problème de recrutement. Nous avons créé vingt emplois mais la main d'œuvre n'existait pas", soupire Laurent Colas dont l'usine de 10.000 m2 est située dans le centre ville de Niort. "A nous industriels, de changer cette image."

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Une mauvaise expérience de délocalisation

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Les co-dirigeants, Laurent Colas et Antoine Thomas de gauche à droite. Crédit Eno.

Laurent Colas est en revanche persuadé d'une chose. Pour avoir testé, il ne délocalisera plus la fabrication de certains de ses produits en Chine. Alors que le marché des appareils de chauffage au gaz était lourdement concurrencé par des produits chinois, Eno a tenté l'expérience pour essayer de préserver des parts de marché. "Je ne ferai pas deux fois l'erreur, nous n'avons pas solutionné le problème, l'activité n'existe plus et nous avons été confrontés à deux difficultés. Quand on délocalise une activité en Chine on délocalise aussi la trésorerie, c'est-à-dire que pour pouvoir financer une campagne de fabrication de chauffage au gaz, il fallait envoyer en avance des centaines de milliers d'euros pour une activité à faible marge. Par ailleurs, nous pensions payer moins cher, mais entre le coût du transport par bateau, les pièces qui arrivaient abimées, rouillées parce qu'elles étaient fabriquées l'été et vendues l'hiver, bref, le compte n'y était pas. Cela n'a pas duré", confie Laurent Colas qui remet les choses à leur place :

"La première fois que j'ai présenté mes planchas, il y a plusieurs années, un distributeur m'a dit : si c'est fabriqué en France cela ne m'intéresse pas, pas assez de marge ! Aujourd'hui, c'est différent : la crise sanitaire aura au moins montré l'importance de fabriquer en France."

Certifiée Origine France Garantie

Car il revendique la fabrication française de ses produits.

"J'ai beau me plaindre, aujourd'hui nous affichons la certification Origine France Garantie à laquelle nous sommes très attachés. Il incite les consommateurs à acheter français et nous autres fabricants à chercher des fournisseurs français. J'ai, pour ma part, trouvé un fournisseur d'acier perforé moins cher en France qu'au Portugal. Par ailleurs, quand on achète un produit français, on finance sa propre protection sociale. Enfin, relocaliser en France, c'est aussi rendre nos produits plus durables car, en ce qui nous concernent, ils sont réparables presque à l'infini. L'enjeu de la localisation, c'est aussi l'enjeu de nos déchetteries", ajoute Laurent Colas.

Eno qui compte aujourd'hui une centaine de salariés à Niort entend réaliser 15 millions de chiffre d'affaires en 2022. L'entreprise, qui se distingue par un savoir-faire en émaillage reconnu par le label Entreprise du Patrimoine Vivant, sera présente sur le salon Made in France à Bordeaux du 11 au 13 mars.

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