Dassault Aviation ralenti par un mouvement social minoritaire mais persistant

Croatie, Émirats Arabes Unis, Indonésie : les commandes de Rafale s'enchaînent pour Dassault Aviation. Mais sur le terrain à Martignas, Mérignac ou Biarritz, ce sont les mouvements sociaux menés par la CGT qui perturbent depuis plus d'un an le quotidien des sites de production de l'avionneur. En jeu : le montant des augmentations salariales pour les non cadres.
Un Falcon d'exposition sur le site de Dassault à Martignas recouvert par de papier toilette par des salariés grévistes le 7 février 2022.
Un Falcon d'exposition sur le site de Dassault à Martignas recouvert par de papier toilette par des salariés grévistes le 7 février 2022. (Crédits : CGT)

"200 balles ou pas de Rafales !" ou "Pas de pognon pas d'avions !" Ce sont les slogans régulièrement repris par les salariés manifestants sur les sites de production de Dassault Aviation à Martignas et Mérignac, en Gironde. Car le conflit social en cours depuis plus d'un an au sein des différents sites de l'avionneur tricolore ne concerne pas tant l'obtention ou pas d'augmentations salariales mais le montant de ces revalorisations. Pour recontextualiser ce mouvement de protestation mené par trois syndicats minoritaires - CGT, CFDT et FO - il faut revenir quelques mois en arrière.

"Vendredi, usine vide"

Barrages filtrants matinaux, feux de palettes, débrayages intempestifs pour bloquer des avions et autres grèves perlées d'un quart d'heure toutes les deux heures ont débuté début 2021 au sein de plusieurs sites de l'avionneur, particulièrement dans le Sud-Ouest, en Gironde et dans les Pyrénées-Atlantiques. "Ces opérations "vendredi, usine vide" ont été déclenchés par les accords NAO (négociations annuelles obligatoires) de 2020/2021 sur deux ans liés à la pandémie de Covid-19. Tous les avions ont été livrés à temps permettant à l'entreprise d'engranger des bénéfices très importants mais les NAO n'étaient que de +0 % en 2020 et +0,5 % en 2021 pour les augmentations générales", dénonce Anthony Dupuy, délégué syndical CGT du site de Mérignac où travaillent plus de 2.000 personnes.

Entre temps, Dassault Aviations et l'Etat français ont décroché une série de contrats pour placer le précieux Rafale auprès de puissances étrangères. Au total, 285 Rafale (dont 24 d'occasion), ont été vendus à l'export dans sept pays dont 182 depuis le 1er janvier 2021. Le dernier en date étant les 42 exemplaires placés en Indonésie en février dernier. De quoi garnir durablement les carnets de commande et même nécessiter de revoir les cadences de production à la hausse.

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Dassault Aviatin Martignas CGT

En plus des blocages visant à ralentir la production, les grévistes mènent des actions symboliques comme ici à Martignas (crédits : CGT).

Malgré l'opposition de la CGT (3e syndicat représenté avec 17 %), rejointe par la CFDT (2e syndicat avec 20 %) et FO (5e), deux syndicats majoritaires ont validé en décembre dernier l'accord de NAO. Il s'agit de la CFE-CGC, 1er syndicat représenté avec 42 %, et de l'Unsa (4e avec 15 %). "C'est un bon accord, le meilleur depuis 2009, qui couvrira largement la baisse de pouvoir d'achat attendue pour l'année 2022", expliquait à La Tribune Didier Denaud, délégué syndical CFE-CGC. L'accord signé prévoyait, pour les salariés non cadres, un budget d'augmentation salariale de 3,5 % de la masse salariale et, pour les salariés cadres, une enveloppe de 3,75 %. Auxquelles s'ajoutent des primes pouvoir d'achat et Rafale. "On ne veut pas de primes, on veut des revalorisations salariales pérennes", répond la CGT.

Un contexte salarial très favorable


  • Dassault Aviation met en avant sa politique salariale volontaire assurant que "les augmentations générales sur dix ans ont compensé plus que le niveau d'inflation" et qu'en 2022 cela garantit un salaire annuel brut minimal de 1,4 fois le Smic tandis que le salaire annuel brut moyen pour les salariés non cadres est de 1,9 fois le Smic. En outre, sur les cinq dernières années, dans le sillage des bons résultats de l'entreprise, les montants versés au titre de l'intéressement et de la participation ont représenté en moyenne 8.300 euros par an, et 6.214 euros par an pour les plus basses rémunérations. "Compte tenu du 13e mois, les chiffres qui précèdent signifient qu'un non-cadre chez Dassault est payé 16 mois", souligne la direction. Un constat qui n'est pas remis en cause par la CGT même si celle-ci souhaite concentrer ses revendications uniquement sur le salaire, affirmant "qu'il y a chez Dassault des salariés en CDI à temps plein qui ne gagnent que 1,1 fois le Smic".

Nouvelles négociations en cours

Pas de quoi éteindre la mobilisation qui continue sur tous les sites de l'avionneur sauf à Istres, situé sur une base militaire, et Saint-Cloud, le siège où travaillent surtout des cadres. Au total, la direction avance le chiffre de 6,6 % de grévistes depuis deux mois, par rapport à l'effectif total, tandis que la CGT assure que "50 % des salariés de production des avions sont mobilisés". "Le mouvement ne s'essouffle pas, bien au contraire, et la présentation des résultats financiers du groupe le 4 mars comme les futures commandes de Rafale vont donner de l'eau à notre moulin", promet Anthony Dupuy, électricien-monteur sur le Falcon 6X. Ce qui est sûr c'est que ce mouvement social persistant a poussé la direction de Dassault Aviation a ouvrir de nouvelles discussions début 2022 et à reconnaître que "globalement, les mouvements ralentissent le travail" avec "des conséquences très variables d'une site à l'autre".

La dernière réunion, qui s'est tenue le 17 février, a d'ailleurs été nourrie de propositions chiffrées de la direction : une augmentation générale pour les salariés de non-cadres de 100 euros bruts par mois, intégrant les NAO 2022, soit une hausse de +5,4 % pour les plus bas salaires. Avec les primes, la direction estime que cela représente une hausse de 188 euros bruts mensuels. Des avancées aussitôt retoquées par le syndicaliste CGT Anthony Dupuy : "On a dit à la direction que tant qu'il ne reviendrait pas avec une proposition d'augmentation de 200 euros nets pour tous les salariés cadres et non-cadres, le conflit continuera !" De son côté, la CFDT demande une revalorisation de 140 euros nets par mois.

Portée par les commandes Rafale et le redémarrage de l'aviation civile, Dassaut a généré un chiffre d'affaires au 1er semestre 2021 supérieur à celui de 2019, à 3,1 milliards d'euros. Son bénéfice net a été multiplié par sept à 212 millions d'euros, encore inférieur toutefois à son montant d'il y a deux ans (286 millions).

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