Startups : « La dimension industrielle est devenue un élément de différenciation important en 2021 »

INTERVIEW. "La différenciation et la sécurisation liées au choix d'une startup d'internaliser la dimension industrielle sont mieux prises en compte dans nos modèles d'investissement", assure François Cavalié, le président d'Aquiti Gestion. Ce fonds d'investissement est présent au capital de 208 entreprises régionales et figure dans la moitié des quinze plus grosses levées de fonds signées en Nouvelle-Aquitaine l'an dernier. François Cavalié réagit à ce millésime 2021 inédit qui témoigne de la maturité de l'écosystème régional avec des montants levés quatre fois supérieurs aux années précédentes.
François Cavalié, le président d'Aquiti Gestion, fonds régional présent dans la moitié des quinze levées de fonds les plus importantes en Nouvelle-Aquitaine en 2021.
François Cavalié, le président d'Aquiti Gestion, fonds régional présent dans la moitié des quinze levées de fonds les plus importantes en Nouvelle-Aquitaine en 2021. (Crédits : Aquiti Gestion)

LA TRIBUNE - Les dix plus grosses levées de fonds de 2021 en Nouvelle-Aquitaine totalisent plus de 250 millions d'euros, un montant quatre fois supérieur aux années précédentes. Comment expliquez-vous ce millésime 2021 hors-normes ?

François CAVALIÉ - L'intensité capitalistique des projets évolue considérablement à la hausse en même temps que la valeur capitalistique de ces entreprises. Et c'est la combinaison de ces deux phénomènes qui explique cette hausse soudaine. Dans le domaine des biotechnologies et de la santé, comme Treefrog Therapeutics, Fineheart ou Valbiotis, les développements en laboratoire, les essais cliniques et l'obtention du marquage CE coûtent très chers. Ces entreprises ont donc besoin de beaucoup d'argent. Pour le cas d'Ultra Premium Direct, de Valorem ou d'Asobo Studio, c'est la valeur de ces entreprises, leur positionnement sur leur marché respectif et la nécessité de continuer à investir qui expliquent ces montants en hausse. Tout cela conduit à des opérations de plus en plus grandes. C'est pour cela que nous avons lancé le fonds Naci doté de 100 millions d'euros pour accompagner ce mouvement. Et je me félicite d'ailleurs qu'Aquiti Gestion soit présent dans plus de la moitié des plus grosses opérations de l'année !

La Nouvelle-Aquitaine est-elle en train de rattraper un certain retard en matière de levée de fonds par rapport, par exemple, à l'Occitanie ou à Auvergne-Rhône-Alpes ?

Je ne parlerai pas forcément de retard puisque les montants en jeu sont, en réalité, directement liés à l'intensité capitalistique des secteurs concernés. A Toulouse, les startups du spatial nécessitent beaucoup de capital comme c'est le cas du côté de Lyon pour des startups industrielles ou biotechnologiques. Donc plus qu'un retard c'est plutôt l'éclosion d'entreprises qui arrivent à maturité et poursuivent leur chemin, souvent après plusieurs levées de fonds successives. Ces entreprises ont validé des étapes impressionnantes dans la structuration de leurs équipes, dans la défense de leur propriété intellectuelle et dans le développement de leur produit. Si bien qu'elles sont aujourd'hui capables de passer clairement à la vitesse supérieure. D'où l'importance d'être un partenaire dans la durée : pour Treefrog Therapeutics, par exemple, nous avons investi moins de 100.000 euros au tout premier tour de table. Aujourd'hui, cette startup est allée chercher 64 millions d'euros et nous sommes encore autour de la table !

Faut-il y voir aussi un effet d'aubaine lié au contexte général d'abondance de capital et d'investisseurs ?

Oui, mais pas seulement. Les bons et les meilleurs projets qui ont besoin d'argent en trouvent, et en trouvent beaucoup, c'est vrai ! Mais il y aussi des startups et des porteurs de projets qui restent au bord du chemin. La notion de risque est encore bien présente dans chacun de nos investissements et nous acceptons de prendre des risques quand nous investissons dans Isorg, Sunbooster ou Elixir Aircraft. Cela étant dit, pour les projets ambitieux qui cherchent des montants conséquents, c'est en effet un contexte plutôt favorable et il faut savoir en profiter ! Et je pense qu'en 2022, on aura aussi, comme en 2021, toute une série de belles opérations ! Et puis au-delà des montants, ce que je retiens ce sont les emplois créés dans la région par toutes ces startups et entreprises innovantes.

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A côté de ces nombreuses levées de fonds, on observe la stratégie différente d'HDF Energy, du Groupe Berkem ou encore de Forsee Power qui ont opté pour un introduction en bourse. C'est une option à considérer sérieusement pour des startups en croissance ?

Oui, ça peut l'être. Euronext a fait énormément d'efforts pour inciter les entreprises à s'introduire en bourse en simplifiant ses démarches. Si bien que la bourse n'est plus nécessairement réservée à des entreprises de taille significative. La bourse permet aujourd'hui d'aller chercher de grosses valorisations parce qu'il y a une appétence claire pour les hautes technologies, l'innovation et les énergies renouvelables. Donc oui, tant mieux si l'épargne des Français peut aller vers ces entreprises via la bourse ! Mais n'oublions pas non plus que la bourse nécessite beaucoup de travail avant l'introduction et beaucoup de rigueur par la suite.

Quels sont les domaines que vous sentez monter dans la région en 2022 ?

Il y a plusieurs projets que nous accompagnons ou sur lesquels nous travaillons qui vont continuer à se développer significativement et préparent des levées de fonds. Les enjeux de la transition énergétique et de la décarbonation de l'économie via la capture de CO2 ou l'hydrogène sont, à mon sens, particulièrement prometteurs. Je pense à des entreprise comme Materr'up ou Dioxycle qui vont avoir besoin de réunir des fonds rapidement. Ces deux entreprises disposent d'un savoir-faire, d'une équipe dirigeante et d'un positionnement absolument remarquables et pourraient bien figurer parmi les plus grosses levées de 2022 !

L'année 2022 va-t-elle marquer un retour de l'industrie ? Est-ce que c'est une tendance que vous constatez dans les projets qui vous sont présentés ?

Oui, tout à fait. Nous accompagnons de plus en plus d'entreprises portant un projet industriel en France et dans la région. On constate aujourd'hui une volonté d'intégrer la dimension industrielle au cœur du projet d'entreprise en internalisant la production du produit là où, il y a encore quelques années, le postulat était plutôt d'opter pour une fabrication à l'étranger et bien souvent en Asie. Les difficultés d'approvisionnement sont passées par là. C'est devenu un élément de différentiation et d'innovation important pour les startups.

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Est-ce que cela entraîne un changement d'analyse des financeurs qui étaient jusque-là plutôt frileux pour financer des projets industriels, coûteux en capital initial investi dans les machines ?

Je crois qu'il y a effectivement aujourd'hui une meilleure compréhension de l'apport en valeur ajoutée pour une entreprise qui fait le choix de piloter en interne sa dimension industrielle et éventuellement de produire en France ou de produire elle-même. Soyons clairs, si vous choisissez d'externaliser la dimension industrielle, ça allège les besoins en financement donc c'est un réflexe compréhensible de la part d'un investisseur ! Mais, désormais, la différenciation et la sécurisation liée à une internalisation sont mieux prises en compte dans nos modèles d'investissement. Il y a eu un changement profond avec les difficultés logistiques nées de la crise du Covid. D'où une tendance à raccourcir et simplifier les circuits d'approvisionnement.

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