Face à la livraison express, la grande distribution cherche sa stratégie (2/3)

Avec l’irruption des acteurs du quick commerce, les stratégies de la grande distribution et des commerçants se retrouvent bousculées. Les enseignes de proximité craignent de perdre le contact et la relation avec le client, quand certaines grandes surfaces nouent des partenariats colossaux avec ces nouveaux acteurs. Ou comment des entreprises toutes récentes déstabilisent les figures historiques du commerce.
Maxime Giraudeau
Les cofondateurs d'Alenvy, Erwan Moullec à gauche et Victor Terrien à droite, font de l'ombre aux réseaux classiques de distribution alimentaire avec leur marketplace en circuit-court.
Les cofondateurs d'Alenvy, Erwan Moullec à gauche et Victor Terrien à droite, font de l'ombre aux réseaux classiques de distribution alimentaire avec leur marketplace en circuit-court. (Crédits : Thibaut Moritz)

Avec l'irruption des acteurs de la logistique alimentaire, quelle place reste-t-il pour la relation avec le client ? Comme si une part de la valeur ajoutée, créée par le contact social, se retrouvait amputée. Chez Audette, acteur naissant du drive de proximité qui réunira une dizaine de commerçants, on prend conscience que le schéma bouscule les pratiques courantes, en même temps qu'on incite à la transition.

"Nous savons que la relation client est très importante pour eux et le lien sera maintenu par la promotion que nous ferons du produit. Mais si les commerçants ne vont pas sur le digital, c'est qu'ils ne saisissent pas leur chance et se risquent à être relégués au fond du modèle de consommation", contrebalance Denis Roucou, président d'Audette, qui lancera son drive en mars 2022.

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"Apporter des outils pour simplifier la vente"

De nombreux commerçants se sont montrés circonspects et n'ont pas donné suite au démarchage de la jeune pousse. Preuve d'un scepticisme marqué. "C'est une perte de sens pour eux : on se rend dans les petits commerces pour y trouver des relations sociales. Le client cherche l'expérience de consommation, la dimension plaisir", souligne Sandrine Heitz-Spahn, docteure en sciences de gestion à l'université de Lorraine et chercheuse en comportement du consommateur.

Après les confinements, "qui ont ouvert les chakras des commerçants" selon Denis Roucou, la demande croissante des consommateurs citadins autour des services alimentaires constitue une aubaine pour redynamiser l'activité des professionnels du secteur. Les marketplaces se sont révélées comme des outils indispensables en période confinée, et dont l'essor s'étend encore. "On a, entre guillemets, pas mal sauvé la mise à certains commerçants pendant la crise sanitaire. Maintenant, le but n'est pas qu'ils passent leur vie sur l'ordinateur, mais qu'on leur apporte les outils pour simplifier la vente", explique Erwan Moullec à propos de la marketplace locale d'Alenvy, entreprise qu'il a cofondée.

Concurrencer ou pactiser ?

Les grandes surfaces se montrent toutes aussi prudentes, même si la problématique est évidemment différente. Les livreurs de courses à domicile marchent sur leurs plates-bandes et sont donc scrutées de près. Voire convoitées. La française Cajoo a noué à la rentrée 2021 un partenariat de 40 millions de dollars avec Carrefour. En sous-traitant pour l'enseigne, la startup va s'approvisionner auprès de sa centrale d'achat et obtenir des données sur les habitudes de ses consommateurs. "On a pensé que réaliser un partenariat avec Carrefour, un acteur français, pouvait créer de bonnes synergies sur les produits, les équipements et la récolte des données", détaille à La Tribune Guillaume Luscan, cofondateur de Cajoo.

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La marque s'affirme ainsi comme un acteur de poids et réussit à s'insérer dans la chaîne de valeur.

"C'est intéressant d'observer comment les grandes enseignes réagissent à notre arrivée. On pense qu'une partie de la croissance de la grande distribution va reposer sur les courses en ligne", indique-t-il encore. Quelques années après l'essor fulgurant du drive, c'est donc la livraison express qui tient la corde.

Gorillas, le concurrent allemand de Cajoo, a quant à lui annoncé un partenariat stratégique qui entrera en vigueur d'ici la fin de l'année avec le groupe Casino. Les nouveaux arrivants calquent bien le modèle d'un de leur prédécesseur, Everli, qui s'est associé avec la grande distribution en Italie, son pays d'origine. "De cette façon, nous pouvons offrir un meilleur service : relayer les offres promotionnelles, donner davantage de visibilité aux choix du consommateur et réaliser des économies d'échelle", développe Federico Sargenti, CEO d'Everli, créée en 2014.

"Il y a toujours quelques startups qui arrivent à s'en sortir seules mais les distributeurs ont la capacité financière de les racheter. C'est un peu un laboratoire : la grande distribution regarde faire en attendant de voir si ces dispositifs sont rentables ou pas", traduit Sandrine Heitz-Spahn. Pas de quoi effrayer les acteurs établis qui profitent de cette course au nouveau marché pour récompenser et s'attirer les faveurs des vainqueurs.

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Rentabilité limitée

Dans la profession, on accorde tout de même encore du crédit aux courses dans les magasins. Pour Franck Aubrée, président de la fédération du commerce et de la distribution Nouvelle-Aquitaine, si le segment est en pleine expansion, "avec une rentabilité de la logistique du dernier kilomètre très limitée, on est loin d'avoir trouvé le modèle qui puisse répondre aux attentes des clients".

Auchan, l'enseigne dont il est directeur régional, expérimente depuis octobre son propre service de livraison rapide dans son magasin de Talence Gambetta, à Bordeaux Métropole. Une première étape pour voir comment optimiser la chaîne avant de songer à la déployer dans tout le pays. Pendant ce temps, les startups continuent leur croissance effrénée avec en tête Gorillas, qui a annoncé la levée d'un milliard de dollars en octobre. Soit un tiers de sa valorisation, en une seule fois. Very quick commerce.

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Maxime Giraudeau

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Commentaires 2
à écrit le 25/11/2021 à 12:36
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"Face à la livraison express" il va bientôt y avoir la livraison avant commande, pour aller encore plus vite, devancer les besoins des gens et leur livrer ce à quoi ils pensaient sans s'être décidé à l'acheter.

à écrit le 25/11/2021 à 9:12
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La livraison expresse, ça existe parce qu'on peut grave exploiter les livreurs grâce aux technologies de l'information : applis, etc.... C'est du capitalisme sauvage comme au début du 19ième siècle. Vous savez : le truc qui a fini par fabriquer le...

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