« Il faut isoler l'impact du Covid dans les comptes de l'entreprise, qu'il soit négatif ou positif »

INTERVIEW. Comment réussir la sortie du "quoi qu'il en coûte" ? "L'enjeu majeur sera d'arriver à identifier et isoler dans les comptes de l'entreprise ce qui est lié à la crise Covid, que ce soit positif ou négatif sur la trésorerie. C'est la seule manière d'évaluer si l'entreprise est viable ou pas de manière structurelle", répond Gwladys Tohier, la présidente de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Grande Aquitaine (*). Dans un entretien à La Tribune, elle revient sur les contours de la politique du "sur-mesure" qui devra nécessairement accompagner la reprise économique entravée par la pénurie de main d’œuvre.
Gwladys Tohier est la présidente de la compagnie régionale des commissaires aux comptes de la Grande Aquitaine.
Gwladys Tohier est la présidente de la compagnie régionale des commissaires aux comptes de la Grande Aquitaine. (Crédits : GT)

LA TRIBUNE - Comment les entreprises que vous accompagnez ont-elles traversé la crise ?

Gwladys TOHIER - Je dirige BAB Audit Conseil, un petit cabinet de commissariat aux comptes créé en 2009 à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) avec une activité d'audit auprès d'une clientèle d'une cinquantaine de jolies PME dans les secteurs des transports, de l'hôtellerie, de la concession automobile ou encore du BTP avec des chiffres d'affaires de 100 à 500 millions d'euros. Leurs trajectoires sont très différentes. Le transport s'en est extrêmement bien sorti tandis que pour le bâtiment tout s'est arrêté pendant plusieurs mois. Pour ce secteur, les aides de l'Etat et les décalages d'emprunt et de crédit-bail ont joué un rôle très important, peut-être plus encore que les prêts garantis par l'Etat (PGE) qui ont bien souvent été souscris par précaution. Le BTP a repris très fortement au Pays basque même si le secteur est aujourd'hui confronté au manque de main d'œuvre et de matières premières. Enfin, pour hôtellerie, on constate aussi sur la côte basque une reprise puissance 10 de l'activité mais avec des entreprises souvent plus fragiles et des problématiques de main d'œuvre très préoccupantes.

Quels sont concrètement les problèmes auxquels ces chefs d'entreprises sont confrontés ?

Les ressources humaines, c'est clairement le premier sujet aujourd'hui ! Tous les dirigeants ou presque rencontrent, d'une part, de grosses difficultés de recrutement et une pénurie de main d'œuvre et, d'autre part, une problématique de gestion du retour au bureau des collaborateurs avec la fin du télétravail généralisé. C'est une situation très compliquée parce que les entreprises doivent à la fois recruter et conserver et fidéliser leurs propres salariés qui peuvent être très sollicités par la concurrence ! Il faut arriver à jouer sur les primes, le télétravail, le projet de l'entreprise et, de plus en plus, sur l'équilibre avec la vie personnelle, surtout chez les jeunes générations.

Parallèlement, beaucoup d'entrepreneurs sont à l'affût de potentielles bonnes affaires de croissance externe. Pour des groupes qui ont les reins solides, les opportunités sont mécaniquement plus nombreuses après presque 18 mois de crise avec des entreprises fragilisées dans les transports, le BTP, etc. Le ressenti que j'en ai c'est qu'il pourrait y avoir un phénomène de concentration du marché dans plusieurs secteurs.

Ces opportunités plus nombreuses correspondent à des entreprises en difficulté...

Oui, c'est lié à la stratégie du "quoi qu'il en coûte" qui a été efficace en permettant d'aider les entreprises qui allaient bien. Mais cela a aussi sauvé des entreprises qui n'avaient pas la capacité de survivre avant la crise et qui n'y survivront probablement après cette période de déconfinement ! Cela dit, il y a aussi des entreprises qui n'étaient pas loin de mourir il y a 18 mois et qui ont su profiter des aides pour rebondir, pivoter et assainir leur modèle économique en remboursant des dettes antérieures. Mais beaucoup de questions vont se poser pour ces entreprises quand il va falloir rembourser le PGE et reprendre les échéances normales tout en gardant la tête hors de l'eau.

Comment envisagez-vous cette sortie du "quoi qu'il en coûte" ?

D'abord, je crois qu'il faut vraiment insister sur l'importance d'aller vers les procédures amiables telles que la conciliation ou le mandat ad hoc sans attendre d'être en trop grandes difficultés et de se retrouver contraint d'aller en procédure collective.

Lire aussi 4 mnLes administrateurs judiciaires ont un rôle à jouer dans la sortie de crise

Mais, plus largement l'enjeu majeur sera d'arriver à identifier et isoler dans les comptes de l'entreprise ce qui est lié à la crise Covid, que ce soit positif ou négatif sur la trésorerie. C'est la seule manière d'évaluer si l'entreprise est viable ou pas de manière structurelle. Si c'est le cas, il faut l'aider avec des outils sur mesure, si elle n'est pas viable, alors malheureusement ça ne sert à rien de continuer à l'aider...

Depuis la loi Pacte, les commissaires aux comptes n'interviennent plus sur les PME de moins de 8 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous pensons qu'il serait utile que nous puissions intervenir ponctuellement pour rassurer les tiers, les banquiers, etc. Parce qu'aujourd'hui il est difficile de savoir si les aides publiques ou les subventions vont bien au bon endroit. Les commissaires aux comptes sont capables de vérifier tout cela.

Gwladys Tohier

Gwladys Tohier préside la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Grande Aquitaine (*) (crédits : DR).

Certains observateurs estiment qu'au moins 15 % à 20 % des PME ne survivront pas à la sortie de crise. Partagez-vous cette analyse ?

Oui, je suis entièrement d'accord et il ne faut pas en être surpris ! Il y a toujours aujourd'hui beaucoup moins de liquidations d'entreprises qu'en temps normal parce qu'un certain nombre sont maintenues en vie artificiellement d'une certaine manière. Donc, à un moment donné, il va y avoir un phénomène de rattrapage avec un pic de disparitions, ça me semble inévitable.

A titre personnel, je souhaiterais qu'on puisse distinguer davantage la nature et la trajectoire pour faire la différence entre d'un côté des entreprises familiales qui ont gardé de l'humain, un lien avec le territoire, qui ont toujours été saines et qui auraient peut-être méritées d'être aidées davantage et, de l'autre, des grands groupes. Le problème c'est que les premières risquent de se retrouver à la barre du tribunal de commerce avec, de toute façon un effacement des dettes, et potentiellement une reprise par un grand groupe moins local et avec une moins bonne gestion. Nous, en tant que commissaires aux comptes, on peut aider les pouvoirs publics à y voir plus clair sur ce sujet.

Lire aussi 8 mnAvec la fin du "quoi qu'il en coûte", le spectre d'une vague de faillites ressurgit

Quelles sont les dernières pistes sur l'accompagnement des entreprises pour la sortie de crise ?

Beaucoup de questions continuent à se poser du côté des pouvoirs publics et il y a plusieurs options. Faut-il décaler le remboursement du PGE ? Faut-il l'étaler sur cinq ou dix ans, voire davantage ? A ce stade, c'est encore un peu le flou artistique. La seule certitude c'est qu'il faut que le processus de sortie du PGE soit le plus doux possible, notamment pour prendre en compte le contexte de reprise compliqué par la double pénurie de main d'œuvre et de matières premières. En revanche, je le dis clairement aussi, les entreprises qui ont pris un PGE juste par précaution et sans en avoir réellement besoin doivent le rembourser le plus rapidement possible pour que l'on puisse réinjecter cet argent dans l'économie ! Je ne comprendrais pas, à titre personnel, qu'on conserve des PGE dans les comptes d'entreprises qui n'en ont pas besoin.

Ce que je sais aussi c'est qu'il va falloir désormais faire du cas par cas après la période nécessaire du quoi qu'il en coûte. Chaque entreprise a des problématiques et des parties prenantes particulières et il faut que les dirigeants prennent aussi conscience de tous ces interlocuteurs vers lesquels ils peuvent se tourner pour parler de leur situation : avocats, administrateurs judiciaires, experts-comptables, commissaires aux comptes, etc.

Lire aussi 7 mn"Beaucoup de chefs d'entreprise manquent de connaissances sur la loi Pacte", Gilles de Margerie

Quels sont les sujets sur lesquels vous allez appuyer en tant que présidente de la Compagnie régionale dans les prochains mois ?

Il y a le sujet du numérique qu'on suit très fortement depuis le mois de novembre 2020 avec des webinaires tous les deux mois pour présenter des outils numériques existants, faire de la pédagogie sur ce qui est faisable et pourquoi ça peut être pertinent. Avec une moyenne d'âge de 57 ans, il y a encore beaucoup d'appréhension vis-à-vis du numérique au sein de la profession alors même qu'il existe beaucoup de solutions qui peuvent nous simplifier la vie au quotidien. Parallèlement, on a lancé le programme "les explorateurs" qui réunit des promotions de dix professionnels pour les former à la transformation numérique, au marketing et à la communication via des formats vidéo.

Enfin, l'objectif est aussi de prévenir au maximum les difficultés des entreprises en faisant toujours plus de pédagogie pour former et informer sur toutes les procédures amiables. Il faut agir maintenant pour les entreprises en difficulté sinon on risque de rater le coche !

(*) La Compagnie régionale des commissaires aux comptes de la Grande Aquitaine réunit les quatre anciennes compagnies de Bordeaux, Agen, Pau et Limoges. Son périmètre correspond donc à celui de la Nouvelle-Aquitaine sans la Charente-Maritime, les Deux-Sèvres et la Vienne mais avec les Hautes-Pyrénées, le Gers et le Lot.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.