Ce n'est pas tous les jours que la Communauté d'agglomération Pau Béarn Pyrénées (CAPBP, 31 communes, 160.000 hab.) a une double première mondiale. Pour être précis, elle l'aura à l'été 2023, lorsque les installations imaginées et construites par un groupement d'entreprises mené par Suez (*) entreront en service. L'objectif partagé est de faire de la station de dépollution des eaux usées de Lescar, à une dizaine de kilomètres du centre-ville de Pau, une véritable vitrine mondiale. "C'est un projet totalement d'avant-garde dans un domaine clé, celui de l'économie circulaire", s'enthousiasme François Bayrou, maire de Pau et président de l'agglomération.
Désignée comme une "biofactory", le site Cap Ecologia, sur lequel se trouve la station d'épuration, un incinérateur d'ordures ménagères et bientôt un parc de 12.000 m2 de panneaux solaires, deviendra un centre de production de pas moins de dix énergies et ressources locales, dont du biométhane, de l'énergie solaire et de l'hydrogène.
Technologies de pointes
Ce n'est toutefois pas l'objectif, mais les moyens employés qui font de ce projet une exception : deux techniques y seront en effet mises en œuvre et ce pour la première fois au monde. La première est "l'ultra-déshydratation par carbonisation hydrothermale" des boues d'épuration et la "méthanation catalytique de CO2".
"Ce qui hier était un déchet - les boues qui restent après l'épuration et sont aujourd'hui brulées et utilisées pour l'épandage - devient une source d'énergie renouvelable, le biométhane, qui sera injecté dans le réseau de gaz naturel", résume Alexandre Lecomte, directeur du cycle de l'eau de la CAPB.
L'association de ces deux innovations permet à la fois de produire plus de biométhane qu'avec d'autres technologies tout en piégeant du CO2, habituellement rejeté dans l'atmosphère, en l'ajoutant à de l'hydrogène pour produire un méthane différent, dit de synthèse. A terme, le consortium prévoit d'injecter 13.000 MWh/an dans le réseau de la communauté d'agglomération, soit l'énergie équivalente au chauffage de 1.200 foyers.
Une nouvelle filière énergétique
En effet, les deux premières mondiales en cachent une troisième, nationale cette fois : celle de démarrer une nouvelle filière énergétique, surnommée "power-to-gas" du nom de ce procédé qui permet de stocker dans le réseau de gaz naturel l'excédent d'électricité issue des éoliennes et des centrales solaires en le convertissant en méthane de synthèse. Une technologie également en cours de développement par l'entreprise girondine Hydrogène de France (HDF Energy).
"Cette expérimentation à Pau, dont le gestionnaire de réseau GRDF sera partenaire, doit permettre à terme de décliner un cadre technique, réglementaire et financier pour le développement de la filière power-to-gas", précisent les partenaires. "Nos métiers connaissent un renouveau en particulier dans le domaine de l'assainissement des eaux usées. Les technologies pour la production de biométhane et de méthane de synthèse y contribuent", explique ainsi Maximilien Pellegrini, directeur général Eau France de Suez, pointant toutefois un retard de la France, qui compte plus de 20.000 stations d'épuration, notamment sur son voisin allemand.
"Ce site sera la première référence industrielle à produire dix ressources et énergies différentes. J'espère que cela inspirera d'autre collectivités, comme c'est le cas de la station d'épuration de Meistratzheim, dans le Bas-Rhin", poursuit-il. Dans la station d'épuration de Lescar, il n'est pas prévu de valoriser le jus de choucroute comme dans celle près de Strasbourg, mais les restaurateurs et industriels béarnais pourront y déposer leurs graisses, transformées elles aussi via la méthanisation.
79 millions d'euros d'investissements
L'enveloppe totale du projet est de 79 millions d'euros pour un contrat d'une durée de 17 ans, dont deux premières années de travaux démarrant en janvier prochain, et permettra de créer au moins trois emplois. Plus que l'impact économique, c'est sur l'impact écologique que la CAPBP et ses nouveaux partenaires insistent. Le bilan carbone de Cap Ecologia devrait ainsi baisser de 50 % par rapport à la situation actuelle, "permettant de contribuer à l'atteinte de notre objectif d'une agglomération neutre en carbone à l'horizon 2040", prévoit François Bayrou. Un objectif qui justifierait le surcoût des technologies dernier cri, évalué à 9 millions d'euros.
La CAPB espère obtenir des subventions, auprès de la Région Nouvelle-Aquitaine, de l'Ademe ou encore de l'Union européenne, mais compte surtout rentabiliser l'installation en utilisant les différentes énergies et en les revendant.
"Les recettes générées par l'injection du biométhane dans le réseau sont estimées à environ 11 millions d'euros sur les 15 premières années d'exploitation. Et pour le méthane de synthèse, nous tablons sur 5 millions d'euros, même si nous n'avons pas de certitude sur les tarifs", fait valoir Alexandre Lecomte.
"Nous sommes à l'aube d'une ère nouvelle : auparavant pour dépolluer les eaux usées, nous utilisions de l'énergie, désormais, nous en produisons", souligne Maximilien Pellegrini. C'est encore insuffisamment connu, mais la valorisation des eaux usées est un élément majeur de la transition écologique".
(*) Le groupement mené par Suez réunit Storengy, filiale d'Engie ; Egis ; Sogea/Vinci et Camborde Architectes.
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