Publicité, abonnements, BtoB : quel modèle économique pour Geev ?

INTERVIEW. Quatre ans après sa création, Geev, la plateforme gratuite de dons d'objets et de denrées alimentaires, compte plus de 2,5 millions d'utilisateurs inscrits. Dons, publicité, abonnements, services aux entreprises : Hakim Baka et Florian Blanc, les cofondateurs de cette startup basée à Bordeaux, détaillent leur stratégie dans un entretien avec La Tribune alors que la rentabilité est désormais à portée de main.
Florian Blanc et Hakim Baka, les cofondateurs de Geev, la plateforme de dons d'objets et de denrées alimentaires.
Florian Blanc et Hakim Baka, les cofondateurs de Geev, la plateforme de dons d'objets et de denrées alimentaires. (Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - Trois ans après le lancement de l'application, quels sont les principaux chiffres d'utilisation ?

HAKIM BAKA, co-fondateur et CEO de Geev - L'application compte plus de 2,5 millions de comptes créés avec des utilisateurs plus ou moins actifs comme c'est le cas pour tous les sites de petites annonces. On ne pousse pas les utilisateurs à surconsommer la plateforme mais plutôt à installer Geev comme la référence, comme un réflexe, lorsqu"il y a besoin de donner. Au total, on a passé les six millions de dons effectués sur la plateforme avec, pour la première fois, plus de 500.000 dons enregistrés en un mois en janvier 2021, soit environ +105 % de croissance par rapport à janvier 2020 ! Et on est à environ 100 tonnes de denrées alimentaires données.

Vos revenus suivent-ils la même courbe ascendante ?

Le chiffre d'affaires se porte bien mais il ne progresse évidemment pas aussi vite que le nombre d'utilisateurs de Geev ! On se situe en 2020 entre 500.000 et 600.000 euros, à peu près au même niveau qu'en 2019 ce qui est très positif puisque nous avons complètement  fermé l'application de mi-mars à mi-mai pendant le 1er confinement. Mais au déconfinement, il y a eu un très fort rebond : les gens ont eu le temps de trier et de réfléchir à leurs modes de consommation.

Quelles sont vos sources de revenus aujourd'hui ?

En 2020, 70 à 75 % de nos revenus provenaient de la publicité. Depuis le début de 2021, on est plutôt autour de 50/50 entre la publicité et les abonnements et l'idée est de maintenir ce ratio. L'objectif est désormais de développer une offre freemium en offrant à l'utilisateur un réel intérêt à s'abonner. On propose aux abonnés des fonctionnalités de confort, sans publicité, des crédits et désormais une priorité de contact pendant 24 heures sur certaines catégories représentant environ 15 % du total. Aujourd'hui, il y a trois temps lorsqu'on poste une annonce : le 1er jour il faut des crédits et/ou un abonnement pour accepter un don ; le 2e jour, il faut des crédits ; et à partir du 3e jour tout le monde peut accéder au don. Parce qu'au final, notre intérêt est que tous les dons trouvent preneurs : aucun don ne doit rester sur la plateforme !

Depuis le lancement en septembre 2020, on est à plus de 7.000 abonnés payants. C'est bien mais ça laisse aussi une importante marge de progression puisqu'on pense qu'entre 5 % et 10 % des utilisateurs pourraient souscrire une de nos formules d'abonnement.

Il existe aussi une formule d'abonnement de soutien désintéressé. Est-ce que cette possibilité trouve preneur et peut constituer, à l'instar d'HelloAsso, une source de revenus ?

Oui, nous proposons des abonnements de soutien à 1 €/mois dont le seul avantage est l'absence de publicité. Mais ce n'est pas déterminant pour nous même si les mentalités évoluent. Cela reste une approche très compliquée parce qu'il y a un élément très différent entre HelloAsso et nous : quand ils donnent, les utilisateurs d'HelloAsso sont déjà en train de procéder à un paiement et ont leur carte bancaire à la main. C'est le même principe lorsqu'on vous propose d'arrondir votre paiement à la caisse du supermarché au profit d'une association. Sur Geev, les utilisateurs n'ont pas cette étape du paiement et le taux de conversion au don est donc mécaniquement beaucoup plus limité. C'est finalement la même problématique que les médias qui publient des articles dont le début est accessible et la suite réservée aux abonnés payants ! Donc, oui, les usages évoluent mais très lentement.

De notre côté, on a beaucoup échangé sur ce sujet avec nos utilisateurs et on se rend compte qu'ils sous-estiment considérablement ce que coûte et ce que rapporte Geev. En clair, ils pensent que nos coûts sont dix fois inférieurs à la réalité et que nos revenus dix fois supérieurs ! Il y a donc un enjeu de transparence et de pédagogie sur lequel on va communiquer pour expliciter notre fonctionnement étape par étape.

Geev Hakim Baka Florian Blanc

Hakim Baka et Florian Blanc (crédits : Agence APPA)

Qu'avez-vous en tête dans les deux ans qui viennent ?

Sur le plan technique, le premier enjeu c'est la maintenance et l'amélioration continue de la plateforme avec une mise à jour majeure chaque année. Tout ça correspond environ à la moitié de notre temps de développement. Ensuite, l'objectif est de mettre au point de nouveaux services et de nouveaux usages. Sur le plan financier, il faut arriver à augmenter nos revenus via les abonnements, les services BtoB et aussi la publicité.

Quelle stratégie avez-vous adopté vis-à-vis des annonceurs potentiels ?

Cela fait maintenant deux ans qu'on a intégré de la publicité à l'application et je pense qu'on a enfin trouvé notre place. Aujourd'hui, on ne peut pas concurrencer les plateformes géantes en termes d'audience mais on veut être la régie publicitaire responsable pour des contenus engagés. Avec le recul, on se rend compte qu'on est de plus en plus sollicité pour des campagnes très ciblées sur le thème de l'engagement et de la responsabilité environnementale parce qu'on est un média avec des utilisateurs plus sensibles à ces thématiques et qui sont actifs quand ils viennent sur Geev.

Vous avec noué un partenariat avec Cdiscount en 2019 et un autre avec Auchan début 2021. Quel est l'objectif de ces opérations ?

Avec Cdiscount, c'est un partenariat assez diffus qui nous amène de l'audience et de la notoriété au fil de l'eau. En 2020, on a eu environ 100.000 clients qui ont découvert Geev via Cdiscount et nous sommes désormais intégrés à leur offre dédiée à l'occasion. L'objectif pour nous est que ces clients donnent leur ancien équipement quand ils en achètent un neuf. Avec Auchan, l'objectif est le même : sensibiliser leurs clients à une consommation plus durable et solidaire en les incitant au don via Geev.

Aujourd'hui, ce ne sont pas des partenariats financiers mais nous réfléchissons à les faire évoluer pour aller potentiellement vers un service rémunéré sous forme de commissions qui nous ouvrirait une nouvelle source de revenus tout en répondant aux démarches environnementales des commerçants. Avec la loi loi de lutte contre le gaspillage et d'économie circulaire du 10 février 2020, les plateformes de e-commerce et les acteurs de la distribution vont devoir trouver des solutions pour gérer la fin de vie de leurs produits et/ou reprendre ceux de leurs clients. Geev leur apporte une solution clef en main sans avoir besoin de déployer des mécaniques logistiques lourdes et particulièrement vertueuse puisqu'il s'agit de réemploi direct et local. On travaille donc sur la structuration de cette offre qui trouve un bon écho auprès des entreprises du e-commerce et dépendra aussi des décrets d'application de la loi. Cela pourrait prendre la forme d'une formule en Saas (logiciel en tant que service) branchée directement au tunnel d'achats des e-commerçants. Sachant que d'ores et déjà, la moitié des utilisateurs de Geev donnent un objet parce qu'ils en rachètent un neuf.

Lire aussi : E-commerce : "Cdiscount lancera le 1er avril sa filiale dédiée à son offre de marketplace BtoB"

Quels sont les projets de Geev à l'international ?

Pour être efficace, Geev doit fonctionner avec une communauté d'utilisateurs qu'il faut créer puis animer. Aujourd'hui, nous sommes présents partout en France ainsi qu'au Québec et nous avons de fortes ambitions pour nous implanter chez nos voisins européens. Nous étions prêts à nous lancer il y a un an mais le Covid a reporté nos plans puisque nous avons préféré nous concentrer sur la consolidation de la plateforme en France. Aujourd'hui, on envisage un lancement possible fin 2021 en Espagne, Angleterre et Allemagne. Le site est déjà traduit dans ces trois langues.

Est-ce qu'un nouvelle levée de fonds est prévue prochainement ?

Il y a plusieurs trajectoires possibles à envisager. On réfléchit avec nos investisseurs actuels à potentiellement repartir en levée de fonds mais plutôt courant 2022, il n'y a pas d'urgence. Mais s'il y a une levée de fonds, le montant comme le profil des investisseurs dépendra très largement de nos décisions de développement à la fois en France et à l'international. Pour l'instant, on discute et l'objectif de 2021 est vraiment d'arriver à maturité sur ces sujets de l'abonnement et de la publicité. On verra ensuite. Sachant que le chemin de la rentabilité est aussi à explorer puisque l'équilibre économique de Geev est tout proche et pourrait même intervenir dès cette année. Mais la recherche de rentabilité peut aussi être un frein à la croissance pour une entreprise telle que la nôtre. Aujourd'hui, on est une petite équipe, avec onze salariés et quelques alternants et stagiaires, mais on a des coûts de fonctionnement et de développement de la plateforme qui augmentent.

Comment vous positionnez-vous vis-à-vis des acteurs du réemploi tels que le projet ïkos ?

C'est un très beau projet. On se connaît et on discute pour voir ce qu'on peut faire ensemble. Ils ont des réseaux de collecte très structurés et efficaces, on a une solution numérique déployable à grande échelle : nos savoir-faire et nos publics cibles sont très complémentaires. Et puis il y a de la place pour tout le monde puisque, tous acteurs confondus, le réemploi ne concerne aujourd'hui qu'autour de 10 % de son marché potentiel. De notre côté, on a plusieurs types d'utilisateurs : des gens très militants en matière de réemploi et d'anti-gaspillage, des gens en difficulté financière mais qui, pour plein de raisons, ne vont pas ou ne veulent pas aller aux Restos du Coeur ou à la Banque Alimentaire. On a aussi des personnes sans abri mais c'est infime. L'avantage de Geev c'est la proximité mais aussi la rapidité et la confidentialité du don.

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