"Les experts comptables vont investir les métiers de la donnée des entreprises"

INTERVIEW. Priorités politiques, tensions sur l'emploi et virage stratégique vers les métiers de la donnée : Mikael Hugonnet, le nouveau président de l'Ordre des experts comptables de Nouvelle-Aquitaine, détaille à La Tribune les axes de son nouveau mandat qui sera marqué par la bascule des entreprises vers la facturation électronique et la gestion au long cours des prêts garantis par l'Etat. Le congrès national de la profession doit se tenir à Bordeaux en octobre 2021.
Mikael Hugonnet, qui exerce dans les Deux-Sèvres, a été élu président de l'Ordre des experts comptables de Nouvelle-Aquitaine
Mikael Hugonnet, qui exerce dans les Deux-Sèvres, a été élu président de l'Ordre des experts comptables de Nouvelle-Aquitaine (Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - Quelles sont vos priorités pour votre mandat de trois ans à la présidence de l'Ordre régional des experts comptables qui couvre désormais l'intégralité de la Nouvelle-Aquitaine ?

MIKAEL HUGONNET - Le premier axe est d'assurer un regroupement des trois ex-régions Poitou-Charentes, Limousin et Aquitaine qui soit performant et permette d'assurer un niveau de service et d'accompagnement de tous les professionnels de Nouvelle-Aquitaine qu'ils soient à Pau, à Bressuire ou à Bordeaux. Avec des implantations à Bordeaux, Niort et Limoges, nous voulons être au plus proche des experts-comptables notamment pour la formation professionnelle qui doit bénéficier pleinement aux 1700 professionnels de la région, dont un tiers sont installés en Gironde. Le deuxième axe c'est d'améliorer l'attractivité de la profession pour convaincre des jeunes et des moins jeunes de venir vers nos métiers. Nous recrutons fortement en raison des départs à la retraite mais aussi parce que notre activité est structurellement en croissance, que nos clients soient eux-mêmes en développement ou, au contraire, en phase de décroissance.

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Les métiers de l'expertise comptable figurent dans le top 5 des métiers les plus en tension en Nouvelle-Aquitaine. Quelles sont les compétences recherchées par vos cabinets et de quel volume d'emplois parle-t-on ?

Je n'ai pas de chiffres précis sur les volumes de recrutements si ce n'est qu'on compte 20.000 salariés dans les cabinets de la région et que beaucoup cherchent à recruter. Je parlais à l'instant de couteau suisse et on recherche en effet des compétences très diverses : en matière comptable et fiscale, bien sûr, mais aussi en matière de droit social, de paie, d'informatique, d'analyse de données, de gestion, etc. Les compétences en matière de droit social, gestion et paie sont particulièrement prisées sur des profils de Bac+2 à Bac+4 ou de licences RH, par exemple, mais aussi des profils moins diplômés mais qui ont envie d'apprendre. On propose de plus en plus de postes en alternance avec ensuite des possibilités intéressantes d'évolution professionnelle. A titre personnel et en tant que président, je soutiens pleinement l'apprentissage et l'alternance qui permettent de faire rentrer des profils plus jeunes et plus agiles dans nos cabinets. Cet apport de sang neuf est très positif pour les cabinets d'expertise comptable s'ils arrivent ensuite à les conserver.

Une grosse partie de notre métier aujourd'hui correspond à de l'accompagnement à la gestion d'entreprise. L'expert-comptable c'est un peu le coach du chef d'entreprise, son médecin généraliste, son couteau suisse ! Concrètement, le chef d'entreprise fait appel à nous pour sa gestion quotidienne mais aussi quand il a des projets de croissance, de licenciements, de plan social, de vente ou d'achat d'un bâtiment, de choix stratégique, de gestion financière. Nous l'aidons à répondre à des questions telles que : est-ce que je peux embaucher ? Est-ce que je dois licencier ? Est-ce que je dois me séparer d'un bien immobilier ? Est-ce que je dois investir dans du matériel nouveau ?

Mikael Hugonnet Ordre des experts comptables de Nouvelle-Aquitaine

Mikael Hugonnet (crédits : Agence APPA)

Quelle est la situation en matière de rémunération ?

La profession n'a peut-être pas été au niveau des rémunérations ces dernières années pour être suffisamment attractive. Mais désormais, dans ce contexte de tension, les salaires sont tout à fait corrects et plutôt tirés vers le haut avec notamment un double phénomène, d'une part, de forte concurrence entre cabinets dans des villes comme Bordeaux et, d'autre part, des efforts consentis par les cabinets installés dans les départements ruraux pour attirer et conserver des profils. Mais il est difficile de donner un salaire moyen tant les variations sont importantes en fonction des postes, du lieu et des profils.

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Vous citez le métier d'analyste de données. Pourquoi les experts-comptables cherchent-ils ce type de compétences ?

Tout simplement parce que la donnée est pour nous l'un des gros sujets des mois et années qui viennent avec la loi de finances pour 2021 qui prévoit le passage obligatoire à la facturation électronique pour toutes les entreprises entre 2023 et 2025. C'est une évolution majeure tant pour les entreprises que pour les cabinets d'expertise comptable ! Il faut bien comprendre que la facture électronique ne sera pas un simple fichier PDF : ce qu'on appelle "la facture X" sera en réalité un document électronique contenant une mine de données parfois très fines et très utiles : la fiscalité, les prix, les coûts, les quantités de produits et de matières premières, etc.

Mais encore faudra-t-il être capable de récupérer ces données, de les traiter et de les enrichir pour pouvoir faire ensuite de l'analyse de gestion et apporter de nouveaux services à nos clients. Cela nous permettra de qualifier et d'étendre notre offre y compris en inventant de nouveaux services. Les experts comptables vont donc investir les métiers de la donnée des entreprises et ça participera aussi à notre attractivité parce que, demain, l'expertise comptable ce ne sera pas que l'enregistrement comptable d'écritures, de fiches de paie ou de déclarations sociales ou de TVA, ce sera aussi des tâches d'analyse de données, de modélisation puis de véritable conseil de gestion !

On nous promet une tempête économique sans précédent dans les mois qui viennent. Quelle est votre analyse de la situation en ce début d'année ?

Je n'ai pas de boule de cristal, ni de baguette magique mais, oui, il va y avoir une crise économique derrière cette crise sanitaire ! Aujourd'hui, l'économie est, en quelque sorte, mise sous cloche avec une série de soutiens artificiels qui sont nécessaires et indispensables : activité partielle, reports d'échéances, fonds de solidarité, etc. Tout cela procure un soutien artificiel aux entreprises et à l'économie de la même manière qu'une respiration artificielle pour quelqu'un qui serait placé sous oxygène. On peut critiquer certains mécanismes, on peut dire que c'était imparfait, certes, mais c'était indispensable économiquement pour passer ce cap de 2020 et éviter une vague de défaillances d'entreprises. Maintenant, qu'est ce qui va se passer demain ou après-demain? A ce stade, je n'en sais rien. Ce que je vois ce sont des plans de licenciements qui arrivent chez les gros donneurs, à l'instar de Michelin ces derniers jours, et ces plans sociaux vont forcément se répercuter sur les sous-traitants et donc l'impact va se diffuser en ricochet sur nos territoires, y compris dans les zones rurales.

Mais à côté de ces situations difficiles, il y aussi des entreprises qui ont bien fonctionné en 2020, ou en tous cas pas si mal que ça. En 2020, on a eu un 2e trimestre catastrophique puis un 3e trimestre très bon, il faut le dire. Désormais depuis le 2e confinement, c'est plus compliqué et tout le monde apprend en avançant. Mais, au global, l'année 2020 n'a pas été catastrophique, elle n'a pas été bonne mais elle n'a pas été catastrophique ! Maintenant, quid de 2021 ? Attendons de voir comment ça se décante au niveau sanitaire parce que la clef est là : c'est la situation sanitaire qui conditionnera la reprise.

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Face à cette crise durable et cette absence de visibilité, quel est l'état d'esprit des chefs d'entreprises que vous accompagnez ?

J'ai constaté de la stupeur et de l'angoise au printemps 2020 puis du fatalisme cet automne avec le reconfinement. Désormais on est plutôt face à de la lassitude vis-à-vis d'une crise qui n'en finit plus. Mais un chef d'entreprise c'est quelqu'un qui innove, qui rebondit, qui s'adapte à son environnement et à son marché. Même les plus petites entreprises et les professions qui peuvent sembler moins innovantes, elles innovent en permanence. Beaucoup d'entreprises ont adapté leurs offres, pivoté vers la vente à emporter, cherché de nouveaux marchés, etc. Et au-delà des chefs d'entreprises, leurs salariés souhaitent aussi innover, être stimulés parce que c'est le moteur de toute personne qui se lève le matin pour aller travailler. De ce point de vue-là, les périodes de crise sont aussi porteuses de rebond, d'innovation, d'opportunités, à condition bien sûr qu'elles ne soient pas trop fortes.

Prenez l'exemple du PGE (prêt garanti par l'Etat). Si on nous dit à partir du 1er juillet, qu'il faut les rembourser, alors il y aura des catastrophes. Mais si on nous dit qu'on continue à mettre le PGE entre parenthèses et qu'on attend un, deux ou trois ans, peut-être 5 ans, pour commencer à rembourser ces PGE alors ça repartira de manière beaucoup plus dynamique.

Mikael Hugonnet Ordre des experts comptables de Nouvelle-Aquitaine

Mikael Hugonnet (crédits : Agence APPA)

Des administrateurs alertaient en novembre dernier sur des entreprises ayant déjà consommé la quasi-totalité de leur PGE sans avoir modifié leur modèle économique. Est-ce que ce sont des situations que vous avez vu ?

Oui, il y a des chefs d'entreprise qui ont plus de mal à s'adapter que d'autres à cet environnement mouvant, changeant ou anxiogène. D'autres font le dos rond ou se voilent la face sur leurs difficultés, mais ce n'est pas la majorité des entrepreuneurs ! Et il y en a d'autres encore qui ont consommé leur prêt garanti par l'Etat, en totalité ou en partie, parce que même s'ils ont innové et essayé de rebondir, l'activité n'est tout simplement pas au rendez-vous. Je pense notamment aux entreprises de la sous-traitance industrielle, dans la métallurgie et l'industrie aéronautique par exemple. On a beaucoup de sous-traitants de deuxième ou troisième rang, des PME de 10 à 50 salariés qui prennent la crise de plein fouet et n'ont pas de solution.

C'est toujours le danger d'avoir une activité mono produit ou mono-filière. A l'inverse, on a aussi des sous-traitants de la métallurgie, qui travaillent certes pour l'aéronautique, mais aussi pour le secteur agroalimentaire ou parfois pour des marchés de niche très différents qui leur permettent de garder une jambe hors de l'eau.

Vous vous attendez donc à voir les PGE rester dans le paysage comptable des entreprises encore longtemps...

Oui, parce qu'au-delà du fonds de solidarité, de l'activité partielle et de l'activité partielle de longue durée, le PGE sera au cœur du sujet de la reprise. Il ne faut surtout pas avoir à le rembourser trop rapidement sinon beaucoup d'entreprises se retrouveront face à un mur de la dette insurmontable. Si une entreprise redémarre son activité à 80 %, voire même à 100 %, elle aura malgré tout le plus grand mal à rembourser ce PGE dans l'immédiat. D'ailleurs, aujourd'hui, on ne parle plus d'un remboursement à partir du printemps 2021 sur cinq ans. Il y a des pistes qui ont été lancées par le gouvernement, notamment l'idée d'un PGE rechargeable qui ne serait remboursé que le jour où l'entreprise reviendrait à meilleure fortune.

Donc, je pense en effet qu'on peut se retrouver avec des PGE qui seront encore là dans dix ans et qui représenteront l'argent que doit l'entreprise, mais sans lui mettre le couteau sous la gorge pour le rembourser. Et ça me semble indispensable parce que c'est un moindre mal de garder un œil sur les entreprises qui ont perdu de l'activité, c'est à dire qui ne sont pas capables de gagner suffisamment d'argent pour rembourser aujourd'hui. Si cela permet d'éviter un dépôt de bilan, ce sera toujours moins onéreux et moins coûteux humainement. Parce qu'une défaillance d'entreprise c'est une catastrophe humaine et c'est ensuite une réaction en chaînes avec des prestataires et des fournisseurs qui ne sont pas payés.

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Mikael Hugonnet est expert-comptable à Parthenay (Deux-Sèvres) où il dirige le cabinet Hugonnet Ménard qui compte 25 salariés. Il était depuis 2017 le président de l'Ordre des experts-comptables de Poitou-Charentes qui a fusionné au 1er janvier 2021 avec celui d'Aquitaine et du Limousin.

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