"Les PGE auraient dû être accordés sur la base d'un business plan de l'entreprise"

INTERVIEW. "Le prêt garanti par l'Etat n'a pas été intégré dans une logique de restructuration des entreprises alors qu'il aurait dû l'être !" Dans un entretien à La Tribune, Vincent Méquinion et Alexandra Blanch, deux administrateurs judiciaires bordelais, s'alarment de l'aveuglement de certains chefs d'entreprise quant à la logique du PGE, dont les montants sont parfois déjà à moitié consommés. Ils craignent un réveil très douloureux si ces entreprises n'anticipent pas leurs difficultés.
Vincent Méquinion et Alexandra Blanch sont administrateurs judiciaires
Vincent Méquinion et Alexandra Blanch sont administrateurs judiciaires (Crédits : Etude Vincent Méquinion)

LA TRIBUNE - Que constatez-vous actuellement sur le plan de votre activité auprès des entreprises en difficultés ? Sommes-nous toujours dans le calme avant la tempête, comme l'indiquait le président du tribunal de commerce de Bordeaux mi- octobre ?

VINCENT MÉQUINION - D'ordinaire déjà, les chefs d'entreprise ne sont pas bien informés sur les démarches à suivre en cas de difficulté. C'est une donnée structurelle. Si bien qu'ils arrivent en procédure collective où il faut mettre en œuvre un traitement de choc qui ne donne pas toujours les effets espérés. Avec la crise Covid-19, cela se vérifie puisqu'ils ne viennent pas chercher des solutions en amont avec des procédures comme la conciliation ou le mandat ad hoc. Donc ce qu'on constate aujourd'hui, c'est un attentisme très prégnant de la part des chefs d'entreprise. L'activité de notre cabinet, qui est spécialisé dans les procédures de conciliation, est inférieure de -40 à -50 % par rapport à l'an dernier.

ALEXANDRA BLANCH - Ce sont autant d'entreprises qui risquent de se rendre compte trop tard de leurs difficultés quand il n'y aura plus tout de trésorerie. Cela aboutira alors quasiment à des situations de liquidations judiciaires. A titre de comparaison, pour les dossiers qu'on prend en conciliation ou en mandat ad hoc, les entreprises sont sauvées dans 85 % des cas ! Le problème c'est qu'actuellement, beaucoup de chefs d'entreprises considèrent le PGE [prêt garanti par l'Etat] comme de la trésorerie à consommer jusqu'à ce que l'orage passe. Or, ce n'est pas du tout le cas !

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Ces chefs d'entreprises ne sont-ils pas conscients que le prêt garanti par l'Etat est un prêt qui devra être remboursé ?

VM - Non, pas tous... Notamment parce que ce n'est pas comme ça que le PGE leur a été présenté. Ces PGE ont été obtenus si facilement que certains considèrent que finalement c'est juste de la trésorerie qui permet d'attendre sans traiter les difficultés. Mais, oui, évidemment, il faudra bien le rembourser un jour même si la date et le taux ne sont pas encore précisément connus. Le problème c'est que le PGE n'a pas été assorti de conseils ou même de contraintes sur ce à quoi il doit servir. La seule chose c'est qu'il ne devait pas servir à rembourser des encours antérieurs ni dépasser un quart du chiffre d'affaires annuel.

Le mot prêt figure quand même dans l'intitulé : prêt garanti par l'Etat...

AB - Oui, mais la seule chose qui a été dite clairement aux chefs entreprises au printemps dernier c'est "il n'y aura pas de faillites !", même si ce mot est un peu désuet. Le PGE n'a pas été intégré dans une logique de restructuration des entreprises alors qu'il aurait dû l'être. On a voulu compenser avec ce prêt du chiffre d'affaires qui n'existait pas sauf que ce n'est pas du chiffre d'affaires et qu'il faudra bien le rembourser ce prêt ! Dans l'urgence, les chefs d'entreprises ont donc souscrit un PGE sans se poser de réelles questions et en se disant en quelque sorte : jusqu'ici tout va bien. Mais le problème c'est que quand il faudra rembourser ces prêts demain, il n'y aura plus de trésorerie !

Et on voit arriver des dossiers où la moitié du PGE contracté au printemps dernier a déjà été consommée pour payer des charges sociales, fiscales et salariales mais sans aucune modification du modèle économique, de l'effectif de l'entreprise ou de la structure d'endettement.

VM - Le PGE aurait pu et même aurait dû être accordé sur la base d'un business plan pour poser la question : pourquoi faire ? Cela aurait contraint le chef d'entreprise à monter son business plan, à questionner son modèle et à comprendre que le PGE doit servir à autre chose qu'à attendre des jours meilleurs ! Cela l'aurait aussi conduit à assurer un suivi de sa consommation.

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Ce sont des objections faciles a posteriori mais beaucoup moins évidentes lorsqu'on se replace dans la situation d'urgence inédite de la mi-mars 2020...

AB - Non, parce que le seul message qui a été donné à l'époque a été celui de "pas de faillite !", ce qui a été traduit dans la tête des chefs d'entreprises par "pas de tribunal de commerce !". Et cela revient à les dissuader des procédures de conciliation ! Donc au final, le message adressé par l'Etat à ce moment-là s'avère contre-productif et revient à se priver de ces procédures de conciliation qui sont pourtant des outils de gestion précieux et utiles. Dans la précipitation, l'Etat a mal communiqué mais je crois pourtant que le chef de l'Etat et le ministère des Finances savent faire la différence entre les procédures de liquidation et les procédures de conciliation... Le problème c'est que maintenant, il est peut être trop tard pour beaucoup d'entreprises.

Dans ce contexte, quels sont les avantages des procédures de conciliation et de mandat ad hoc ?

AB - En cas de difficultés, il faut venir voir les administrateurs judiciaires le plus tôt possible ! C'est une procédure ouverte à tous et sur laquelle le chef d'entreprise garde entièrement la main. Elle s'adresse à toutes les entreprises : de l'auto-entrepreneur à la société cotée. Dans notre étude, on propose un diagnostic gratuit qui n'engage à rien mais qui permet d'avoir l'analyse objective d'un tiers qui n'a pas le nez dans l'exploitation quotidienne de l'entreprise.

VM - Il faut dédramatiser le mot d'administrateur judiciaire ! Un administrateur c'est quelqu'un d'indépendant en qui les créanciers ont confiance et avec qui ils ont l'habitude de travailler. Cela permet de gagner du temps qui est un facteur essentiel. Par ailleurs, la conciliation amiable et le mandat ad hoc sont des procédures strictement confidentielles ce qui permet de préserver le crédit de l'entreprise auprès des tiers, à la différence la procédure collective classique. Cette confidentialité est aussi un avantage pour les créanciers parce qu'ils savent que la réputation de l'entreprise et donc son chiffre d'affaires seront préservés et qu'à l'issue d'une procédure négociée, les paiements se font sur un échéancier de 36 à 48 mois contre facilement dix ans pour une procédure collective. Ces procédures permettent donc de résoudre des difficultés financières, relationnelles ou structurelles, voire un cumul des trois ! La seule condition est d'anticiper suffisamment.

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En Gironde, des liquidations judiciaires en hausse

La Chambre de commerce et d'industrie Bordeaux Gironde indique, ce 18 novembre, que le nombre de jugements au tribunal de commerce de Bordeaux et Libourne atteint 422 depuis le 21 mars dernier, dont environ 200 liquidations judiciaires, soit un bond de 17 % par rapport à la même période l'an dernier alors que cette hausse était encore contenue à +4 % le mois dernier. Signe que la situation d'un nombre croissant d'entreprises s'envenime. Ces liquidations concernent des activités de services à 39 %, des commerces à 37 % et des activités de conseil. "Dans 94 % des cas, ces liquidations interviennent parce que les chefs d'entreprise viennent trop tard au tribunal de commerce", insiste Patrick Seguin, le président de la CCI. Pour Alexandra Blanch, les inquiétudes sont particulièrement fortes pour le secteur de la CHR (café, hôtels, restaurants), de la viticulture, des services à la personne et tout une série d'activités tertiaires notamment dans le conseil.

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Commentaires 3
à écrit le 20/11/2020 à 10:00
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Ces deux personnes sont totalement déconnectées de la réalité : on n'aurait jamais pu distribuer plus de 100Md€ de PGE en quelques mois si on avait demandé un BP à tous les chefs d'entreprises... saturation assurée des comptables, des banquiers... po...

à écrit le 19/11/2020 à 17:03
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Au revoir, au revoir président !

à écrit le 19/11/2020 à 12:31
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Merci déjà de me dire ce qu'était un PGE, le language néolibéral adoptant tellement vite n'importe quelle nouvelle formule qu'avant même de connaître une notion nous l'adoptons intimement. Par contre la difficulté majeur actuelle c'est la chute d...

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